Est-ce de l’arrogance, de l’inconscience ou un simple culot bienheureux qui a inspiré le jeune Ridley Scott lorsqu’il a entrepris de réaliser Les Duellistes, d’après une nouvelle de Conrad, deux ans après le Barry Lyndon de Kubrick ? Quelle que soit l’hypothèse choisie, on ne peut que dresser le même constat : sans atteindre les sommets du modèle, le film constitue un coup d’essai plus que probant. Et alors que plus de quarante ans après sort Le Dernier Duel, reconstitution d’une affaire de viol ayant débouché sur un duel judiciaire, il est frappant de voir combien ce premier film n’a rien perdu de sa vigueur et demeure plus prenant que le dernier opus de Scott.
Sans aller jusqu’à dire qu’il s’agit d’un de mes films de chevet, je dois dire que plus d’une fois j’y suis retourné pour admirer les moustaches pointues et l’air rogue d’Harvey Keitel dans le rôle du lieutenant Gabriel Féraud. Je possède la nouvelle de Conrad dans une ancienne édition chez Rivages poche. Sur la couverture, juste ceci :
Plutôt un bon choix car, bien plus que l’impeccable Armand d’Hubert, c’est bien Féraud qui accapare l’attention, tant celle de son adversaire que celle du lecteur. « Accapare ». C’est amusant, je n’y avais jamais songé en choisissant le prénom « Kaspar » à de Costemore (déjà évoqué ici), mais peut-être y a-t-il une part d’inconscient dans le choix onomastique pour ce personnage qui n’a de cesse d’accaparer l’attention de son meilleur ennemi pour tenter le pourfendre définitivement tout le long d’une série de duels à la cause ubuesque.
Il n’est jamais évident (du moins pour moi) de bien dessiner intérieurement le visage d’un personnage. Et pourtant, Kaspar fait partie des quelques êtres pour lesquels une apparence se dessine tout de suite. Dans son cas, j’y vois des moustaches pointues, des cheveux bruns et une silhouette petite mais râblée. Et une éternelle colère rentrée qui jaillit par à coups, même en des moments où le fâcheux pourrait montrer un peu de contentement, comme lors de son second duel contre d’Hubert :
Il vient de le battre, il devrait être satisfait, mais non, la blessure n’est pas mortelle, donc il rage et envoie de nouvelles provocations pour être sûr qu’il y aura un troisième duel, cette fois-ci définitif.
Un duel, deux, trois, quatre, Kaspar de Costemore en connaîtra un certain nombre contre un adversaire dont le hasard a fait (puisque ce personnage a été imaginé avant Kaspar) qu’il est blond et plus grand que lui, sorte de double involontaire d’Armand d’Hubert.
Après, là s’arrête le rapprochement car si les deux grognards des Duellistes ne s’accorderont jamais, l’opposition entre mes deux personnages finira par se teinter d’un mutuel respect. Oui, Kaspar n’est pas un gros con figé : dans le livre III il rencontrera quelqu’un qui saura faire de lui peut-être pas non plus une bonne pâte d’homme, mais qui parviendra à diluer davantage ces grumeaux de colère. Il n’en reste pas moins qu’il me faudra bien un jour expliquer l’origine de ce foutu caractère…
Gaspard Auclair