Un terrible événement récemment conté m’a rappelé l’existence de quelques vers dans Atysis, tragédie de François Hédenault qui sera évoquée dans le tome I du Livre III (à paraître bientôt). En voici l’argument :
Un jeune prince (Atysis) tombe amoureux d’une de ses esclaves (Haydée). Or, il doit se marier à une princesse (Astérée), mariage crucial pour maintenir la concorde entre deux royaumes. Il refuse obstinément, allant même jusqu’à menacer de s’enfuir du royaume avec son esclave.
La scène 5 de l’acte II nous le montre pour la première fois face à sa mère qui n’est pas loin d’ordonner l’exécution de Haydée pour permettre le mariage.
Forcément, le personnage d’Haydée, avec son prénom dumasien, fait tout de suite ressentir une certaine sympathie à son égard. Ce qui n’est sûrement pas le cas de la reine, à qui la belle esclave répond ainsi (les notes sont de Gaspard Mercier, le narrateur des Callaïdes, qui m’a transmis cette précieuse œuvre du répertoire tragique que les Callaïdes ont à connaître – je l’en remercie) :
HAYDÉE —
Comment dois-je t’appeler ? Mère autoritaire,
Reine abhorrée ou simplement femme sans cœur ?
Il n’est pas bon de te parler avec colère,
Toi qui es cernée d’une boue de vils flatteurs
Et que j’avoue atuisier (1) sans déplaisir,
Devant tes gens, tes courtisans et ton beau sire
Moi, fille maudite, fille sans parenté,
Sans dieu, sans honneur et sans entendement (2)
N’ayant pour confort que cette frêle beauté,
Trop heureuse d’avoir su toucher mon amant
Qui l’a honorée hier (3) encor de ses caresses.
Oui, à ma nature d’esclave, je confesse
Qu’une autre a répondu et a été comblée. (4)
Pleine d’horreurs subies depuis que je suis née,
J’étais vierge d’amour et de contemplation,
Passant ma vie dans de sinistres afflictions.
Et puis, j’ai rencontré, après l’accablement,
Cet homme de bien et généreux amant
Qui, je le sens, de fille à mère m’a changée
En attendant de devenir son épousée.
Cela n’est pas selon ton ordre, je le sais,
Et il ne tiendrait qu’à nous pour que l’hyménée
Avec Astérée soit bafoué par notre fuite,
Loin, loin de toi et de tes royaux parasites.
Pour Atysis, je pourrais me crever les yeux
Ou me les ôter pour les donner à ces chiens
Auxquels tu livres, parmi mon peuple, tous ceux
Dont tu as décidé qu’ils ne valaient rien.
Je pourrais en parfond me larder le visage
Afin d’en tirer un bout et le dévider
Pour arborer un masque sanglant et sauvage,
Me faisant prendre en horreur sauf de mon aimé.
Je pourrais aussi d’un couteau m’ouvrir le ventre
Et en extirper le fruit de notre union
Dont il eût pu être la douceur et le chantre,
Pour te l’offrir en crachant à ton altier front.
Mais de tout cela je ne ferai rien, hely !
Car j’ai compris. À l’esclave la quiétude
Est refusée. La fuite sera un délit
Et nous n’obtiendrons aucune mansuétude
Tant que vivra toujours cette nommée Alcione.
Ô Atysis ! Pardonne-moi ce mauvais tour
Mais reçois céans de ta servile lionne
La preuve de son chagrin et de son amour.
(1) tutoyer.
(2) au sens d’intelligence.
(3) synérèse ici.
(4) vers explicite très contesté à l’époque.
Voilà. Je me garderai bien ici de dévoiler en quoi consiste la preuve du chagrin de la pauvre Haydée, et encore plus de préciser les circonstances dans lesquelles on découvre cette tirade. Comme Alfred Hitchcock dans la fameuse bande annonce de Psychose, je dirai juste ceci : « It’s very important. »
Gaspard Auclair