Direction le Shimabei aujourd’hui, avec le moine Takuan Benyu, contemporain aux événements du cycle.
Au Shimabei, on ne s’embarrasse pas avec une certaine morale, on a beau servir un dieu, ce n’est pas pour autant qu’il faut faire une croix sur certaines activités. Aussi les moines sont-ils libres de faire ce qu’ils veulent avec leur anatomie et le moine-poète Takuan Benyu ne s’en est pas privé, à en croire du moins la longue liste de ses kangas, brefs poèmes de trois vers, avec deux heptasyllabes encadrant un nonasyllabe.
Un matin, la princesse Ayamé eut la surprise de voir arriver une de ses Jidamas, Mana Irié, avec le visage criblé de caractères shimabis qu’elle n’était pas parvenue à totalement effacer. L’étude de ce kanga apporte sûrement un élément d’explication :
Arrogance juvénile
Plume d’encre sur peau lactescente
La Jidama se gémit.
On a bien sûr beaucoup glosé sur ce poème et on est arrivé à cette conclusion : de passage au château du roi Senki, Takuan a fait la rencontre de la Jidama. Une discussion un peu déplaisante a suivi (l'”arrogance juvénile”) ainsi qu’un pari perdu et une étrange punition : Mana Irié a dû se laisser écrire sur le visage (mais peut-être aussi sur tout le corps) tout un texte (sans doute des prières exaltant l’humilité ?)
À noter l’étrange construction : « La Jidama se gémit. » Comment diable peut-on « se gémir » ? Là aussi, beaucoup de glose a été déversée sur ce vers. Pour ma part (et Gaspard Mercier, qui m’a envoyé ce poème – et qui l’a même adroitement traduit, ses ressources érudites étant infinies – est du même avis), je pense qu’il n’y a pas eu qu’un simple atelier de calligraphie sur le corps de la Jidama.