Aalis de Castalia

Chez les Callaïdes, elle est supposée incarner Danallis, la nymphe aux cheveux de feu. Supposée car si on ne peut mettre en doute la rousseur de ses cheveux (roux cornalin selon ses dires, elle tient à ce qu’on ne les mélange pas avec une autre nuance), difficile de voir en elle la meilleure servante de cette déité représentant la tragédie. En effet, dotée pourtant d’une jolie voix, elle a bien du mal à être prise au sérieux quand elle se met à déclamer les beaux vers poignant d’un Guillet ou d’un Mondorcet. En revanche, quand elle se met à comédier, c’est autre chose, surtout lorsqu’elle joue du Montsorlin. Elle éclipse alors toutes les autres.

Au temps où elle était fillette, la jeune Aalis, fille d’un noblion désargenté ayant fait un bon mariage avec une dame – avant de la décevoir et d’avoir à éduquer sa fille par lui-même –, a passé son temps à traîner son derrière crotté dans les rues du quartier pittoresque de Tabarin en compagnie de galopins de son âge. Et puis, passant un jour tout près d’un gouffre, elle fut obligée par son père de se rendre à l’école de dame Adèle, l’école où l’on forme les potentielles futures Callaïdes.

Aalis chez elle, probablement occupée à apprendre un rôle pour une comédie de Montsorlin. Elle a bien raison, il convient d’être parfaitement à son aise quand on a une tirade de cent vers à maîtriser. Tout à fait le genre de professionnalisme que j’apprécie.

Pour le caractère, bonne fille, la mère Aalis, même si sa tendance à jaboter et se vautrer dans les moqueries ont tendance à susciter des scène avec les autres Callaïdes – une en particulier. Et dessalée avec ça, en tout cas se piquant de l’être. Elle affirme ainsi avoir palpé dans sa main les couillons d’un garçon alors qu’elle n’était âgée que de douze ans ! Allez savoir si c’est vrai. En tout cas, âgée de dix-sept au moment où commence Charis de la nuit, sa silhouette élancée, ses yeux verts, sa peau de lait et ses seins piriformes lui valent d’essuyer bien des regards flatteurs quand elle évolue dans les corridors du château.

Portée sur la joie, l’amour et l’amitié, elle ne tombe pas moins par moments dans de mélancolieuses pensées. Le portrait qui ouvre ce portrait a été exécuté par Charles-Amable Lenoir et a pour titre : À la Recherche du temps perdu. Simple coïncidence ou y a-t-il un véritable rapport avec Proust ? J’ai cherché des informations mais n’ai rien trouvé. Peut-être que Lenoir l’a-t-il simplement lu et que, marqué par les Gilberte, Albertine et autre Andrée, il y est allé de sa jeune fille en fleurs.

C’est d’ailleurs dans ce roman qu’une des jeunes filles (Andrée, si je me souviens bien) cause une vive frayeur à un vieux banquier maladif allongé sur un pliant à côté d’un kiosque à musique. « C’pauvre vieux, i m’fait d’la peine, il a l’air à moitié crevé », dit alors la fille « d’une voix rogommeuse et avec un accent à demi ironique. » Il y a de la Aalis dans cette farceuse. La Callaïde dispose par ailleurs d’une servante prénommée Albertine et cherchera, le temps d’un chapitre, à retrouver son temps.

Gaspard Auclair

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