Du tragique au comique (en passant par les petites culottes)


Je n’ai jamais été friand de ces classements consistant à énumérer dans l’ordre des livres, des auteurs, des musiciens, des films préférés et que sais-je encore ? Je peux citer des noms d’artistes ou des titres d’œuvres qui me sont précieux, mais pour ce qui est de faire un classement, cela n’a guère d’intérêt car dépendant trop de goûts à un instant donné (et puis, à vrai dire, ça m’emmerde franchement).
Ainsi les films. À la rigueur, je veux bien admettre qu’en haut d’un classement apparaîtraient un ou deux films de Kubrick, avec sans doute 2001 en tête. Pour le reste… probablement un film de Coppola, un de Lynch mais après, il me serait bien ardu de citer des œuvres susceptibles de fournir un palmarès personnel de dix films de chevet. Quant à donner une hiérarchie…
Faisons foin plutôt d’un classement hasardeux et ne retenons que le titre de ces pépites qui résistent aux multiples visionnages et qui, lorsque passent un, deux, trois ou quatre années, parfois plus, vous invitent à les revoir une énième fois avec un plaisir neuf. Pourtant, on n’est jamais trop sûr quand débute le générique. Allons-nous vraiment apprécier de nouveau ce film vu et revu, dont on connaît presque par cœur les répliques et l’enchaînement des plans ? On doute un peu d’abord, et puis les minutes filent et quand le mot fin apparaît, on va se coucher satisfait, certain de ne pas avoir perdu son temps.
Ainsi Love Exposure, de Sion Sono, réalisé en 2008. Voir et revoir ce film, c’est pourtant accepter de lui consacrer à chaque fois quatre heures de sa vie. C’est beaucoup, quatre heures, et cela pourrait devenir fastidieux avec un film languissant.  Mais peut-on qualifier de tel ce film ? Je serais bien curieux de rencontrer un spectateur qui reconnaîtrait qu’il s’y est copieusement ennuyé. Porté par un trio de jeunes acteurs fabuleux mais aussi par la musique de Ravel, de Saint-Saëns, de Beethoven et du groupe japonais Yura Yura Teikoku, le film propose une longue balade en montagnes russes dont on sort tout surpris que ce soit déjà terminé. Quatre heures, vraiment ? Ce n’était pas plutôt deux heures ? Non, non, il s’agissait bien de quatre heures mais la folie furieuse et l’art du montage de Sono a permis ce petit miracle d’échapper au temps.

Et donc, quel rapport avec les Callaïdes ? Sans hésiter, je répondrai le mélange des genres. Les asiatiques ont probablement moins de réticences que nous à le pratiquer à fond les manettes. Sion Sono, lui, en tout cas, ne s’en est pas privé quand il a réalisé Love Exposure. Précisons ici en quelques mots le sujet du film : un jeune lycéen, Yuu, ne vit pas très bien sa vie de fils d’un homme reconverti en prêtre catholique. Veuf, il fait mener une vie austère à Yuu, notamment à cause de séances au confessionnal qui ont un effet bien pervers dans l’esprit du jeune homme. Déboussolé, il a cependant une idée fixe qui le guide : trouver sa “Marie”, ange de pureté qui sera sa muse, sa moitié, sa compagne pour la vie. Pour réussir cette quête, il entreprend de faire des photos volées de petites culottes de passantes croisées dans la rue, se disant qu’il tombera bien un jour sur un morceau de tissu immaculé qui lui indiquera si sa propriétaire est la Marie recherchée. Des centaines, des milliers de photos sont ainsi prises mais c’est lors d’une autre circonstance que Yuu la découvrira à travers une jeune fille de son âge, une certaine Yoko. Il fera tout pour essayer de se faire aimer d’elle, y compris affronter les manigances d’Aya, manipulatrice perfide appartenant à une secte…
En lisant ce résumé, vous vous dites peut-être : « Holà ! Ça sent sérieusement le nanar, ça ! », et vous auriez tort. Chef d’œuvre de son auteur, Love Exposure s’est taillé une solide réputation à l’international, notamment lors de multiples festivals. Avec à chaque fois le même effet sur les spectateurs, celui d’avoir assisté à une œuvre folle, un film total fait pour donner envie de croire que le cinéma est toujours capable de sortir des sentiers battus et de procurer un sentiment de plénitude une fois qu’apparaît le mot “fin”.

La plénitude, c’est sûrement ce que j’ai éprouvé lorsque, charmé, médusé, j’ai visionné pour la première fois ces quatre heures faisant passer par toutes les émotions, et pratiquant donc sans complexe le mélange des genres. On y trouve ainsi :

De l’héroïne tragique pleine de ferveur

 

De la passion rageuse (qui fait passer en comparaison les femens pour d’inoffensives empêcheuses de misogyniser en rond)

 

De la castra… euh, disons du dramatique.

 

De l’épique (mâtiné de culotte blanche, ça ne mange pas de pain)

 

De l’instant décisif à la Cartier-Bresson teinté de comique (et de culotte blanche)

 

Du biblique

 

De la vision faite pour exalter un certain lyrisme.

Voilà, Love Exposure, c’est tout cela et bien plus encore. Il est la preuve que l’on peut mettre au shaker une multitude de registres et de tons et créer une œuvre à la fois cohérente et enivrante. 
Moi, avec mes modestes moyens, je n’en suis pas au niveau de maistre Sono mais enfin, j’ai retenu la leçon. Tragique, comique, dramatique, épique, lyrique auquel on peut ajouter érotique et petiteculottique, tel est le programme dans lequel je veux me vautrer sans trop me demander si c’est bien ou mal de tout mélanger. Et ça me fait penser au passage qu’il faut que j’ajoute la notice sur le mot “culotte” dans le DRA (Dictionnaire Royal Académique) puisque ce bout de tissu, lui aussi si enivrant, a son importance dans le premier tome. Ce n’est pas un personnage en particulier qui dira le contraire…

 

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