Extrait (8) La dure vie de Bertrand Cochard

XXX
La dure vie de Bertrand Cochard

[…]
En passant devant la prison de la ville, il vit une affiche. On cherchait à y recruter quelques surveillants. Passer des heures dans cette sombre bâtisse ne l’enchantait guère mais il fallait bien vivre. Aussi se rajusta-t-il pour essayer d’avoir l’air présentable et tenta-t-il sa chance. On l’engagea pour lui assigner la plus basse besogne, à savoir récupérer les déjections des prisonniers. Il le faisait de mauvaise grâce, mais il le faisait. Puis on lui permit d’apporter la maigre pitance aux détenus, ce qu’il fit aussi relativement correctement. Comme de toute façon on ne demandait pas aux gardes d’exécuter un service princier, Bertrand faisait l’affaire. Mais un jour, on lui demanda d’accomplir désormais une mission qui le stupéfia : rejoindre la partie de la prison réservée aux prisonnières. Un vieux garde y avait succombé d’une méchante fluxion qu’il y avait contractée et on avait demandé au premier garde venu de la prison des hommes de le remplacer. Bertrand ne savait trop s’il s’agissait là d’une promotion mais en découvrant les commentaires de ses nouveaux collègues, commentaires qui détaillaient le physique des pensionnaires et certaines actions qui pouvaient être pratiquées, Bertrand eut le vertige. Quoi ! On pouvait donc faire cela ? C’était permis ? On ne le jetterait pas dehors ? Juré ?
On rassura le bonhomme quand on lui dit que le directeur se moquait bien de savoir si on respectait les femmes qui échouaient derrière ces murs. D’ailleurs, il se réservait pour lui les morceaux de choix qu’un garde lui amenait régulièrement dans son bureau.
Deuxième sensation de vertige pour Bertrand. Un océan de chair et de félicités s’ouvrait à lui ! Enfin il allait connaître les détails du corps féminin, enfin il allait se venger de toutes les avanies subies depuis les trois années précédentes ! Cependant il se méfiait, il avait tellement l’habitude des humiliations qu’il craignait il ne savait quelle chape mise au point par ses collègues. Les premiers jours il apporta aux détenues leur pitance sans risquer le moindre commentaire ni le moindre geste déplacé.
La semaine suivante, il testa les salope ! et autres connasse de femme ! son juron préféré.
La semaine suivante, il essaya les crachats, d’abord sur la nourriture, puis sur les détenues elles-mêmes.
La semaine suivante, il laissa traîner sa gambe pour envoyer quelques coups de pied bien placés.
La semaine suivante, il urina sur une prisonnière en la menaçant d’une ruée de coups de pied si elle ne se laissait pas faire. Il fit rire quelques gardes en racontant l’exploit. On ne le renvoya pas, donc il n’y avait pas de mal à le faire.
La semaine suivante, il obligea certaines à faire des choses.
Enfin, la semaine suivante, il mélangea allègrement toutes les avanies des précédentes semaines, en inventant même de nouvelles. Certains gardes l’observaient et l’évitaient avec la même expression que devant un étron énorme et malodorant rencontré dans la rue, d’autres au contraire le félicitaient, trouvant qu’on avait dégotté là un fameux phénomène. Encouragé ainsi, il voyait comme un crève-cœur le fait de devoir quitter la prison lorsque son service était terminé.

[…]

(Extrait du Livre I, tome I)

Leave a Reply