Résumé de l’épisode précédent : le bal littéraire se rapproche et Diane fourbit ses armes. Utilisant d’autres baumes d’Astasie de Mirambeau, la voilà devenue une écrivelle qui suscite des rêveries érotico-poétiques à tous ceux qui croisent son chemin. Cela dit, elle agace aussi certaines personnes…
Au même moment, dans l’école de dame Adèle, A***, S*** et C*** s’exténuaient à terminer leurs lignes aux temps de l’optatif.
A*** — Ah ! J’enrage ! Tout ce sot travail à cause de cette chaudaine de Monjouy !
S*** — Cela mériterait châtiment. Tiens ! J’ai ouï dire qu’elle serait présente au bal littéraire.
A*** — Oh ! Allons-y toutes les trois. Tu ne vas pas refuser, C***, Il y aura là-bas plein de livres. Tu sais, ces objets parfumés dont tu as la rage et dont tu te farcis l’esprit. Livre ! Livre ! Ouvrage ! Roman ! Opuscule ! Recueil ! Tome ! Volume !
C*** — Tu n’as pas besoin de me parler ainsi. Moi, je veux bien vous accompagner. Mais comment faire ? Nous n’avons pas le droit de sortir.
A*** — Demandons la permission à dame Adèle, je sais qu’elle a un faible pour moi.
S*** — Ton cul en sait quelque chose. Que épisode drôlatique !
A*** — ’spèce de mauvaise gale ! N’empêche, mon cul a tragédié à un point que tu n’atteindras jamais avec tout ton art. Mais laissons mon cul tranquille. Je vais donc demander à Adèle et si cela ne suffit pas, toi, S***, demande à dame Daelyn et toi, C***, à dame Odile, puisque tu es sa choupeton adorée.
C*** — Ce n’est pas vrai, arrête avec ce mot ! Nous avons juste le même goût pour les belles phrases, c’est tout.
S*** — Tu as été bien lèchemielle lors de sa leçon tantôt.
C*** — Oh ! Et pourquoi cela ?
S*** — je ne sais pas, ta manière de déclamer les vers en battant des cils, c’était assez détestable. Mais n’importe, je suis du même avis qu’A***, demandons-leur la permission en mettant en avant les bienfaits de ce bal pour l’intelligence des pauvres apprenties Callaïdes que nous sommes.
C*** — J’y songe, nous pourrions demander à Al*** de nous accompagner.
A*** — Non-da, pas trop envie de m’embarrasser d’une taiseuse.
C*** — Tu es méchante. Personne ne lui parle.
S*** — Elle ne fait rien non plus pour que cela arrive. Essaye si tu veux, je suis sûre qu’elle refusera.
C*** — Peut-être, mais ça lui fera au moins plaisir que je lui propose.
A*** — Fais comme tu veux. En tout cas, vivement ce bal ! Moi qui suis la meilleure pour l’art de la comédie théâtrale, croyez-en mon flair : cette Diane de Monjouy est un sacré personnage. Réservons-lui une déconvenue à la mesure de son talent.
C*** — Que vas-tu faire ? Moi, je te le dis tout net, je vais juste acheter des livres de poésie et voir si je peux discuter avec des auteurs que j’apprécie. Je ne veux rien faire d’autre.
A*** (regardant S***, avec l’air de celle qui vient d’avoir une idée mais qui préfère la tenir cachée) — Ne t’inquiète pas, ne t’inquiète pas. Le but est en fait surtout de prendre l’air, de s’échapper une journée de cette prison. Du reste j’en profiterai pour passer à Tabarin voir mon père et m’acheter des culottes de dentelle.
Les trois terribles geôlières de ladite prison ne firent pas de difficultés pour permettre la petite sortie à ces trois élèves pressenties pour devenir Callaïdes pour de bon. A***, bien qu’ayant encore au travers de la gorge cette histoire s’étant passée deux ans auparavant et qui avait valu à son petit cul tout blanc de se voir zébré de coups de verges, fit bien rire Adèle par sa supplique bouffonne.
