La fosse aux scélérats

Que voilà un site que l’on ne conseillerait pas au voyageur d’aller visiter pour le cas où il se rendrait à la Capitale afin de s’y détendre !

En effet, désireux de dissuader les criminels en herbe de pratiquer leur sale métier dans les quartiers de la ville, le roi Marceau et quelques maistres ont eu un jour la lumineuse idée de creuser une large fosse de trente pas sur vingt, et de dix de profondeur, dans laquelle seraient entassés tous les criminels ayant été arrêtés puis exécutés, ou tout simplement tués dans le feu de l’action par l’épée d’un sergent de ville un peu vif. Finalement une bête fosse commune me direz-vous, rien que de très banal, il ne manquerait plus qu’on offre à cette chienlit un enterrement convenable ! Mais attendez, ce n’est pas fini.

La fosse se nomme « fosse aux scélérats » et non « fosse aux criminels », « fosse aux âmes perdues » ou « fosses aux bandouliers ». Que l’on ait choisi le premier terme est significatif puisqu’il rime avec ce détestable petit rongeur que l’on trouve en bien trop grande quantité dans la ville et qui est porteur de toutes les maladies. Aussi bien la fosse en question a-t-elle pour vocation de recevoir à la fois la chienlit humaine que l’animale. Quand le cadavre d’un rat est découvert, on le signale et une personne dont c’est le métier (on l’appelle le ratporteur) et qui s’occupe d’emmener la carcasse jusqu’à la fosse où elle pourra se décomposer en compagnie des membres putréfiés de la canaille. Bien sûr, il est tout à fait permis de s’approcher du bord pour pisser sur la rateuserie, mais il faut tout de même avoir le cœur bien accroché du fait de la pestilence de l’endroit. D’ailleurs, on ne trouve pas la fosse à l’intérieur des murs de la ville mais à une demi-lieue. Sage décision, car pour accélérer la décomposition et proposer un saisissant spectacle, la fosse est en permanence remplie d’eau de moitié, eau à laquelle des maistres ont ajouté une mixture permettant une dissolution accélérée tout en faisant en sorte qu’elle ne soit pas totale. Le spectateur se trouve ainsi devant une sorte de potage verdâtre géant sur lequel nagent, ici un bout de cervelle, là une gambe, là des parties génitoires, une langue, un œil et encore toute une collection de parties anatomiques.

À noter que bien souvent, quand un observateur inconscient a décidé de s’approcher de la fosse pour voir à quoi elle ressemble, elle se voit ajouter dans les secondes qui suivent d’un autre délicieux ingrédient : le propre bagouli que l’observateur n’aura pu empêcher de sortir de son estomac.

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