Le rachat (4) : Main pleurnicheuse, Nyxée dédaigneuse

Résumé de l’épisode précédent : Quand Pauline lave les pieds du narrateur des Callaïdes, il se passe des choses, certes. Enfin, surtout dans l’esprit et la braguette de ce dernier car Pauline, elle, effectue la besogne dans le but d’avoir la paix ensuite, ce que son écrivain de mari comprend benoitement un peu tard. Délassé des muscles et des couillons, il l’est assurément. Mais va-t-il pour autant passer une bonne nuit ? Pas sûr…

Enfin, je pus m’allonger à côté de Pauline qui déjà dormait, comme l’indiquait un mignard ronflement. Elle avait bien de la chance car je compris que, pour moi, la nuit allait être longue et tortueuse. Comment en eût-il pu aller autrement ? Au fond de moi, alors que les mains savonneuses de Pauline glissaient sur mes pieds et que ses tétons dansants m’emplissaient d’une joie futile, l’horreur éprouvée dans la journée n’avait fait qu’attendre son heure pour rejaillir quand, une fois la chandelle éteinte, j’allais rejoindre Pauline sous la courtepointe, seul avec cette idée de rachat pour m’aider à atténuer le douloureux souvenir de la marchande de quatre-saisons.

Allongé sur le dos, je tentai de me concentrer sur la respiration paisible de Pauline afin d’être gagné de somnance. Mais aussitôt, l’esprit prenait un chemin de traverse pour retourner à ce qui l’obsédait : Laurette, son forçage évité de justesse, la ruerie, Le chef des bandouliers écrasant la gorge d’un jeune malheureux comme il l’eût fait d’un chiot, enfin le corps de Laurette projeté sur les marches, lui éclatant le crâne et la faisant regarder devant elle une dernière fois avant que son esprit ne gagne le néant. Et au milieu de tout cela, moi, me remplissant la cervelle d’images, accusant intérieurement les spectateurs vociférant des insultes de ne pas agir, incapable moi-même de le faire.

Je me retournai sur le ventre, étouffant un grognement rageur. Puis me retournai encore, laissant échapper cette fois-ci un sanglot pathétique.

Un peu comme un enfant qui a besoin d’un fétiche pour se rassurer, je tendis la main pour la poser doucement sur un des tétins de Pauline. Nulle lubricité de ma part, voirement, je n’avais pas la tête à ça, je vous assure. Mais il est certains objets faits pour apaiser plus que d’autres. Une petite fille a sa poupine, un garçon son jouet favori, un suiveux une mèche de cheveux à l’intérieur d’une petite boite qu’il tient près de son cœur. Moi, la nuit, quand je tombe dans la toile d’un rêve félon, je n’ai qu’à agripper un des tétins de Pauline pour que ça aille mieux. Et justement, je sentis cette nuit-là que la seule voie de salut consistait dans cette masse chaude, débordant de sève, qui continuait d’allaiter Clément avant de nourrir l’enfantelet à naître. C’était la vie elle-même que cet organe et moi, avec toutes ces pensées morbides, j’avais soif de vie. Immédiatement, je me sentis mieux. Ce qui fut moins le cas de Pauline qui, au contact de ma main, fut réveillée et se mit à soupirer. Pas un soupir de déduit, malheureusement, mais plus la manifestation d’un agacement essayant de se surmonter.

« Juste ma main, aie pitié, cela m’assoulage, j’en ai bien besoin, » suppliai-je lamentablement.

Elle ne daigna pas répondre mais ne fit rien pour ôter ma main.

Mon talisman bien dans la paume, je fermai alors les paupières, prêt à tomber dans les bras de Nyxée, déesse du sommeil.

Mais cela n’allait toujours pas.

Car le tétin de Pauline me brûlait la main. Et puis, positionné sur le côté gauche pour me coller à elle, n’ayant pas non plus un torse bien développé, j’avais le cœur compressé qui me faisait mal. Je changeai donc de position et, très vite, l’esprit repartit à dos d’aigle sur les horreurs du marché de Nantain. Un temps, je m’efforçai à entreprendre une reconstitution à mon avantage. J’imaginais ce qu’il fût advenu si j’avais été plus hardi. Tout à coup c’était un Gaspard Mercier avec le verbe haut qui s’interposait, les poings serrés, les sourcils froncés et la mine farouche. Ma grosse voix portait, impressionnait le chef des bandouliers. J’allais même jusqu’à cracher un gros jacopin qui, en une majestueuse courbe, atterrissait sur un de ses souliers et sous les ris du public. Évidemment, cela ne lui plaisait pas et il s’avançait avec la ferme intention d’en découdre. Mauvais choix, car je me ruais alors vers lui et sautais en avant, le genou en direction de sa gueule, qu’il concassait avec un bruit sonore. Et ce n’était pas tout, un des célèbres lutteurs de foire de Nantain, Adalbert le Destruiseur, passait par là et, me voyant, admiratif devant mon courage, décidait de me rejoindre pour balayer le reste de la bande. Le temps de cligner d’un œil, cette dernière se retrouvait en lambeaux. On m’applaudissait, on scandait mon nom et Laurette sautait dans mes bras, reconnaissante mais aussi me susurrant dans l’oreille : « Gaspard, rejoignez-moi ce soir à la nuitantre à côté de la fontaine de Bilibisse, j’ai à vous avouer des choses importantes. » Vision aussi séduisante que malheureuse car le visage amouré de Laurette fit aussitôt surgir au milieu de mon cocon fantasmatique son masque figé au crâne fendu ainsi que ma responsabilité. 

Dès lors la suite de la nuit ne fut-elle qu’une longue agonie. Je dormis sans doute un peu, mais c’étaient des morceaux de somnance entre d’incessants sauts de carpe sur le matelas, des bouffées de sanglots, de continuelles ruminations et des mains posées sur un tétin, mains qui ne m’apaisaient plus du tout et qui réveillèrent  probablement Pauline.

Cependant la belle Nyxée finit par m’accepter dans son giron, mais avec le même air d’une bourgeoise dégoûtée donnant une piécette à un gueux, c’est-à-dire en se bouchant le nez, tant j’étais un dormeur qui lui faisait un peu honte.

Je m’endormis cependant, et je fus tout surpris d’ouvrir les yeux dans une atmosphère déjà éclairée par la lumière du jour. Et donc, pour revenir aux premières lignes de ce récit après une longue digression, mes yeux se posèrent sur Pauline, assise à la table, habillée, et sans doute plongée dans la lecture du Récit de Lancelin.

À suivre…

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