La Conteuse d’elle-même (30) : Gringoire et son nouveau chien mastin

Résumé de l’épisode précédent : Bien que prié par Brigandin et Anaïs Doucet de ne parler à personne de leur accord, le narrateur des Callaïdes s’est empressé de le révéler à Pauline qui ne voit pas d’un bon œil cette aide créatrice dans l’œuvre d’une autre. Il quitte la maison pour aller se promener dans le village, la laissant les yeux rougis et la suspectant d’être un brin jalouse…

J’en étais à ces pensées lorsque mes pas me firent arriver devant le jardin de la maison de Gringoire. Rien d’anormal, à un détail près : l’ours ! Oui, l’ours que j’avais évoqué dans Le Rachat, la bête qui avait tenté de s’infiltrer dans le jardin de Gringoire afin d’y chaparder je ne sais quelle denrée et qui s’était enfuie lorsque Gringoire avait surgi pour l’agonir de grossières insultes. Il avait fini par revenir et même plus que cela : loin de faire le renard discret, il attendait à dix pas de la porte d’entrée, le cul posé au sol, comme un bon petit chien attendant que son maître lui apporte sa pitance !

Comme tout le monde, je me méfie des animaux sauvages, mais là, rien de tel. L’ours avait l’air bien fatigué, il ne cessait de bailler. En m’apercevant, il m’observa peut-être pas d’un air intelligent mais comme si j’étais une connaissance. C’est tout juste s’il ne leva pas la patte pour me souhaiter le bonjour !

J’entendis cependant des pas derrière la porte d’entrée, qui s’ouvrit, laissant apparaître Grégoire avec je ne sais quel volatile qu’il avait plumé.

— Ah ! Encore vous Gaspard ! Le voyage à Nantain s’est bien passé ?

— Fort bien, merci. Mais me direz-vous ce que fait cet ours à attendre dans votre jardin ?

— Ce fils de corniaud ? Figurez-vous que je l’ai surpris il y a trois jours la gueule coincée dans ma ruche. Je suis venu lentement par derrière lui, avec un bâton, et lui en ai administré une généreuse rasade. Mais figurez-vous que loin de s’enfuir…

— Quoi ? Il vous aurait attaqué ?

— Nullement. Oh ! J’aurais bien aimé voir ça ! Non, il s’est laissé faire en gémissant et en prenant l’air le plus malheureux qui soit ! C’est sans doute sa pierreuse de mère qui a dû lui apprendre ce tour ! En tout cas, il a marché avec moi car au bout d’un moment je me suis arrêté de le battre et je lui ai fait la leçon. Les bêtises que je lui ai dites ! « Enfin quoi, gros empaffé, on demande au moins ! Je ne suis pas plus méchant qu’un autre, tu m’aurais demandé un setier de miel, peut-être que je t’en aurais donné. Ou gratte à la porte poliment la prochaine fois, j’aurais peut-être sous le coude un bout de viande à partager en frère ! »

— Ha ! ha ! Et vous pensez qu’il a compris ?

— Hé ? D’après vous pourquoi se trouve-t-il là ? Je lui ai dit d’attendre parce que j’allais lui apporter quelque chose. C’est un des faisans que j’ai capturés ce matin, je m’en suis gardé un avant de donner les autres à ta dame.

— Je vois que vous portez même la prévenance jusqu’à le plumer pour lui faciliter le repas.

— Oui, hein ? Est-on parfois bête avec les animaux.

— Vous pourriez en faire un animal de garde. Les villageois ont des chiens mastins, vous, vous auriez un ours !

— Figurez-vous que j’y ai songé. Mais je ne veux pas non plus qu’il y ait d’incident. Peut-être que l’attacher avec une chaîne de trente pas, pour qu’il puisse gambader tout en évitant qu’il s’approche d’un passant serait la solution.

— Est-ce vraiment utile ? A-t-on entendu dire dernièrement qu’un villageois avait été agressé par un ours ?

— Non, je le saurais. Réellement, regardez, il n’y a pas plus doux que ce bâtard !

Et il donna une vigoureuse taloche sur le crâne de l’ours. Il poussa aussitôt un grognement mais rien d’inquiétant tant il me fit penser à un gros ronronnement de chat. D’ailleurs, Gringoire enchaîna avec de petits tapotements sur la nuque qui lui firent relever le museau afin de lui lécher la main.

— Faites-lui bien comprendre de ne pas saccager votre jardin, de simplement attendre pour que vous lui apportiez sa pitance. Et quand il a fini, qu’il retourne dans sa nature, peut-être a-t-il une amie qui l’attend.

— Oui, je vous avoue que je n’aimerais pas tellement à le voir avec un collier au bout d’une chaîne. Tenez, comme vous avec Pauline. Ho ! ho !

Habituellement, j’eusse ri de cette saillie, je l’eusse même exagérée plaisamment. Mais là, je ne sus pourquoi, je pris un air vexé, ne sachant quoi répondre.

— Allons, c’est pour rire, hein ! fit Gringoire, voyant mon embarras. D’ailleurs, puisque je parle de Pauline, il faut que je vous dise une chose. Ce matin, quand vous êtes parti, eh bien elle s’est mise à pleurer.

Encore ! Décidément cela faisait beaucoup pour quelqu’un qui ne pleurait jamais.

— Mais pour quelle raison ?

— Comme ça, sans aucune raison. Bon, vous savez comment sont les femmes quand elles sont grosses, c’est tout détraqué de partout donc il ne faut pas chercher à comprendre. Elle est allée se promener avec Clément pour respirer le bon air, je gage que la crise a été rapidement passée. Mais ça fait de la peine et je voulais vous le dire, juste histoire d’être vigilant.

— Et vous avez bien fait, merci.

Je quittai Gringoire et son ami plantigrade fort songeur. Qu’étaient-ce donc que toutes ces larmes que Pauline, pourtant avare pour ce qui était de verser ce type de liquide, avait subitement en quantité ? Un détraquement de porture, sans doute, comme le suggérait Gringoire. Mon dieu ! et dire qu’il restait cinq mois ! Je soupirai et me rendis à une petite prairie où il faisait bon s’installer armé d’un bon livre pour passer le temps sous le défilé d’un troupeau de moutons nuageux. Je ne sais pas si le livre que j’avais mis dans ma poche était bon (il s’agissait de L’Amour en nueté, d’Anaïs), mais je comptais bien employer au moins deux heures pour en extraire son art.

À suivre…

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