La conteuse d’elle-même (4): sot !

Résumé de l’épisode précédent : humilié par sa gazette, humilié par sa femme, humilié par ses propres personnages, le narrateur des Callaïdes n’a plus qu’une seule chose à faire : aller se coucher ! C’est sans doute — nous l’allons voir maishui — ce qu’il y a pour lui de mieux à faire…

Tout en essuyant de la manche des larmes de rage, j’esquissai un sourire mauvais à cette idée, sourire qui se figea car, devant moi, faiblement éclairé par une bougie agonisante, le cul de Pauline, libéré des entraves de sa robe de songes par de bienheureux mouvements sur le lit, s’offrit non seulement à ma vue mais permit surtout à mon esprit de trouver la clé permettant de se libérer, lui, de tous ses tracas.

Je sais, ami lecteur, il s’agit de la troisième histoire illustrant les aléas de ma vie et sans doute te dis-tu que j’exagère sur les amorces narratives qui, systématiquement, donnent à voir de belles parties acourbées de ma douce. Et pourtant, tout cela n’est que pure vérité et je n’y peux rien si la combustion du petit âtre dont nous avons la chance de disposer dans notre chambre, associée à celle du corps d’une femme grosse, accablent très vite Pauline de chaleurs dans sa somnance et lui donnent l’envie de se délivrer de la courtepointe.

Dehors était ce soir-là, je crois, la lune en son plein. Et face à moi, éclairées par les miroitements d’une bougie, se trouvaient les deux moitiés de la lune de Pauline qui m’évoquèrent aussitôt les vers du Poète de Cymbadie :

Mais pour ce qui est de ses fesses, ya Ashah ! elles sont de bonne nature, et quand elles s’élèvent et s’abaissent on les prendrait pour les vagues d’une mer de cristal ou pour des montagnes de lumière.

Prestige et pouvoir de la poésie cymbadienne ! Et du Beau, aussi. Le lecteur le sait, moi, je n’aime que lui. Et devant le spectacle de cette lune caressée par les frêles miroitements de la bougie, j’oubliai toutes mes affres.

Mais aussi mes vêtements.

En quelques mouvements je les fis tomber à terre et, dédaignant de trouver dans la semi-obscurité mes habits de nuit, je grimpai sur le lit, passai par-dessus le corps de Pauline pour me coincer entre elle et le mur en chien de fusil, tourné en sa direction.

Mes pieds et mes mains étaient terriblement de glace, aussi était-il inutile de les poser contre des parties de son corps pour les eschauffer, je savais qu’elle détestait cela. Pour les pieds, il n’y avait rien à faire. En revanche, pour les mains, je n’hésitai pas et les appliquai sur ma personne, à l’endroit qui, chez les hommes, est toujours à bonne température. Je les y laissai quelques minutes en me disant qu’une fois la tiédeur revenue, je pourrai les retirer pour les apposer sur ce qui me faisait face.

Car voyez-vous, Pauline n’aime que les robes de songes fort larges. Cela revient cher à l’achat puisqu’elles coûtent davantage. Mais le bénéfice est de permettre un débraillé esthète fait pour attirer la convoitise des cauchemares, des incubons, des surgeseurs et autre Gaspard Mercier.

Mes yeux s’étaient pleinement habitués à la pénombre faiblement secourue par la bougie qui n’avait plus que quelques minutes à vivoter encore. Devant eux se trouvaient, lourds, ballants, affaissés sur le matelas, échappés de l’échancrure de la robe de songes, deux seins de femme grosse arrivée dans ses deux derniers mois de porture. Ils se préparaient à accueillir le presque nouveau venu, ils convoquaient les puissances de la matrice et les mystères de la nature pour se gonfler, tendre la peau afin de les gorger d’une sève nourricière. D’ailleurs, l’un d’eux laissait perle à son bout une goutte qui n’était ni de l’eau, ni totalement de cette sève. C’était quelque élixir préparatoire qui témoignait de l’alchimie qui était en train de se faire à l’intérieur.

Mes mains, bien réchauffées maintenant, quittèrent leur âtre personnel et s’avancèrent, émues, vers les deux masses. Mais alors qu’elles n’avaient plus qu’à parcourir trois pouces pour atteindre leur but, Pauline m’enlaça de son bras dextre et tout en plaçant la main derrière mon crâne, elle joua des hanches pour avancer son corps et placer ma face tout contre les oreillers convoités. « Ya Ashah ! » eussé-je pu m’exclamer. Mais ce ne furent pas ces mots qui éclaboussèrent le silence et la nuit.  Revenue de ses songes pour y retourner très vite, Pauline ne laissa tomber que ces trois lettres :

« Sot ! »

Il n’y avait pas matière à débat. Du reste, la gueule pressée contre les douces masses mamelliques, il n’était pas aisé de donner la réplique. Et puis, c’était dans un autre âtre dans lequel je me trouvais plongé et il ne fallait pas lutter. C’est qu’entre tomber dans les bras de Nyxée ou au milieu des tétins de Pauline, il n’est finalement aucune différence et, maintenant que la chandelle s’était tue, il n’y avait plus qu’à se laisser combuster doucement comme une vieille bûche. Une autre chandelle, qui m’appartenait, tenta bien de prendre le relai de l’autre, mais l’obstacle du ventre associé à l’engourdissement du cataplasme  de chair qui me couvrait la face firent que la chandelle se moucha d’elle-même. Ce fut très bien ainsi.

Alors que, plus bas, une petite créature habitait les flots eux aussi obscurs et chauds du ventre maternel, j’éprouvais la curieuse sensation de faire moi aussi partie de ce corps et que les battements de ce cœur répondaient aux miens et à ceux de la créature.

Sot…

De nouveau ce mot, cette fois-ci chuchoté et bientôt suivi d’une respiration qui indiquait que Pauline n’aurait pas à le dire une troisième fois. Je ne tardai pas, moi non plus, à la suivre.

Et la nuit se passa fort bien.

Enfin, du moins jusqu’à cet étrange rêve.

À suivre…

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