Résumé de l’épisode précédent : le narrateur des Callaïdes est enfin arrivé au bout de son rêve, ou plutôt de son cauchemar puisque la vision de la conteuse d’elle-même s’arrachant la peau du visage n’avait franchement rien d’apaisant. Apaisante, par contre, la poitrine de Pauline l’est. Réveillé tout contre elle, la pointe d’un tétin fichée dans l’œil, le narrateur reprend ses esprits… et s’inquiète : cette conteuse d’elle-même ne pourrait-elle pas être Pauline qui, depuis quelque temps, montre des envies d’écriture ?…
Mais des paroles de Charis et d’Aalis me revinrent, paroles qui avaient nettement dissocié les deux femmes. Enfin, je croyais, car la netteté du rêve était comme celle de tous les autres, à savoir éphémère et il était possible que je me trompe. Dans tous les cas, j’entrepris de démêler les enseignements du songe. Je ne vais pas t’infliger les méandres de mes réflexions, d’autant qu’elles s’avérèrent peu fructueuses et surtout prétexte à rester collé contre le corps tout chaud de Pauline, bon moyen de m’extraire de l’horreur de la conteuse s’arrachant le visage. J’avais recollé ma hure contre sa poitrine, en prenant soin de ne pas m’entétiniser de nouveau l’œil (qui allait mieux), mais en essayant une troisième voie dans l’art du toucher maméllique, entre la palpation et la caresse, étude passionnante, bien plus passionnante que l’étude des langues, en tout cas autant car ma propre langue entreprit d’y aller de son apprentissage, justement sur le bout que j’avais eu fiché dans l’œil.
Voirement, l’étude était prometteuse à en juger les résultats, sur l’écritoire de chair ma matière montrait des signes témoignant qu’il ne lui déplaisait pas d’être ainsi étudiée de si matin, et moi je me sentais tout tendu vers l’objectif que je me fixais, à savoir pénétrer de ces mystères qui peuvent mettre de bonne humeur pour la journée.
Malheureusement, un bruit retentit : le maudit coq de nos voisins, les Tuvalin. Depuis qu’elle était grosse, Pauline y était moins sensible et avait tendance à s’accagnarder une heure ou deux au lit. De quoi poursuivre l’étude, me dis-je, mais en fait non ; quand j’expliquais que la matière montrait des signes positifs, je ne croyais pas si bien dire : c’était la matière et seulement elle. L’esprit, lui, n’avait pas conscience qu’un écolier pratiquait de drôles de devoirs. Ce qu’il comprit en sortant de son sommeil à cause du coquelet avec, pour conséquence, la fermeture du livre que je me promettais pourtant d’explorer à fond. Je crois qu’il n’y a rien de pire que le savoir ne pouvant être rassasié à cause d’une bête cause matérielle. Ma langue, qui avait soif de savoir et qui commençait tout juste à être assouvie, resta en l’air, stupide, ne pouvant rien faire devant l’ouvrage qui se refermait et basculait sur le côté pour se tenir sur la tranche, me présentant le plat de derrière… qui n’était pas si plat d’ailleurs, et qui pouvait peut-être susciter un nouvel élan vers l’apprentissage. Je songeai à ce terme de volume pour désigner un livre. De fait, du volume, il y en avait.
Mais je ne pus entreprendre une nouvelle étude car le livre se mit à parler !
Excuse-moi… dormir… besoin… mon ventre… fatigue.
On sentait qu’il avait été ardu pour ces mots de s’extraire de la somnance afin de se matérialiser en sons. Une véritable aventure, peut-être encore plus périlleuse que celle que j’avais connue dans mon rêve.
Mon rêve…
Au moins, malgré ma déception d’avoir à interrompre mon étude, j’avais la joie de ne pas me réveiller en découvrant une Pauline munie d’un long couteau et m’observant avec de terribles yeux rouges. Les quelques mots prononcés, à la limite de l’intelligible, étaient porteurs d’un semblant d’affection, c’était rassurant.
Je m’étirai longuement et sortis du lit. En me rendant dans le cénail pour manger un bout, je me rendis compte que ma cotte de nuit était retenue sur le devant, soulevée par une belle bandaison qui, après la chaleur de la courtepointe, faisait affronter la froidure à mes couillons. Après un rêve mémorable, je commençais la journée avec un téton dans l’œil, un corps chaud consolatif et une apparence bouffonne. Que ma vie était intéressante ! Cela dit… un rêve mémorable, pensai-je. Voir.
Sur la table de la salle à manger se trouvaient les habituels plume, encrier et tas de feuillets. Manger un bout attendrait.
Je m’installai, saisis la plume et, profitant que le plus grand silence régnait dans la salle, que je n’avais pas tout contre moi un corps tout chaud pour me parasiter l’esprit et que Clément se réveillait souvent une heure après le chant du coq, j’entrepris de me souvenir, de forcer mon esprit à se remembrer des moindres détails du rêve avant de les perdre pour de bon.
Cela se fit non son mal au début et puis, une idée appelant le surgissement d’une autre, je compris très vite que peu d’éléments manqueraient. Je ne sais comment je fis pour me souvenir cette histoire d’arisis et d’endomyon. Je souris en inscrivant les mots sur le feuillet. J’étais donc obligé de terminer Les Callaïdes si je ne voulais pas me dessécher en mélancoliant plus que de raison. Eh bien ! mes personnages étaient bien impitoyables avec leur maître ! Ceci dit… je suspendis ma plume pour observer le manuscrit du Livre III posé sur un coin de la table. Je trouvai subitement qu’il avait l’air plus massif, plus pesant, plus sévère. Un peu comme un austère maître d’école dévisageant un élève songeard afin de l’inciter à reprendre son travail. Je secouai la tête et repris l’épluchage du rêve afin d’y pénétrer une vérité sur ce que j’allais entreprendre dans la journée, concernant Brigandin.
À suivre…