La Plume viciée (1) : Isolde en quête d’une oiselle rare

De toutes les employées qui travaillaient à sa gazette, dame Isolde avait toujours eu une préférence marquée pour Diane. Tellement marquée d’ailleurs qu’elle aimait à lui laisser des marques de baisers sur le corps, ce que l’on appelait lors les morsures de déduit.

Au moment où commence cette histoire, Diane se trouvait nue, allongée sur le lit d’Isolde, une morsure de déduit à la naissance de la poitrine, une autre sous la fesse gauche. Les deux femmes venaient juste de terminer de s’aimer et Isolde était occupée à s’offrir des restes d’affection, sa langue dans la bouche de celle qui était de vingt ans sa cadette, un doigt lui effleurant doucement la corolle des soupirs, pour reprendre là aussi une expression consacrée en ce temps.

Dès le début, la passion d’Isolde pour la jeune femme avait été vive. Elle s’était aussitôt entichée de cette belle brune qui avait fait un jour son apparition à La Gazette. Celle-ci en était à ses débuts, Antoine Faumiel venait d’être engagé comme chef-rédacteur, il n’y avait plus qu’à trouver des collaborateurs parmi lesquels – Isolde l’exigeait – une rédactrice avec une écriture féminine et qui, par ses sujets, saurait parler aux femmes. Faumiel avait d’abord écarquillé les yeux à cette volonté de la noble, mais il se rangea très vite à cette volonté, conscient qu’une telle rédactrice permettrait sans doute d’intéresser davantage les femmes et, partant, d’accroître les ventes.

Une matinée, tous deux avaient reçu sept candidates intéressées par l’annonce qu’ils avaient placardée en différents endroits de la Capitale. Pas dans les tavernes cette fois-ci, mais dans ces petits salons de causerie où les femmes aimaient à se réunir pour papoter tout en buvant du thé et manger de petits gâteaux, ainsi que dans l’unique étuvière de la ville réservée aux femmes, La Source des Lys. Sept femmes étaient donc venues, sept femmes d’âges assez variés, tout comme leur beauté. Normalement, ces deux critères ne devaient pas nécessairement entrer en ligne de compte, mais c’était encore une fois sans compter sur Isolde qui avait décidément un avis bien arrêté sur celle qui devait être la gazetière de l’élégance féminine.

« Certes, l’élégance s’affine avec l’âge. Mais j’aimerais une personne ayant encore la spontanéité de la jeunesse. Une spontanéité maîtrisée s’entend, avec une certaine sophistication. »

Là, Faumiel n’y entendait goutte. Pour lui, les femmes, c’était du shimabi. Aussi bien laissa-t-il surtout faire Isolde, alors que les sept candidates défilaient dans la petite pièce où ils avaient décidé de les interroger afin de voir l’étendue de leurs qualités.

Elles étaient toute assez joliettes et disposaient assurément de lettres. Elles pouvaient écrire des articles, c’était certain. Mais Isolde n’était pas satisfaite car, à ses yeux, manquait encore un élément essentiel.

— Quoi donc ? demanda Faumiel à qui elle fit part de ses réserves entre deux candidates.

— La conscience et la fierté de leur sexe.

Faumiel leva discrètement les yeux au ciel, sans daigner répondre.

C’est alors qu’entra la sixième candidate. Une jeune femme de taille moyenne, de stature élancée, avec des courbes subtiles et bien proportionnées. L’allure était gracieuse, élégante, fruit sans doute d’efforts pour maintenir une apparence soignée et séduisante, mais là où ces efforts pouvaient paraître criards et artificiels chez certaines, ils étaient ici comme camouflés par un joli naturel.

Séduisant, son visage aussi l’était. Les pommettes étaient hautes et bien définies, le nez droit et fin, et les lèvres pleines et soulignées par une teinte discrète mais élégante de fard. De même pour les yeux : d’un brun profond et expressif, ils étaient encadrés par de longs cils noirs, accentués par un maquillage habile. Ses sourcils étaient finement dessinés, ajoutant à l’expressivité de son regard.

Les cheveux étaient d’un beau brun, lisses et brillants. Relativement courts, ils s’arrêtaient au milieu du cou, chose rare à cette époque et qui donnait ce je ne sais quoi de sophistiqué que recherchait Isolde.

Enfin, la demoiselle – elle devait avoir tout juste vingt ans – avait la peau était claire et – autant qu’Isolde pouvait en juger mais certaines pratiques sous la courtepointe la confirmeraient bientôt dans cette impression – douce, soigneusement entretenue. Elle devait éviter les imperfections grâce à une routine de beauté rigoureuse, utilisant des recettes et des conseils qu’elle avait glanés tout au long de sa jeune existence.

