La marchande de quatre-saisons (3) : Le marché de Nantain

Résumé de l’épisode précédent : Le narrateur des Callaïdes a fait une lieue à pied pour se rendre au marché de Nantain. Les yeux pleins de merveilles offertes par dame Nature et l’esprit plein de pensées plus ou moins impures, il se rend d’abord chez son ladre de libraire pour se faire payer la livraison d’un nouveau chapitre des Callaïdes. Comme d’habitude, ça se passe mal. Heureusement qu’il y a le pittoresque marché du quartier de Phélipeau à visiter pour se calmer avant de rentrer…

J’arrivai donc à la place du marché, celui qui se tenait dans le quartier Phélipeau. Cinq ares emplis de verduriers, de sardinières, de vinaigriers, de bouchers, de bouchonniers, de fruitiers, de fouaciers, de caucassiers, de charcutiers, et de pichetiers.

Et encore ne s’agit-il ici que des spécialistes des plaisirs de l’estomac. Car si je devais évoquer tout le monde, il me faudrait citer les panetiers, les sabotiers, les brideuses, les brocheurs, les mosaïstes, les verriers, les parfumeurs, les boutillonniers, les tabletiers, les passementiers, les toilières, les tourneurs, les trouvères, les papeliers, les peyrouliers, les lapidaires, les peaussiers, les lunetiers, les quincaleurs, les ravaudeuses, les renoueuses, les gibeciers, les gobeletiers, et même des oursaliers. Ah ! Très important les oursaliers, ça fait toujours rire les petits enfants et j’avoue être à chaque fois de leur hilarité.

Pas de ballocheuses par contre, leur présence dans un tel lieu ayant donné lieu dans le passé à un nombre impensable d’histoires. Un tel venait avec son épouse au bras qui surprenait un regard de connivence avec une horizontale, et tout de suite avait lieu un hideux crêpage de chignons au milieu des ris. J’ai assisté une fois à ce genre de scène : intéressant d’un point de vue lexical, il m’apprenait plein de nouveaux mots. Pour le reste, assez navrant, même si j’avoue avoir participé à l’initiative d’un tomatier qui nous avait proposé de lancer quelques tomates bien mûres à la face du cocueur qui regardait les deux femelles se battre à cause de lui sans oser rien faire. Mais revenons plutôt à notre marché et à son petit peuple.

À dire vrai peu m’importait ce que tout ce petit monde vendait. Seuls m’importaient le pittoresque, la foison d’images et les torrents de bruits. Tout me plaît dans un marché : les trognes des vendeurs, la variété et les couleurs apéritives de ce qu’ils vendent, leurs formules braillées pour alpaguer le client, les drolatiques tentatives de dernier pour tenter de baisser le prix et mille autres détails faisant que le spectacle, quoique toujours le même à sa manière, était à chaque fois différent, amenant son lot de surprises, de rencontres plaisantes.

Je commençai tout de suite à me rendre au point à l’autre bout de la place, là où se trouvait le petit carré réservé aux bouquinistes. J’y consacre à chaque fois une heurette, le temps de bien inspecter les centaines d’ouvrages empilés à même le sol (uniquement en cas de beau temps bien sûr), de chercher la perle rare, de vérifier que l’état d’un livre susceptible de m’intéresser est au moins passable (j’ai toujours été un peu maniaque avec mes livres, vous vous en apercevrez plus tard) et surtout que le prix est raisonnable. Ce n’est pas parce que je me fais brouter le derrière par mon libraire que les bouquinistes doivent faire la même chose !

Je ne sais pourquoi, une pile en particulier attira mon attention. Mystérieuse expérience de l’amateur de livres qui saisit inconsciemment une dorure, une couleur sur la reliure ou un de ces effluves divins propres aux meilleurs livres (je vous parlerai un jour de ma théorie selon laquelle une bonne littérature imprimée n’est pas sans conséquence sur l’odeur que va ensuite dégager le papier). Je m’approchai, les sens en alerte, remarquant au passage la petite pancarte au pied de la pile :

10 sou le livre
30 les quatres

Imbécile de bouquiniste qui ne savait même pas aligner une poignée de mots sans écorcher la grammaire ! Ça s’occupe de vendre des livres et ça ne sait pas ! Agacé, je m’emparai de la pile pour l’inspecter mais gardant bien en tête cette somme dérisoire. Si mon nez ne m’avait pas trompé, j’allais sans doute faire une bonne affaire. Et de fait, après avoir écarté les trois premiers livres du haut de la pile, mes yeux tombèrent sur un vieil ouvrage d’apparence poussiéreux et délabré, en réalité décent pour son âge. Il était était difficile de dire si la reliure était en chagrin ou en maroquin. Elle avait un peu vécu, mais on sentait malgré tout que l’ouvrage confectionné n’avait pas été le fait d’un méchant relieur. De même les dorures alignées sur le haut de la tranche : « C. d. V. ». A priori, ces trois lettres qui avaient perdu de leur éclat n’avaient rien pour attirer l’attention. Mais en regardant de près, en scrutant la finesse de la calligraphie utilisée, on comprenait que le composteur n’avait pas eu de la merde dans les doigts non plus. Évidemment, les feuillets avaient depuis le temps été tranchés. Pour cela aussi, j’ai l’œil. Croyez-moi, un traîne-rapière ne va pas trancher un livre comme une clergesse ou un amoureux des livres comme moi. Le tranchage était très homogène, fait avec un objet adapté et par quelqu’un de raffiné ce qui expliquait qu’en dépit des mésaventures éprouvées par le livre pour atterrir entre les mains d’un bouquiniste ignorant, son état n’était pas si catastrophique. Restait à découvrir ce que cette apparence cachait.

À suivre…

2 comments

  1. Nous grésillons d’ouvrir le livre avec notre cher narrateur, « « C de V » n’est à l’évidence pas n’importe qui… Nous aimerions en outre lire un prochain ouvrage détaillant cette séduisante théorie olfactive-littéraire.

  2. Je prends note de tout cela. Moi aussi, j’ai envie de questionner le narrateur sur cette théorie, moi qui ai tendance à coller mon nez contre la papier d’un livre avant de procéder un achat.
    Le prochain épisode sera posté ce soir.

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