Résumé de l’épisode précédent : Diane a découvert, dissimulés dans le livre de recettes de beauté, deux feuillets où se trouvent ce qui ressemble à des contre-baumes. Elle décide d’essayer celui qui permettrait de retrouver ses anciennes lèvres d’armide. Après l’avoir appliqué, elle va dormir, en espérant que le lendemain matin, elle aura la joie de constater les premières effets positifs…
Au matin, quand ses paupières se levèrent, son premier geste fut de porter ses doigts aux lèvres.
Elle ne fit pas la matinée grasse, certes non, aussitôt elle quitta le lit pour se poster devant son miroir. Elle n’en était pas sûre, encore ensommeillée qu’elle était, mais il lui avait semblé que ses lèvres avaient repris de la chair, rien à voir avec celles de la veille.
Et, de fait, elle constata que c’était le cas. Ce relief, ce léger moelleux, cette carnation, aucun doute, elle avait retrouvé sa bouche d’armide au milieu des ronces de son nouveau visage !
Si quinze douces notes avaient conclu le milieu de la nuit, un sourd rugissement emplit le logis. Elle se leva, fit les cent pas toute voûtée et en serrant contre elle ses petits poings, rassemblant un mélange de rage et d’euphorie retrouvée. Sauvée ! Elle était sauvée ! Les contre-baumes étaient efficients, elle allait redevenir l’armide qu’elle était !
Elle se rua sur la liste des remèdes et scruta leurs ingrédients : là aussi, c’était les mêmes que ceux des recettes qu’elle avait utilisées. Il suffisait de les incorporer dans un certain ordre. Et toujours accompagnés d’une sorte d’hymne à la lune qu’elle devait chanter au beau milieu de la nuit. Bon, elle avait déjà écrit son vers, elle n’aurait qu’à le répéter, elle n’aurait pas à se triturer de nouveau la cervelle pour en écrire d’autres.
Mais une idée l’arrêta : et si cela déplaisait à Madame la Lune ? Elle eut bien un peu honte de cette idée, mais comme il s’agissait de baumes que l’on pouvait qualifier de magiques, sinon d’extraordinaires, il n’y avait rien de surprenant non plus à devenir méfiante, superstitieuse. La veille, elle avait mis le temps à trouver son vers. Il n’était pas parfait, mais elle y avait mis du cœur, de l’application. De même lorsqu’elle l’avait chanté. Et elle en avait cueilli les fruits. Oui, on ne savait jamais, à la réflexion mieux valait trouver quatre autres vers pour conclure chacun des quatre contre-baumes. D’esprit plus délié le matin que le soir, elle s’attela aussitôt à la tâche et parvint à rouler – non sans difficulté – quatre vers qui ne sonnaient pas trop mal :
Lune pâle, rends-moi la beauté que l’ombre a flétrie.
Astre argenté, efface les cicatrices du destin.
Toi qui veilles sur la nuit, rends éclat à mon reflet.
Reine des cieux, répands ton éclat sur mon visage terni.
Puis elle fila à la concoction des remèdes. Elle broya, filtra, chauffa, incorpora, concassa, tamisa, fumigea, émulsionna et mélangea une bonne vingtaine d’ingrédients qui, à la fin, étaient répartis dans quatre pots, n’attendant plus qu’à être utilisés. Diane eut bien du mal à se retenir de les appliquer mais, nous l’avons dit, devenue craintive à cause des terribles effets des recettes, elle préféra occuper son esprit en préparant des articles qu’elle remettrait à Henri. Comme elle serait absente à la gazette, il était en effet certain que Faumiel l’envoie aux nouvelles.
