L’Amercya et son bon roi Thorley

Avant la grande aventure au Shimabei du tome II du Livre II, le lecteur aura à exécuter à la fin du tome I une brève incursion dans un autre Royaume : l’Amercya, dirigée par un roi atypique : Thorley.

Roi taquin et un rien capricieux que ce Thorley, comme le montre du reste cette histoire de pont gigantesque à construire sur la route d’Agénor, entre son royaume et celui de nos héroïnes, construction inachevée et qui pose de grands soucis diplomatiques, justement à cause d’un caprice que je vous laisse découvrir.

Une véritable plaie en fait que ce roi, et ce ne sont pas les paysages, tout en routes rectilignes s’étendant à perte de vue, qui consoleront le Déïmos Grégorius d’avoir à le rencontrer.

— Vous aimez ça, vous, ce type de route en ligne droite ? J’avoue que je préfère les nôtres avec leur sinuosité faite pour découvrir un paysage qui vous assaute agréablement la vue plutôt que de s’offrir languissamment sur des lieues et des lieues. C’est qu’on a la passion des lignes droites, en Amercya. C’est comme pour leur politique : on file droit, au plus court, et tant pis si ça dérange. Ils sont d’ailleurs droits jusqu’à leurs gueules, vous verrez, c’est tout en front rectangulaires et en mâchoires carrés, c’est charmant.

Pas de réconfort non plus à attendre de la capitale :

Enfin, ils arrivèrent à la capitale. Elle n’avait rien à voir avec celle qu’il avait quittée. Elle était infiniment plus…. tout ! Déjà, en la voyant apparaître à une demi-lieue, en constatant la trajectoire de ses murs à l’est et à l’ouest, il comprit que sa superficie devait faire le double, voire le triple. Une fois la porte franchie, il vit que les différentes artères étaient aussi bien plus larges, permettant à une multitude de charrettes de circuler en tous sens. Il fut impressionné aussi par les maisons qui semblaient plus massives et rigoureusement construites, difficile de leur botter le cul, à elles. Il se souvint des mots de Grégorius : « Tout est droit dans ce pays ! » Effectivement, il s’aperçut que non seulement les rues et les ruelles formaient un gigantesque gaufrier, mais il vit aussi combien les maisons étaient d’une rectitude qui contrastait avec les nôtres qui, au sein d’une ville, s’entassaient les unes sur les autres, parfois affaissées de biais, comptant sur une bâtisse voisine pour faire appui et éviter de s’écrouler. Ces maisons-ci avaient de l’allure, même si on pouvait trouver qu’il y manquait du pittoresque et de la variété.

Peut-être du réconfort avec les belles Amercyennes alors ? mais à la réflexion, non :

Quant aux femmes, Ariel reconnut sans peine que c’étaient là de belles personnes. Et pourtant… il y avait chez elles comme une conscience d’être bellottes qui déplaisait. Beaucoup de chevelures blondes, d’yeux bleus ou verts. Comme s’il y avait pléthore de dames Sybil, se dit Ariel. Dame Sybil qu’il avait vue plusieurs fois et qu’il avait jugée comme la plus froide et la plus hautaine des cinq Callaïdes. Il y avait de cette hauteur chez ces femmes mais pour la froideur, c’était différent. On discernait un peu de chaleur accueillante dans ces visages qui parfois les regardaient, et même quelques paroles de bienvenue leur furent adressées. Et malgré cela, Ariel ne fut pas à son aise en les entendant, comme si, derrière cette bienveillance il y avait le contentement de se voir ainsi, de se voir affables, de se voir… si parfaites et si supérieures.

Quant au château royal…

Quant au château royal, il était là aussi bien différent de ce que connaissait Ariel. C’était un bloc assis sur une base octogonale de bien cent pas de largeur. Et le bloc s’élevait ainsi dans les airs sur au moins deux cents pas, mais en s’étrécissant au fur et à mesure, ne faisant plus à la fin que cinquante pas de largeur. Autant le château de Marceau pouvait faire penser à une grosse verrue, autant celui-ci évoquait un… une… Ariel hésitait à formuler le mot, ce fut Grégorius qui lui facilita la tâche.

— Croquignolet, leur château, hein ? On dirait une grosse queue bandant au ciel. Hé ? j’y songe, en fait ils ont construit un château à l’effigie de leur roi, qu’ils sont forts, ces Amercyens ! Ho ! ho !

Cela est bien drôle, tout comme le sont les Wärlanders de Thorley, les équivalents amercyens des Déïmos. Ce qui l’est moins en revanche est la manière du roi de se mettre en scène dans sa salle du trône, et ce en présence de visiteurs étrangers :

Comme beaucoup d’Amercyens, l’homme était blond et de grande stature. Il était coiffé en brosse, seul détail de sa personne donnant un peu de rectitude car pour le reste, il y avait une certaine tendance à la bouffissure et à l’avachissement. Les paupières sous les yeux étaient de vilaines poches, ses joues pendaient et sa lèvre inférieure, lippue et tombante, laissait apparaître des dents jaunâtres. Au milieu de cet affaissement seuls résistaient des yeux bleus intenses mais dans lesquels on avait peine à déchiffrer le moindre sentiment, agréable comme désagréable. Ce qui était curieux car l’homme était dans une position – au moment précis où Ariel le contemplait – qui eût dû susciter de l’embarras à n’importe quelle autre personne normalement constituée. Car si sur le trône il y avait cet homme, sur les genoux de ce dernier se trouvait une femme, assise en travers, soutenue par le bras gauche du roi qui lui passait sous l’aisselle et se pliait pour permettre à une main avec des doigts en forme de saucisses de lui palper un sein tandis que l’autre main avait remonté la robe au niveau de la cuisse droite pour se faufiler à l’intérieur et faire ce qui provoquait chez la dame soupirs et pupilles dans le vague.

— Qui est cette femme ? chuchota Ariel.

— Une de ses putes, pardi !

— Comment ? Mais que dit la reine de cela ?

— Non, vous n’y êtes pas. Il s’agit d’une de ses trois reines. Mais c’est une pute quand même, du moins elle n’en a pas plus d’importance, vous comprenez ?

En fait non, Ariel avait du mal à comprendre. On aurait pu croire qu’en cet instant fatidique Thorley eût laissé sa pu… sa reine mais non, il continuait d’agiter sa main et ses cinq saucisses. Si Grégorius restait impassible, se contenant tout de même pour ne pas afficher son mépris, Ariel avait quant à lui pâli.

Comme disent les Kirklandais : shocking ! Et encore, ce n’est rien par rapport à ce qui va suivre. Heureusement, je l’ai dit, le séjour en Amercya est bref et ouvre les portes, pour le personnage d’Ariel, à un autre voyage, cette fois-ci au Shimabei, qui sera plus apaisant – enfin, jusqu’à un certain point.

Je continue de m’amuser avec Midjourney, évoqué ici. Pas pleinement convaincu tant le résultat est neuf fois sur dix décevant mais je m’obstine pour essayer d’obtenir le dixième restant. Ainsi l’image en ouverture de l’article, représentant Thorley et une petite fille, pour laquelle je ne donnerai aucune information. Il a une drôle de trogne, le bon roi, et c’est normal : dans la ligne de commande envoyée à l’I.A. j’avais écrit, au milieu d’autres mots en anglais : “hideous king”. Dans mon esprit “hideous” était avant tout métaphorique. L’I.A. l’a pris au pied de la lettre en créant un roi hideux dans le sens physique du terme. Je ne lui en veux pas, l’initiative est excessive et tombe finalement dans un symbolisme assez saisissant.

Gaspard Auclair

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