— Voyons, dame Adèle, je commence à me raccornir, moi, à toujours rester ici ! Ma peau va commencer à peler. Hé quoi ! Ce n’est pas une vie, surtout avec une belle tortionnaire comme vous qui fouette injustement le poitron d’innocentes vierges comme moi !
— C’était il y a longtemps et vous le méritiez largement, avouez-le petite diablesse.
— Je ne dis pas, mais quand même, ce bal littéraire, ça ne se rate pas. Allez quoi ! Soyez donc gentille pour une fois ! Tenez, je vous promets de surveiller C*** afin qu’elle ne se comporte pas comme une maritorne de foire !
Ça ne risquait pas d’arriver mais le tableau fit rire Adèle, qui accepta la requête.
C*** amusa elle aussi – quoique malgré elle – Odile, la maistresse de beau langage.
— Si j’ai beaucoup progressé dernièrement dans vos leçons – je le confesse en toute humilité – je me sens aussi comme un manque. Que les lumières des Belles Lettres sont parfois complexes, capricieuses ! Ce qui me manque, permettez-moi de vous le dire, c’est de rencontrer quelques astres appartenant à cette riche constellation que l’on nomme la Monarchie des Lettres au sein de laquelle brillent de mille feux des auteurs tels que…
— D’accord, d’accord, C***, j’en toucherai deux mots à dame Adèle, la coupa Odile, préférant lui prendre les mains et glisser un léger baiser sur la joue de la jeune fille – qui était effectivement sa choupeton.
Concernant S*** auprès de Daelyn, la maistresse d’art théâtral, ce fut plus laconique. Pour sa requête elle joua l’ingénue voluptueuse et le cœur de la maistresse fondit rapidement, un peu comme Isolde et Capucine.
Pour revenir d’ailleurs au cas de ces deux dernières, si trente ans les séparaient en âge, elles étaient encore plus travaillées de la même dévotion, accablant leur déesse de baisers, de caresses et de présents. Capucine permettait maintenant à Diane de prendre deux objets au lieu d’un dans le salon de l’aïeule, tandis qu’Isolde y allait de petites bourses emplies d’écus, prétextant qu’avec une telle beauté elle se devait d’avoir un grand voluptuaire – en réalité pour confusément se l’attacher, craignant qu’une autre ne se l’accapare.
Au milieu de leurs caresses, Diane se laissait faire. Elle semblait même y prendre du goût, à tel point que Capucine se prit sérieusement à espérer – même si leurs rencontres continuaient toujours d’avoir lieu dans la désespérante Cachette étoilée. Un soir, elle se saisit de la main de la jouvencelle pour la guider à un certain endroit et l’y frotter doucement, recouvrant ses doigts d’humide tiédeur, geste qui plongea Capucine dans une abyssale perplexité, la faisant sortir de l’hôtel à la fois pleine d’espoir et terriblement malheureuse.
— Mais Diane… m’aimes-tu ? Même juste un peu ? trouva-t-elle le courage de lui demander la veille du bal littéraire.
— Un peu, c’est certain. Pour atteindre le beaucoup, il faut apprendre encore à mieux nous connaître. L’amour est chose compliquée, surtout avec cinq années d’écart. Mais j’aime ta compagnie et à recevoir tes caresses. D’ailleurs, j’y pense, je sais que tu avais prévu de te rendre au bal littéraire de demain. J’ai réfléchi, je ne le veux pas.
— Pou… pourquoi ?
— J’ai dit que pour le moment, je t’aimais un peu et toi, je le sais bien, tu m’aimes déraisonnablement. Ça se voit comme ton gentil nez au milieu de la figure. Or, il y aura plein de monde, inutile de trahir notre secret.
— Mais.. je… je ne te gênerai pas, je ferai attention, je…
Pour la première fois depuis le début de leur liaison, Capucine essuya un terrifiant regard. Elle n’insista pas.
La vérité était qu’avec ce moment si précieux pour sa gloire, Diane ne voulait surtout pas prendre le risque que la grotesque adolescente replète lui fasse honte.
Mais pas d’inquiétude, trois autres adolescentes, qui n’étaient ni replètes, ni grotesques, allaient s’en charger…
À suivre…