Résumé de l’épisode précédent : Ce que l’on craignait est sur le point d’arriver : tombant en déraison, le narrateur des Callaïdes joue au coquet galant auprès d’Anaïs Doucet et cette dernière ne trouve rien mieux que de lui donner rendez-vous la septaine suivante — mais cette fois-ci chez elle…
Je quittai La Gazette un rien hagard. Avant d’en sortir, Josette m’avait arrêté pour m’informer de l’adresse d’Anaïs – que cette dernière avait dû lui demander de me transmettre. Cela gâcha bien un peu l’instant car on eût dit lors une vieille houlière faisant son travail d’entremetteuse dans son hôtel de déduit. N’empêche, je sortis bien étourdi et fort songeur. Et, plutôt que de chercher à attraper la première charrette venue pour rejoindre Taillefontaine, j’entrepris de traîner ma carcasse à pied pour profiter de cette lieue et trier dans ma tête le raisonnable du déraisonnable qui devait être en quantité… déraisonnable justement.
Assez vite, voici comment je vis les choses, ou plutôt comment mon corps les vit : ma braguette demandait clairement Anaïs tandis que ma tête estimait que Pauline ne pouvait être que mon seul horizon. Et de fait, alors que chacun de mes pas me rapprochait de Taillefontaine, tout ce qui allait avec ma maison, c’est-à-dire certaines responsabilités vis-à-vis de deux bouches – bientôt trois – à sustenter, ne cessait de prendre de la place et de m’intimer à rester sage. Mais voilà, entre la braguette et l’esprit, il y avait cet organe complexe, le cœur, et là, il me fut bien difficile de le sonder. Si je me demandais si j’aimais Anaïs, aussitôt la braguette se réveillait et me disait : « Mais comment donc ! Bien sûr que tu l’aimes ! Revois-la, revois-là, d’elle dépend ton bonheur ! » Et pendant que Braguette formulait ces conseils, Esprit écoutait en prenant un air dédaigneux.
En revanche, si je me demandais si j’aimais Pauline, c’était Esprit qui se réveillait et qui me disait : « Mais bien sûr que tu l’aimes ! Et puis, c’est ta femme, vous avez un fils et allez bientôt avoir un deuxième enfant. Tout cela ne doit pas peser pour rien. » Mais en entendant ces mots, Braguette ricanait pour en atténuer la portée.
Réellement, je ne savais où en étaient mes sentiments pour l’une ou l’autre. J’avais trouvé Pauline lors de la septaine bien tête à gifles mais cela signifiait-il que je ne l’aimais plus ? Inversement, mon sang avait coulé à gros bouillons lorsque je m’étais trouvé dans la petite pièce en compagnie d’Anaïs. Mais était-ce parce que mon cœur se dilatait à sa vue ou parce que ma braguette avait besoin d’être irriguée pour son subit triplement non, son quadruplement de volume (depuis tout petit, j’ai toujours aimé me vanter sur certains chiffres) ? Tout cela n’était pas simple à démêler et pour m’y aider, je m’efforçai à songer à de vieux sages, notamment l’illustre Gaubert, cher au cœur de Charis. Je l’imaginai marcher à côté de moi, écoutant patiemment mon cas de conscience. Mais cela ne me menait pas bien loin puisqu’il me conseillait de déposer les enfants à l’hospice et de m’en tenir à une vie austère avec Pauline, sans même chercher à cabrioler de temps en temps. C’était bien peu engageant, et je me demandai comment Charis, qui ne dédaignait certes pas les cabrioles, elle, pouvait avoir autant de goût pour une personne au caractère si éloigné du sien. Non, la peste étouffe le vieux Gaubert, il m’en fallait un autre, de sage. Tenez, un exemple de la sagesse shimabie, toute d’épure et de bon sens. Las ! En fait de vieux sage, ce fut Sharaku (1) qui s’imposa à moi. Là aussi, je l’imaginai marcher mes côtés, heurtant le sol de sa canne d’aveugle, se grattant les couillons et bâillant d’ennui à m’écouter, enfin du moins jusqu’à ce que j’évoque précisément le nœud du cas de conscience (nulle syllepse ici), éveillant son intérêt, sa concupiscence ainsi que d’indiscrets commentaires que le pauvre Jan avait eu bien souvent à subir sous ma plume.
SHARAKU — Si j’ai bien compris, après être entré dans le moule du style de la conteuse, tu aimerais maintenant te mouler dans son derrière, exactement comme Takobori, le dieu poulpe, avec la pêcheuse de perles de la légende.
MOI — Voyons, maistre, je ne sais pas si on peut le formuler ains…
SHARAKU — L’aimes-tu ?
