Le rachat (28) : Laurette rencontre Lauraine et accepte le rachat

Résumé de l’épisode précédent : la nuit, tous les cavaliers ne sont pas gris. Ils ont parfois l’apparence d’une cavalière au regard torve et armée d’un couteau pour percer la peau d’une fillette de sept ans. Témoin la Voison, que Lauraine et le narrateur des Callaïdes évitent de justesse sur la route menant à Nantain. Ils y parviennennt cependant grâce à des chemins détournés et arrivent par hasard au marché, plus précisément à l’endroit où la pauvre Laurette avait été assassiné deux jours auparavant, sur les marches du parvis de la cathédrale…

« Où… où allons-nous ? » fit une voix à ma droite d’où je sentis poindre une certaine inquiétude.

Il faut dire que tout de crispations, je devais avoir un visage guère avenant à proposer, mais ce n’était pas encore le moment de lui répondre. Je m’approchais, je voyais les marches au loin et chaque pas était comme celui d’une lente procession avant de baiser je ne sais quelle sainte relique.

Des objets avaient été déposés sur les marches à l’endroit même où je l’avais vue. Pas des fruits ou des légumes cette fois-ci. La litanie des regardez mes fruits ! regardez mes légumes ! me revint et me noua aussitôt la gorge. Non, il s’agissait de fleurs, modestes pour la plupart, venant sans doute des gens du marché ou d’autres personnes qui avaient dû être émus à la lecture de l’article de la Gazette de Nantain que m’avait fait lire Armand. Là aussi, comme pour ses fruits et ses légumes, elles permettaient de répandre au sol une multitude de couleurs et avaient le bon goût de camoufler les taches de sang séché sur le pavé.

Je n’avais pas sur moi de fleurs à déposer mais à la réflexion, Lauraine pouvait en faire office. Je m’approchai au plus près pour lui adresser en pensée une demande de pardon. J’étais parti pour rapporter ces paroles bien maladroites mais à la réflexion, je vais les garder pour moi, ou plutôt pour nous car je veux croire que son âme m’écouta et me pardonna tant une incroyable sensation de légèreté envahit tout mon être. Il n’y avait pourtant pas lieu de l’éprouver tant ma fatigue était grande et ma cheville, endolorie. Mais au fur et à mesure que je déversai mes quelques mots, ce fut comme si l’abcès de ma culpabilité était percé, et mon pardon consommé.

Alors, me tournant vers Lauraine qui observait d’un air grave ces fleurs et ma mine absorbée :

« Vois-tu, Lauraine, tu as été bien malheureuse avec cette femme, mais il y a eu plus malheureux que toi. Ces fleurs sont pour une jeune fille qui avait presque le même nom que toi. Elle s’appelait Laurette. Et elle a été tuée ici même par le même Bastien qui devait t’enlever à la Voison quelques jours plus tard. J’ai assisté à la scène et n’ai rien pu faire. Je m’en suis voulu terriblement mais c’est le lendemain que je t’ai rencontrée. Et que je t’ai entendue peu après te faire fouetter. Oui, ne sois pas étonnée, je suis revenu après notre rencontre et Pauline était avec moi. Nous avons entendu et décidé de te sauver. Aurais-je eu le courage de faire ce que j’ai fait si je n’avais pas assisté au meurtre de Laurette ? Je veux croire que oui mais je ne le saurai jamais. Ce qui est sûr, c’est que tu peux autant me remercier que Laurette… c’est tout de même curieux cette ressemblance de prénoms. À croire que ma rencontre avec cette pauvrette n’avait d’autre but que de te venir en aide. »

Lauraine ne répondit rien à tout cela. Et elle ne chercha pas d’y aller d’une prière ou d’un geste de dévotion pour saluer la défunte. Me tenant toujours par la main, elle se contenta de regarder le tapis de fleurs, avec intensité. Ses lèvres frémissaient doucement et je compris qu’elle adressait son chuchotis à la marchande de quatre-saisons. La rencontre entre Lauraine la vivante et Laurette la morte se faisait. Cela rendait-elle heureuse Laurette là où elle se trouvait ? À sentir le soulagement qui irrigua mon cœur, je veux croire que oui.

Le chuchotis se tut. Alors nous gravîmes les marches du parvis et passâmes à côté de la cathédrale qui fut moins taiseuse que la veille, alors que l’on commettait des atrocités à ses pieds : un carillon auroral chanta le temps pour nous de quitter la place et de nous enfoncer dans le réseau de ruelles devant nous mener jusqu’à la maison de ma tante Mathilde.

J’eusse pu être effrayé à l’idée d’emprunter ce labyrinthe encore peu fréquenté à cette heure. Qui me disait que la Voison n’avait pas pénétré en ville et ne rôdait pas sur son cheval pour tenter de débusquer sa proie ? Mais elle était loin, très loin de mes pensées. D’un naturel inquiet, je ne doutais pas que d’autres peurs me submergeraient dans ma vie, plus tard, mais pour le moment, j’étais plongé dans une sérénité que l’on pourrait juger inconsciente. Pour ma part, elle m’apparaissait normale tant j’étais sûr que nous ne tomberions pas sur la Voison. Et encore une fois, si tu te dis que c’est là le moyen de préparer un ultime effet de surprise dans mon récit, permets-moi de te rassurer, ou plutôt de te décevoir si tu es friand de ce type d’émotion : je m’en tiens à la stricte vérité des événements et la Voison ne réapparaîtra donc pas. Je sais, c’est d’un piètre conteur que de faire ce genre de révélation mais c’est ainsi. Toi qui as peut-être lu de mes récits callaïdesques, tu sais bien que rien n’est jamais joué d’avance jusqu’à l’ultime point d’un volume. Mais ici, il s’agit de conter des événements que j’ai moi-même éprouvés, et les ficelles de la fabulation sont pour mon esprit moins tentantes. Alors que plusieurs semaines ont passé et que ma cheville a eu le temps de guérir, j’ai l’impression en racontant tout ceci qu’elle se met de nouveau à gonfler et que le cœur me sautelle. Il convient de m’apaiser et d’écrire cette vérité qui y contribuera : l’histoire se terminera bien, pour cette fois. Peut-être, ami lecteur, es-tu de cette mode qui crie haro sur ceux qui osent lever le voile, même juste un tantet, sur la fin d’une histoire qu’ils ont lues. Mais si tu es curieux, alors que nous nous trouvons en face de la maison de ma tante Mathilde et que je toque à sa porte, tu éprouveras le besoin de lire les quelques lignes qui suivent, j’en suis sûr.

À suivre…

 

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