Quand les belles endormies font de curieux rêves

« Dans les bras de Nyxée », expression équivalente à « dans les bras de Morphée » est une expression que j’utilise régulièrement dans Les Callaïdes. Je n’ai jamais vraiment cherché à inventer une histoire sur Nyxée, cela viendra, peut-être. Ce qui est sûr, c’est que lorsqu’ils tombent dans ses bras, mes personnages ne connaissant pas forcément un de ces sommeils de plomb qui vous font traverser la nuit sans le moindre rêve.

Car si le lecteur a lu ma nouvelle La Conteuse d’elle-même, il l’aura probablement deviné : j’aime raconter des rêves. Dernièrement, je me suis amusé à inventer une curieuse créature appartenant aux croyances folkloriques de mon univers : l’onivice. J’en ai aussitôt profité pour mettre une de mes héroïnes sous influence onivicienne afin de conter un rêve (irracontable ici) sur une dizaine de pages.

Et il n’en va pas autrement d’Aalis, héroïne du Livre III dont le premier jet vient de s’achever. Au moins lui ai-je fait grâce de l’onivice (elle en bave tellement, la pauvre !), mais sans vergogne, j’ai pénétré dans sa psyché afin de restituer un de ses rêves. Avec un tel prénom, on se dit que le songe doit partir dans tous les sens. Il est en fait assez bref (bien plus court que celui, par exemple, de Charis dans le Livre I) et limité dans ses potentialités symboliques. C’est tout l’art : donner des pistes, des signaux au lecteur sans qu’ils annoncent trop lourdement ce qui va advenir. Et s’il a oublié entretemps le rêve au moment de lire un passage qui était annoncé par ce dernier, ce n’est pas plus mal. Les rêves, on le sait bien, sont volatiles et capricieux.

En dehors du plaisir de tenter d’aiguillonner la curiosité du lecteur, il y a celui de se plonger dans un autre type d’écriture. Si j’écris relativement vite, la cadence s’accélère encore lorsque j’écris un de ces rêves. Les barrières du réalisme, du vraisemblable, volant en éclats, on peut alors s’adonner aux plaisirs de l’écriture automatique sans la moindre contrainte. Enfin si, de contraintes, j’en vois une et pas des moindres : celle de se mettre dans la peau d’un personnage afin de révéler son subconscient. Mais ici, immédiatement, j’hésite. Se mettre dans la peau, vraiment ? Combien de fois ai-je eu l’impression qu’en réalité, mes personnages étaient comme autant de divas et d’acteurs capricieux qui refusaient à ce qu’une instance supérieure se mettent « dans leur peau » ? Certes, au bout du compte, j’ai toujours le dernier mot puisque chaque livre a pour objectif d’arriver à un point B clairement défini dans mon esprit. Mais entre le A et le B, que de détours ! détours souvent improvisés, comme subitement décidés par tel ou tel personnage.

Et dès lors, pour revenir aux rêves, je me demande parfois si j’en suis le créateur ou le simple transcripteur. Bon, je ne vais pas non plus me décrire comme sujet à une transe chamanique lorsque j’écris ce genre de passage, mais le rapport aux mots, aux phrases, à l’écriture y est certainement différent.

Et aux vrais rêves s’ajoutent maintenant un autre type de rêves, ceux que l’on pourrait appeler « rêves éveillés. » Cela n’a rien d’original, il s’agit juste de placer les personnages dans une posture de lénifiante rêvasserie ou d’incrédulité face à la réalité de ce qu’ils vivent (et vu les épreuves qu’ils traversent, il y a lieu de l’être, incrédules). C’est le fameux « pince-moi je rêve » qui, le temps d’un instant, suspend le temps. Mais plus intéressant est l’effet lorsqu’il tend à durer. C’est ce qui est arrivé dernièrement lors d’une scène placée à un endroit crucial, scène qui a d’ailleurs fait intervenir un nouveau personnage et qui m’a fait penser : « Pincez-moi ! Je rêve ! C’est lui ! C’est bien lui ! »

Le Livre IV n’a pas encore le moindre mot d’écrit mais, pour certaines raisons liées à la trajectoire des personnages, il devrait être généreux en rêves, réels ou éveillés (c’est curieux d’écrire « rêves réels »). Ce sera sans doute une bonne chose car il n’est pas impossible qu’il soit le plus sombre du cycle.

Gaspard Auclaur

 

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