Nos lectrices le savent – nos lecteurs étant sans doute plus indifférents à cette nouvelle –, cela fait un an que les travaux ont commencé au château afin d’y intégrer un espace réservé aux bains. Rappelons que nous devons cette belle idée à la famille d’Arcourt dont le père, un fin connaisseur de la culture shimabie, était rentré un jour au royaume, après l’un de ses nombreux séjours au Shimabei, en regrettant qu’il n’y ait pas chez nous de ces bains publics si courants là-bas.
Lui et son épouse s’en étaient ouverts auprès de la reine qui trouva l’idée excellente et ordonna la réfection de tout un espace inusité au pied des remparts ouest afin d’y créer des bains. Différence notable avec ceux du Shimabei : si là-bas les hommes et les femmes se baignent dans les mêmes bassins, on a jugé préférable chez nous de les séparer en deux espaces distincts d’importance inégale. Les dames se montrant depuis toujours plus soucieuses de leur propreté et de leur éclat, on a décidé qu’elles bénéficieraient de l’espace le plus important, espace doté de trois bassins à l’intérieur et de deux à l’extérieur. Pour les hommes, il n’y en a qu’un à l’intérieur, et un autre au dehors. Comme les lectrices savent bien comme nos chers, tendres mais pas si propres ont tendance à se complaire dans une certaine crasse, vous serez d’accord je pense pour dire que ces deux malheureux bassins sont bien suffisants pour eux.
Adoncques les travaux avaient commencé et allèrent bon train par la suite, à tel point que je suis toute joie de vous dire que la construction est tout juste achevée et que j’ai pu, accompagnée de quelques dames, faire partie des premières à l’utiliser. Bien entendu, n’entre pas qui veut et je dois ce privilège à mon amitié avec une dame du château, grande lectrice de La Gazette, qui a pu obtenir pour moi une autorisation, autorisation que je compte bien réutiliser à satiété car après avoir essayé ces bains, je sens qu’il va m’être douleur de me contenter de ma baignette. Permettez-moi de vous conter mon expérience.
Certes, il faut vaincre d’abord une petite appréhension, celle de paraître nue devant d’autres dames. Néanmoins, dans la pièce de déshabillage préludant à l’entrée dans la belle salle des bains, des serviettes sont mises à disposition pour les jouvencelles encore malassurées de leur beauté ou les dames voulant camoufler les inévitables affres du temps. Intimidée par le lieu, je vous avouerai que j’ai noué cette serviette au-dessus de ma poitrine et que je l’ai gardée jusqu’à la fin. Bien m’en a pris puisque une heurette après mon entrée, les Callaïdes de la reine sont entrées dans le plus simple appareil, vision aussi éclatante qu’effarante et qui a de quoi vous sentir quelque peu goton. D’éventuels lecteurs s’attendent peut-être ici à ce que j’entre dans les détails de ces cinq beautés. N’y comptez pas, d’abord parce que ce serait être bien indiscrète, ensuite parce qu’il y aurait bien trop à dire. J’étais de plus tellement émue à entendre le phrasé perlé de leurs voix que j’ai préféré baisser les paupières pour mieux profiter de cette musique qui était le meilleur complément à la doucité du bain.
Je n’entrerai pas dans les détails techniques ayant permis l’acheminement de toute cette eau chaude pour alimenter sept bassins en tout. Je puis juste dire que maistre Lescot, l’ingénieur principal du château, a fait merveille. Quant à l’aménagement intérieur, tout a été repris sur le modèle shimabi – mais aussi sur le modèle des bains de Cimbadie, m’a-t-on dit. Les dames, alanguies par une eau pouvant être brûlante, ont à disposition des sortes de lits de pierre recouverts de plusieurs serviettes. Une servante peut alors s’approcher doucement et, avec un large éventail, rafraîchir le corps de la baigneuse désireuse de se reposer. Célestieuse sensation, je puis l’affirmer ! On trouve aussi dans un coin une table sur laquelle on peut se rafraîchir d’un peu de thé d’Ohini, thé particulièrement efficace pour combattre les effets de la désudation.
Les bassins à l’intérieur sont de deux types. En entrant, on tombe sur une grosse baignette circulaire en bois qui pourrait accueillir trois baigneuses mais qui est là pour proposer une eau chaude sans excès que la baigneuse peut prendre par une sorte de petit seau pour s’en inonder le corps et, partant, mieux le préparer à la divine submersion dans les deux autres bains, l’un pouvant accueillir cinq baigneuses, l’autre une dizaine. Ils sont de forme carrée, ont un pas de profondeur ainsi qu’un dallage en faïence blanche ornée de quelques roses – je ne suis pas sûre que les hommes disposent des mêmes modèles.
Mais plus admirables sont les bassins à l’extérieur, construits selon le modèle shimabi, à savoir approximativement circulaires, entourés de grosses pierres pour donner l’illusion de se baigner en pleine nature. Les dames y ont de plus une jolie vue sur la ville et sont protégées des regards par une toiture horizontale de cinq pas de large surplombant les bassins. Il doit être fort doux de s’y rendre la nuit puisque j’ai remarqué que les bassins étaient entourés de torchères – éteintes quand je m’y trouvais mais vraisemblablement susceptibles d’être allumées à la nuitantre.
Le jour de l’ouverture, pas un seul homme ne s’est rendu dans l’espace réservé aux bretteurs. C’est bien dommage et cela en dit long malheureusement sur la réticence des hommes à se laisser aller à un certain raffinement en cette période de paix prévue pour durer fort longtemps. Mais sans doute cela viendra-t-il. Après tout il est de plus en plus fréquent de voir de jeunes apprentis-chevaliers s’immiscer dans certains salons et y faire preuve de courtoisie et d’élégance. Au début de la conception des bains, maistre Lescot s’était demandé si le meilleur moyen d’amener les hommes à la propreté n’était pas justement de proposer des bains mélangés comme au Shimabei. Dieu merci cela n’a pas été choisi et les bassins extérieurs, ceux des femmes et ceux des hommes, sont séparés d’une haute palissade qui normalement doit préserver les dames des regards indiscrets. Notez mesdames que les enfant sont autorisés à vous accompagner, filles comme garçons, à la condition pour ces derniers qu’ils n’aient pas encore sept ans.
Il n’y a plus qu’à souhaiter qu’un tel endroit fasse son apparition en ville, par exemple à la Traversaine. Quel bonheur y aurait-il à passer du temps au Bas Galant avant de se rendre dans un établissement de bains puis de se solacier l’âme avec un bon breuvage à La Théière Almifique ! Mesdames et mesdemoiselles, si comme moi vous en avez fort envie, n’hésitez pas à nous envoyer des mots appelant de vos vœux l’ouverture d’un tel établissement. Nous les publierons dans La Gazette et, qui sait ? peut-être qu’un jour vous aurez l’occasion d’apparaître comme les Phœbe, Zephixo, Danallis, Amete et Lilaïa de la Traversaine.
Héloïse Béjart