Créer des royaumes imaginaires sans trop avoir à réfléchir sur leur agencement géographique est pratique et non sans charme. On reste dans un vague qui permet d’avoir les coudées franches concernant les déplacement des personnages. Un tel doit se rendre à tel royaume ? Eh bien qu’il s’y rende, il suffira juste de mentionner la durée du voyage. Éventuellement, on indiquera le point cardinal qu’il a suivi, et ça suffira bien.
Bien sûr, ça se corse si on veut un peu entrer dans les détails. Au début du tome II du livre I, un jeune personnage entreprend pour la première fois de sa vie un long voyage. C’est un choc pour lui, un véritable apprentissage puisqu’il traverse un royaume et en découvre un autre qui lui apparaîtra comme une révélation. Là, il a bien fallu détailler un peu en mentionnant une réalité géographique. Cela a d’abord été crispant, je me disais que ce qui était mentionné pourrait plus tard se retourner contre moi car mettant au jour des incohérences. Mais l’aspect grisant l’a emporté, j’ai très vite saisi le plaisir qu’il y avait à donner corps à tout un espace se situant autour de l’espace principal du château et de la ville où se situe l’essentiel des Callaïdes. Tout n’est pas non plus parfaitement défini, les paysages que traversent les personnages semblent parfois environnés de brume mais avec toujours la possibilité, le temps d’une scène, de faire en sorte que le brouillard se dissipe pour donner à voir avec précision ce que traverse le personnage.
Ainsi le tome I du livre II (à paraître début 2022) dans lequel deux personnages se rendent à l’ouest en direction du Royaume d’Amercya. L’onomastique fera assez comprendre avec quel pays réel on pourra faire quelques correspondances et ira de pair avec une expérience “amère” qu’y feront deux personnages. Au début, je ne voulais pas y consacrer trop de pages, une vingtaine tout au plus. Finalement, c’est un mini arc de presque cent page qui a été écrit, permettant de faire la liaison entre la trajectoire d’une des Callaïdes et un long récit se déroulant au Shimabei. Des personnages s’ajoutaient au fur et à mesure, mais aussi des lieux. Tout n’était pas non plus clairement cartographié mais il y avait le plaisir de voir tout un pan de la mappemonde imaginaire sortir des flots
Enfin, il y a le Shimabei (nom empruntant autant à des sonorités japonaises que chinoises). Largement évoqué au début du tome II du livre I, il sera le morceau de choix dans la deuxième partie du livre II, avec 350 pages et une intrigue politique qui a nécessité de concevoir ceci :
Sans aller non plus jusqu’à donner un nom à chaque fleuve, à chaque route, à chaque ville, il a fallu au moins donner des noms à des provinces, des chefs-lieux et des villages, imaginer la position d’une montagne qui aura un rôle à jouer, donner à voir le lac, au sud de la province du Toyanan, que longeront deux personnages le temps d’une scène, surtout gérer sans s’emmêler les pinceaux les alliances et inimitiés entre différentes province. Et là, le faire uniquement en imagination aurait été courir le risque de multiplier les erreurs et de m’embourber dans la narration. Se dire « je verrai cela plus tard », cela va cinq minutes. Au bout d’un moment, on se retrouve avec une multitude de lieux et de personnages nommés sommairement (la province X, le gouverneur Y…) et on finit par ne plus rien comprendre.
Il a fallu donc se faire violence en mettant entre parenthèses le plaisir à avancer dans une narration fiévreuse pour concevoir une carte une bonne fois pour toute.
Il y a eu un vrai plaisir accompagné d’une réelle fascination à voir ces noms prendre place (la difficulté étant de trouver dix noms de provinces suffisamment différents sur le plan phonétique) mais aussi de voir ces frontières mettre en place une situation géo-politique explosive. D’abord proposé aléatoirement par le logiciel, il a fallu rectifier certaines choses, en imaginer d’autres, comme ce lac entre le Toyanan et le Kyotchi. Bien sûr, placer la capitale et lui trouver un nom a aussi été nécessaire, d’autant que le Shimabei sera évoqué dans les livres suivants et aura probablement une place prépondérante. À chaque fois, le positionnement d’un nom, d’une route, d’un village nécessaire à la narration procurait un petit frisson devant les possibilités infinies que permettaient une simple carte. Avec une perspective intéressante qui fait écho à la raison d’être de ce site : celle de tisser des correspondances avec le cycle principal et d’y puiser d’autres récits, notamment par le biais de nouvelles. Je ne m’y suis pas encore attelé, mais c’est quelque chose qui pourra se faire, aussi bien pour retrouver la gracieuse compagnie des Jidamas que pour pénétrer les mystères de royaumes moins avenants.
Gaspard Auclair