Elle expédia la besogne et, satisfaite, s’installa devant son miroir pour observer ses lèvres. C’est qu’elles n’avaient pas regagné pleinement leur belle apparence. Certes, elles donnaient envie d’être baisées… mais moins qu’avant. Et quand nous écrivons « avant » nous ne faisons pas allusion au glorieux moment des merveilleux effets du baume de lèvres de velours mais à celui qui précédait, quand Diane se contentait de la grâce que la nature lui avait accordée. D’un autre côté, peut-être aussi qu’il fallait attendre un jour ou deux pour que les remèdes donnent tous leurs effets. Bon, elle verrait bien. En tout cas, c’était une paire de lèvres qui ne lui faisait pas honte, tant s’en fallait.
Dans la journée, un messager vint lui apporter une lettre. Bien entendu, elle ne prit aucun risque et fit comme avec Henri, elle lui demanda de la faire glisser sous sa porte. « Le lettre vient de dame Isolde, lui dit-il, ma maîtresse apprécierait une réponse d’ici une heure. Puis-je revenir pour la recueillir ? »
Isolde, évidemment ! Il fallait s’y attendre. Allons ! ça lui permettrait toujours de faire passer le temps en attendant la nuit. Elle congédia le messager en lui disant qu’effectivement, il pouvait revenir pour la réponse.
Puis elle s’installa dans son fauteuil, décacheta la lettre et la lut attentivement. Comme elle s’y attendait, elle s’ouvrait avec un mélange de mots d’amour et de reproches sur son absence. Il lui tardait de la revoir. Elle était une belle ingrate, mais qu’elle continuait d’adorer. Bref, son habituel tralala énamouré. Mais Diane fronça les sourcils en lisant le paragraphe suivant. Isolde y évoquait le bal littéraire. « J’ai entendu dire que des gens s’étaient montrés discourtois à ton égard », « ce ne sont bien sûr que des envieux, n’y accorde pas d’importance », « les gens oublient vite », « et puis, tu restes le joyau de ma gazette. »
À ce piètre réconfort qui lui lacérait l’âme, Diane crispa ses doigts griffus sur la lettre. Isolde ne venait-elle pas de sous-entendre qu’elle était meilleure gazetière qu’écrivelle ? De nouveau se mirent en branle dans son esprit de sinistres mécanismes qui exaltaient son orgueil et vouaient à un impitoyable mépris les fous qui osaient mettre en doute ses incommensurables qualités d’écrivelle. Mépris fort injuste car, disons-le à la louange d’Isolde, elle ne faisait qu’exprimer un sentiment sincère, sans penser à mal. Mais Diane n’en était plus à faire preuve de distance et de subtilité dans sa manière d’approcher les propos, qu’ils fussent écrits ou verbalisés, à l’endroit de son travail. Tout ce qui n’était pas compliments ou flatteries lui devenait immédiatement suspect.
De mauvaise humeur, elle griffonna à la hâte une réponse, prétextant une légère fièvre attrapée au bal littéraire. Elle viendrait la voir chez elle d’ici deux jours.
Et lorsqu’Henri vint pour récupérer ses articles du jour, elle ne dit pas autre chose.
« Voirement, Henriet, que personne ne s’inquiète à la gazette. J’ai juste pris froid au bal. Hier j’étais très dolente, mais ça va mieux aujourd’hui. Excuse-moi de ne pas t’ouvrir, mais tu sais comment sont les demoiselles, il est hors de question pour elles de montrer les affres d’un visage défait ! »
Henri se paya de ces paroles. Après tout, c’était plausible. Il fut en tout cas rassuré par le ton légèrement enjoué et repartit avec cinq articles à remettre à Faumiel.
Puis arriva le crépuscule. Puis le soir. Puis la nuitantre.
À la minuit, Diane s’appliqua un contre-remède et chanta un vers à la lune. Elle fit de même avec les autres.
Alors elle alla se coucher. Contre toute attente, malgré son excitation elle dormit profondément.
Et de nouveau, quand ses paupières se levèrent au bien matin, elle se rua hors du lit pour se mirer dans son miroir.
Joie ! Bonheur ! Allégresse ! Sa beauté était revenue !
Enfin, presque.
À suivre…