Rien qu’en la voyant, Isolde se dit : c’est elle, voici l’oiselle que je cherche. C’était peut-être aller un peu vite, mais il faut dire aussi qu’à ce physique engageant se joignait un goût certain pour la parure. Parfaitement ajustée, sa robe était d’un mauve clair et de bon goût. Des manches bouffantes s’arrêtaient aux coudes, ce qui permettait de laisser apparaître de beaux bras blancs. Et puis, il y avait cette échancrure qui se trouvait entre la pruderie des robes à amigaut et la provocation de la décollade. Il faut savoir qu’après des siècles passés à enfermer les femmes dans des codes vestimentaires faits pour les empêcher de s’épanouir en dévoilant une part de leur beauté, certaines (parmi les plus jeunes, surtout) commençaient à faire fi du qu’en dira-t-on et à porter des robes permettant à la gorge de mieux respirer. Les plus délurées choisissaient ainsi la décollade. Isolde eût aimé en porter, mais âgée de quarante-deux ans, elle estimait qu’elle risquait le ridicule de paraître pour une vieille mère désespérée d’attirer les regards. Et puis, la décollade avait aussi un côté servante d’auberge pas toujours de bon goût.

Servante d’auberge, la jeune femme ne l’était nullement puisqu’elle avait choisi une robe à amigaut très cintrée, avec une échancrure plus haute qu’une décollade, mais permettant cependant au haut des globes de prendre l’air. C’était là une parure qui pouvait plaire aussi bien aux femmes timorées qu’à celles soucieuses de mettre en avant leurs charmes.

Il est des parures comme de certaines pâtisseries, songea Isolde, il en est qui plaisent à tous. Mais voyons tout de même les connaissances.

Elle les éprouva dans une multitude de sujets. La jeune femme fut impressionnante. Ses connaissances sur les vêtements étaient étendues, tout comme celles liées à la nourriture – précisément la nourriture faite pour embellir un corps de femme – et à la décoration, aux types de tissus pouvant agrémenter un intérieur. Les savoirs en botanique semblaient eux aussi solides, surtout en ce qui concernait les fleurs et les aromates. Et bon goût littéraire avec ça. Isolde l’ayant amenée sur le sujet, Diane évoqua des auteurs qu’elle appréciait et, surtout, des écrivelles, terme alors à la mode pour désigner des femmes ayant eu l’idée – saugrenue pour certains – de pratiquer les lettres au point de proposer leurs ouvrages sur les étals des libraires.

— Vous semblez apprécier les écrivelles, fit Isolde.

— Effectivement.

— Pourquoi ?

— Qui d’autre qu’une écrivelle est plus apte à saisir les penchants, les désirs et les craintes de notre sexe ? Et les couleurs dont elles parent leurs phrases sont bien plus enchanteuses et mélodieuses à nos oreilles.

Quelle voix douce et modérée ! se dit Isolde en l’entendant parler ainsi. Et en même temps, son articulation est précise et dégage une certaine autorité. Oui, c’est elle, c’est bien elle que je cherchais. C’est l’amie idéale pour nos lectrices, à la fois conciliante et sûre dans sa manière de traiter les sujets qu’elle maîtrise.

L’Amie idéale… l’expression laissait un goût étrange. Tapie au fond de son esprit, elle eut une pensée qui la fit rougir. Non, d’où vient cette idée ? Allons, j’ai l’âge d’être sa mère. Tout comme cette gazette sera ma création, je dois voir cette jeune femme uniquement comme ma créature qui portera l’étendard de mes idées et combattra pour elles.

La pensée qui troubla Isolde ne fut cependant pas totalement   écartée. Une petite graine, dans le terreau fertile de son imagination et de ses désirs, ne demandait qu’à germer. Comme consciente de cela, Isolde s’empressa de poser une question. De quoi la jeune armide parlait-elle déjà ? Ah oui, des couleurs choisies par les écrivelles !

—  Et vous-même, Mademoiselle, quelles couleurs choisissez-vous quand vous écrivez ?

À cette question, la jeune femme ne se troubla pas. Elle semblait à vrai dire s’y attendre. Tirant de son sein un feuillet plié en quatre, elle s’avança respectueusement d’Isolde et le lui tendit. La dame le prit en souriant gracieusement, un peu troublée à l’idée que ce papier avait été en contact avec la gorge de cette délicieuse créature, et le déplia. Voici ce qu’elle lut :

À suivre…

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