MOI — Mais il encore trop tôt pour…
SHARAKU — Donc tu ne veux pour le moment que jouer une sonate de carillons avec elle. C’est bien la meilleure des musiques, va ! Il n’y a pas de mal. Et ta Pauline, l’aimes-tu toujours ?
MOI — C’est qu’en ce moment nous nous faisons des grouins, donc la question est peu ais…
SHARAKU — A-t-elle de gros tétins ?
MOI — Mais je ne vois pas en quoi…
SHARAKU — Ferme-la et réponds seulement. Malgré les apparences, c’est une question fondamentale. Alors ?
MOI — Mais… oui. D’assez belle taille je crois, et encore plus depuis la porture.
SHARAKU — Elle en est à combien de mois ?
MOI — Elle arrive à son septième.
(Sharaku tombe un instant dans une intense rêverie, rêverie probablement tapissée de gorges de tétonnières).
SHARAKU — Tu as bien de la chance… ça me rappelle une pierreuse d’Iképongi (2) qui était dans le même cas que ta Pauline. Bien sûr, les clients devaient la ménager. Interdiction de lui pénétrer sa nature ! Mais c’était égal, sa porture lui avait levé une gorge prête à craquer de partout. On payait pour s’y vautrer des heures et même y prendre la tétée. Ah ! Comme le temps passe ! J’ai encore le goût de son lait sur la langue !
MOI — Mais enfin, Pauline n’est pas une pierreuse !
SHARAKU — Hum ! Oui, certes. Mais enfin, quand vous dormez dans la même couche et que tu sens son corps de tétonnière respirer tranquillement à côté de toi, cela t’apporte-t-il de la paix ou du tourment ?
J’eusse été bien hypocrite d’hésiter à répondre, moi qui avais dernièrement dormi le chef niché entre deux oreillers de chair. Certes, cela m’avait valu d’abord un rêve bien tortueux mais enfin, la chaudure du corps contre lequel j’étais peloté m’avait d’abord très vite apaisé.
MOI — Vous savez, Pauline est belle, et bien plus jeune que moi et donc… (Sharaku sursaille)
SHARAKU — Hein ? Plus jeune de combien ?
MOI — De vingt ans environ. Elle va sur ses vingt-cinq.
(Sharaku réfléchit intensément, le chef sur le point d’érupter)
SHARAKU — Récavit… récapitulons : tu es vieux, tu ne ressembles à rien, et tu es donc marié à une armide paysanne, de vingt ans ta cadette et pourvue de gros seins.
MOI — Oui, j’ai cette chance, et vous allez donc me conseiller de lui rester fid…
SHARAKU — Surtout pas malheureux ! C’est bien mal me connaître ! Voici mon conseil : ensemence la nature de ta conteuse, et fais la même chose sur les tétins de ton armide engrossée, en attendant de faire mieux quand elle sera délivrée de son ballot. Songe d’ailleurs que par cet acte tu feras une offrande à Maïna. Je ne te la présente pas, tu sais fort bien qui elle est. (3) Sans compter que ton cinquième charkâ (4) baignera dans un déduit qui ne contribuera pas peu à enbonheuriser ta vie.
MOI — Mais… faut-il que j’en parle à Pauline ?
SHARAKU — Si tu veux devenir aveugle comme moi, oui.
MOI — Comment cela ?
SHARAKU — Ma foi, j’imagine que ta Pauline t’arrachera aussitôt les yeux si tu lui dis que tu aimes à répandre ta semence dans le baquet d’une autre. Non, imbécile ! Ne dis surtout rien. La nuit, fait naviguer tes couillons entre les récifs tétonniers de ta femme et le jour, souque ferme pour mener ta barque dans les flots souterrains de ta conteuse. Tu ne feras que profiter de la vie en compagnie de femmes qui elles aussi en profiteront.
MOI — Mais…
SHARAKU — Quoi encore ? Tu commences à m’échauffer. Tu ferais mieux plutôt de me décrire le cul de ta conteuse. Ce doit être quelque chose ça, que le cul d’une conteuse !
MOI — Mais tout de même… et l’amour dans tout cela ?
SHARAKU — Peuh ! Il est partout et nulle part. Laisse le cinquième charkâ te conduire, lui seul rend heureux. Et l’amour, si vraiment cela est important pour toi, l’amour suivra.
Et à ces mots dont la sagesse me semblait d’un abord à la fois limpide et compliqué, je vis que la lieue était achevée : devant moi le clocher de notre petite église et la silhouette de notre masure avec, à l’intérieur, ma jeune armide paysanne tétonnière et en porture, que Sharaku me conseillait donc d’offrander à Maïna…
À suivre…
(1) Voir Livre II – Tome II : Extases du Shimabei.
(2) Idem.
(3) Le lecteur peut-être moins. Voir Extases du Shimabei.
(4) Derechef, voir Extases du Shimabei.