La conteuse d’elle-même (13) : La censeur

Résumé de l’épisode précédent : le narrateur des Callaïdes demande à voir M. Brigandin à la vieille Josette qui s’est transformée en armide aux longues jambes et aux seins comme des melons d’eau. Elle lui répond qu’il peut le rejoindre par un escalier mais lui conseille plutôt de prendre “l’ascenseur”. Il ne comprend guère ce mot mais se dirige malgré tout en direction des deux portes de métal fermées qu’elle lui montre du doigt…

En tout cas il me faut faire un choix. La censeur (j’aperçois sur la paroi à côté des deux portes fermées une pièce d’où jaillit de la lumière et mon instinct me dit qu’il faut que j’y pose la main) ou l’escalier ?

J’hésite beaucoup mais la curiosité, je le sens, me fait avancer la main, tel un aimant de chair, sur la pièce circulaire arborant un triangle lumineux pointé vers le haut. Je l’ai à peine effleurée qu’il se colore aussitôt de rouge et j’entends, derrière les parois, un sourd grondement qui, un moment, me fait me demander si je ne ferais pas mieux de fuir par l’escalier.

Mais je n’ai pas le temps de mettre mon plan à exécution puisque les deux parois s’ouvrent, là aussi par je ne sais quel mécanisme car pas le moindre valet n’était là pour les bouger. À l’intérieur je remarque un tapis, rouge cette fois-ci, mais tressé comme le bleu foncé de la salle principale. Les parois sont du même étrange bois luisant que j’ai remarqué depuis mon arrivée en ce lieu. Enfin – et c’est bien là le plus merveilleux – j’entends une douce musique émaner d’instruments qu’il m’est impossible d’identifier et encore moins de voir puisque derrière les porte se trouve un espace carré d’un pas de large seulement. Difficile d’y cacher plusieurs musiciens… ou alors au-dessus de cette pièce, sur le plafond, mais… non, l’idée est absurde. En fait, en levant la tête (je précise ici que je suis finalement entré dans cette cage) je m’aperçois d’une sorte de petite grille sombre circulaire d’où semble provenir la musique. J’imagine alors deux hypothèses : soit dans ce rêve des musiciens miniatures ont été enfermés derrière cette grille pour égayer les oreilles de ceux qui utilisent la censeur, soit la grille est fixée à un long tuyau au bout duquel se trouvent les musiciens. Par un effet de répercussions, leurs notes sont ainsi amenées jusqu’à mes oreilles. Cela me semble bien compliqué mais pas impossible.

En tout cas la voix de la chanteuse ne me déplaît pas. Ses paroles ne sont guère élaborées car elle se contente de faire balalala didalala dadabadada chouchoubadida. Assurément Charis pourrait lui donner de sérieuses leçons de mise en vers, mais enfin, comme cette voix semble avoir trempé dans le miel avant d’avoir été longuement infusée dans une tisane amorisiaque, j’avoue que ses dadabada chouchoubida me font me sentir étrangement bien.

Mais l’euphorie s’interrompt lorsque je vois ceci :

Sur la paroi juste à ma droite, sont fixées ces neuf pièces métalliques qui immédiatement m’évoquent quelque obscur pentacle maléfique. Comme je vois gravé sur la pièce tout en haut un certain nom honni que je veux rencontrer, j’imagine qu’il me faut porter la main sur elle, comme je l’ai fait tantôt avec la pièce au triangle, mais j’avoue que la plus grande hésitance m’envahit et il me faut un nouveau déversement de chouchoubida susurrés dans l’oreille pour me redonner courage et toucher la pièce brigandine.

De nouveau, les caractères se teintent de rouge et, face à moi, les parois se referment ! Voilà ! Il fallait s’y attendre, me voilà fait comme le dernier des rats de Claquart ! Il faut dire ici que je suis pour ainsi dire un homme de la campagne, j’aime à respirer librement et que m’astreindre à rester enfermé trop longtemps dans un endroit fermé n’est pas sans provoquer en moi de pesantes réactions. Et la sensation de mésaise est d’autant plus forte que je sens la censeur se mouvoir… vers le haut ! Il me faut un certain temps avant de comprendre mais oui, avec cette impression que le sang fuit mon cœur en direction des couillons, pas de doute à avoir, cette cage peut se mouvoir dans la verticalité !

Je me coince dans un coin et me mets à haleter et à suer comme un porc qu’on mène à l’écorcherie. J’observe les pièces : le 2 vient de s’illuminer et aussitôt je sens l’ascension s’interrompre pour maintenant effectuer un mouvement horizontal ! Je comprends que la voie pour mener à Brigandin n’en a donc pas fini de jouer avec mes canaux sanguins. Dans ma terreur qui cependant commence à s’apaiser, j’ai conscience que les chabadidou ont cessé pour une autre chanson. J’entends maintenant quelque chose qui ressemble à siiiiii… sèksse ande seeeuuuuune proféré là aussi par une voix féminine trempée dans le miel mais accompagnée cette fois-ci d’une voix d’homme qui ne ressemble à rien mais qui ne m’est pas non plus totalement antipathique, au contraire. Le 3 s’illumine et l’ascension reprend. Je me calme, oui, tout ira bien. Je n’attends pas moins le 5 avec anxiété car il signifiera sans doute que la censeur effectuera un mouvement plongeant et effectivement, c’est ce qui se produit. Des couillons le sang est projeté vers le haut, s’engouffre en mon cœur en une grosse cataracte avant de le dépasser pour se refugier dans ma cervelle. Au début assez effrayant mais, avec le siiiiii… sèksse ande seeeuuuuune qui retentit à ce moment, j’avoue que la sensation n’est pas totalement déplaisante. D’ailleurs je finirais presque par à y prendre goût car je m’aperçois que j’attends avec une excitation tout enfantine le passage au 7 qui va me faire refluer d’un coup tout mon sang vers le bas.

Mais cela n’arrive pas car le 6 s’illumine de vert, la censeur s’immobilise et les parois s’ouvrent pour laisser apparaître une personne.

Une jeune femme.

Avec des cheveux de feu.

Une admirable peau de lait.

Une bouche moqueuse.

Enfin des yeux smaragdins desquels je perçois un mépris mêlé à une envie d’en découdre.

Je comprends aussitôt de qui il s’agit.

Aalis a décidé de me rejoindre dans mon rêve.

À suivre…

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