La Conteuse d’elle-même (26) : La vraie Josette

Résumé de l’épisode précédent : étrange matinée que celle du narrateur qui, tout en étant bien ancré dans son petit monde douillet, a l’impression, à travers certains détails, que son rêve se répète. Il décide malgré tout de se rendre à Nantain et s’apprête à entrer dans le bâtiment où siège La Gazette de Nantain

J’entrai.

À l’intérieur, rien de changé. Toujours le même parquet, les mêmes meubles vermoulus et, parmi eux, la vieille Josette, elle aussi vermoulue et toujours fixée à la même place. Rien à voir avec la Josette du rêve : envolés les fines gambes, les habits de puterelle et les tétins en melons. C’était l’habituel poireau rassis, à la bouche pincée et aux yeux méchants de chienne de garde enragée. Je crois qu’elle ne m’appréciait pas et, cela tombait bien, je la conchiais aussi.

— Bonjour, Monsieur Brigandin est-il là ?

— C’est pour quoi ?

J’avais au moins écorché ma gueule pour lui dire bonjour et je me trouvai d’emblée face à une question importune et dénuée, elle, de tout salut.

— Cela me regarde, répondis-je avec hauteur, je dois juste le voir ce matin, c’était prévu.

Je m’admirai pour ce mensonge et cet aplomb. Cependant…

— C’est curieux, il m’en a rien dit. Attendez, je vérifie dans son calendrier. Nan, je vois rien de tel pour ce matin. Là, il fait sa pause sustentatoire du matin et après, Mademoiselle Doucet doit v’nir le voir.

Toute ma hargne envers la duègne, hargne qui avait pris son envol dès l’instant où elle avait ouvert la bouche pour montrer ses dents déchaussées comme les créneaux d’un vieux château, retomba d’un coup.

Sans savoir pourquoi, je tournai ici la tête dans un coin pour voir si ne s’y trouvait pas la censeur, enfin l’ascenseur. Non, bien sûr, c’était l’habituel escalier qui menait aux deux étages. Mais comme certains aspects de mon rêve semblaient se répéter, je me demandai lors quelle apparence pouvait bien avoir la conteuse.

— Mademoiselle Doucet vous avez dit ? Elle est une des auteurs de La Gazette je crois. N’est-ce pas une belle femme avec de longs cheveux châtain ? Je crois l’avoir vue ce matin au marché.

Je m’attendais à ce qu’elle me réponde « oui, c’est cela même, elle est ainsi » mais j’en fus pour mes frais. La Josette arbora de petits yeux méfiants et se contenta de hausser les épaules, très qu’est-ce que cela me fait, cette question ? Je changeai de tactique. Peu importe de savoir son apparence, il me fallait juste pénétrer dans l’antre du dragon gazettier et, quand elle arriverait ainsi qu’elle l’avait fait dans mon rêve, je la verrais.

— Écoutez, Josette. Je viens de faire une heure de marche de mon village pour voir monsieur Brigandin. Pour une demande qui ne prendra quelques minutes. Il s’agit de lui montrer un document (ici je sors un feuillet plié en huit que je tiens dans le fichet intérieur de ma veste, il s’agit d’une vieille liste de denrées donnée par Pauline pour le marché) détaillant une histoire qui pourrait être publié dans La Gazette, je suis sûr que ça va l’intéresser.

Le mensonge me parut assez habile, apte à adoucer la duègne. Et d’une certaine manière, il fonctionna : elle s’accoisa, mais pas pour dire ce que j’espère :

— Une nouvelle histoire ? quand même pas aussi longue que vos Callaïdes ?

Un petit sourire empli de fiel et cachant difficilement toute une série de sous-entendus se dessina.

Pour moi, c’en était assez, et je ne pouvais faire autrement que de me traiter d’imbécile. Avoir affronté – et vaincu – la Voison, et s’abaisser à amadouer une petite vieille malpolie et surtout débile, qui ne pouvait certes pas m’empêcher de monter les escaliers jusqu’au deuxième étage, c’était navrant.

Sans un mot, sans un regard, juste avec un annulaire d’honneur que je dessinai dans mon esprit, je me dirigeai vers l’escalier.

— Hé ! Mais non, vous ne pouvez pas !…

Dans mon dos, je l’entendis se lever et faire quelques pas pour m’empêcher de continuer. Et bran ! me dis-je. Doté par la nature de grandes gambes, j’escalade l’escalier quatre à quatre pour semer la vieille. Attrape-moi si tu peux, vieille gaupe, ça t’apprendra à dire que mes Callaïdes sont longues, ce qui est vrai mais ce qui n’implique pas que ce soit un gage de faiblesse, bien au cont…

— ARRÊTEZ !

Un grand froid me saisit au cœur. Josette n’a pas crié ce mot, elle l’a hurlé ! Et je l’entends monter rapidement les marches derrière moi.

Ici, il faut être clair : quoiqu’approchant de la cinquantaine et passant le gros de mes journées à écrire, ma constitution est correcte et parfaitement apte à maîtriser une vieille approchant de ses soixante-dix. Il n’empêche, sans doute à cause du souvenir d’une certaine escapade nocturne afin de délivrer dans une sombre maison une pauvre petite fille persécutée, je ne peux m’empêcher d’imaginer une hideuse créature pourvue d’une gueule emplie de longues dents. Et pourquoi ce hurlement de possédée ? Ce n’est pas comme si j’essayais d’entrer dans la salle du trône pour enfoncer une dague dans le cœur du roi. Je ne vais voir que Brigandin, c’est-à-dire un pourceau qui se contente de tondre la laine sur la peau de ses écrivains. En tout cas, un brin effrayé, j’accélère la montée comme si ma vie en dépendait. Il n’y aura certes pas de pause à l’étage comme dans la cen… l’ascenseur, et j’arrive au deuxième étage avec, au bout du couloir, la porte donnant sur le bureau de Brigandin. Je m’y rends en courant car, derrière moi, j’entends toujours de furieux « arrêtez ! ». D’ailleurs, le bruit attire des curieux, des gazettiers et des illustrateurs qui passent la tête par l’encadrement des autres portes du couloir afin de voir d’où provient ce vacarme. En m’apercevant, ils comprennent et ça se marre bien. L’un d’eux, un excellent illustrateur nommé André Farinque, y va de son holà Gaspard, on a réveillé la belue à ce qu’il paraît ?

La référence à ce monstre de la mythologie dormant dans des eaux profondes m’amuse mais je n’ai pas le temps d’y répondre au-delà d’un simple oui ! J’arrive à la fameuse porte, je toque vite fait (j’ai la politesse décidément chevillée au corps), et j’entre. Et là, je tombe sur un étrange spectacle.

À suivre…

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