Elle est la Callaïde brune incarnant Phœbe, la nymphe de l’ancienne mythologie représentant le chant. Comme cela arrive souvent, il n’y a pas parfaite adéquation entre l’apparence d’une Callaïde et son art favori (seule Mari de Mira y est parvenue) puisque Charis est surtout douée pour la poésie, représentée par Zephixo (et incarnée par Sybil).
Douée pour la poésie, mais aussi pour lire des livres, passion qui lui a vrillé l’esprit dès le plus jeune âge et qui lui a valu de récolter sous les yeux d’adorables cernes ineffaçables.
Charis à huit ans, à l’époque où elle lisait Les Attritions de Gaubert alors que les pucelles de son âge jouaient encore à la poupée, les sottes !
Nous ne détaillerons pas l’étendue de sa bibliothèque qui, dans ses appartements, recouvre trois grands murs. Disons juste qu’en observant bien certaines étagères, on s’apercevra que la Callaïde appréciait autant les plats faits pour élever l’âme que les épices pour s’échauffer un bon coup avant de dormir, facette de sa personnalité qui ne fut pas sans chagriner quelque peu la reine Catelyne qui voyait pourtant en Charis sa favorite.
Il s’agit ici du portrait le plus célèbre de dame Charis, ici dans la gloire de ses dix-sept ans, à une époque où tout allait bien pour elle… juste avant que tout n’aille mal. Tu remarqueras, ami lecteur, les fameux cernes sous les yeux, et apprécieras la décollade que les jeunes femmes du royaume brûlaient alors d’arborer tout en n’osant le faire. Catelyne autorisa à sa protégée cette petite licence. On ne saurait trop l’en remercier.
Nous n’entrerons pas, bien sûr, dans ses sinistres déboires du livre I ainsi que ceux éprouvés dans sa relation avec le jeune Jan d’Alverny. Contentons-nous juste d’affirmer que ce personnage aérien ne se contenta pas de flotter dans les airs, porté par la cadence et les sonorités de beaux vers. Douée aussi pour manipuler le crayon et le pinceau, elle suscita le respect et même l’admiration chez beaucoup d’artistes, à commencer par le célèbre Auguste Lerouge, un de ses grands amis, qui sut parfaitement résumer le personnage dans cette magnifique toile :
Intitulé Le Songe de Charis, le tableau désespéra les collectionneurs admirateurs de la Callaïde puisque cette dernière fit jurer à Lerouge que jamais il ne vendrait son œuvre, qu’il la garderait toujours cachée dans son atelier. Pour l’admirer, il fallait prouver que l’on avait l’autorisation de l’intéressée elle-même, ce qui fait que les deux tétons tout roses ne furent contemplés que d’une poignée de privilégiés (parmi lesquels l’arrière grand-père du narrateur des Callaïdes).
Il fallut dix bonnes journées pour exécuter la toile, ce qui d’ailleurs suscita beaucoup de persiflage quant à ce qui avait pu se passer dans l’atelier pour justifier un tel temps. Vous nous permettrez de ne pas les reproduire, ils n’en sont pas dignes (évoquons tout au plus ce mot d’un des rivaux de Lerouge : « Il a fallu dix journées à Lerouge pour explorer la nature de dame Charis car le pinceau utilisé montrait régulièrement des signes d’affaiblissement »).
Terminons cette rapide présentation en précisant qu’elle constitue le point de départ des Callaïdes, avec le personnage de Jan. Traversant un épisode un peu mouvementé de ma vie, l’idée était d’écrire une histoire d’amour entre un chevalier et une dame en s’efforçant de mélanger les genres, le tout en essayant de tenir deux cents pages. Finalement, le récit court s’est mué en cycle et 2500 pages plus tard, j’y suis encore. Et Charis, toujours fidèle, m’a permis de clore récemment un arc conséquent et d’apporter quelques ingrédients intéressants pour la suite du cycle (j’en suis à peu près à la moitié).
Enfin, elle est aussi la première passerelle entre son époque et celle du narrateur du cycle puisque, dans la nouvelle La Marchande des quatre-saisons, le narrateur tombe chez un bouquiniste sur son ouvrage intitulé Le Récit de Lancelin. À dire vrai je ne sais pas moi-même ce qu’il contient, je compte le lire bientôt. Mais je suis sûr d’une chose : ce livre à la réputation sulfureuse contient lui aussi des ingrédients faits pour surprendre.
Gaspard Auclair
Ah ça ! ce Gaubert a bien de quoi nous filer de beaux cernes !
Joli. Bon, je n’approuve pas totalement, tu t’en doutes, mais le trait est bien senti.