C’était une après-midi au début des années 2000. Alors étudiant, mollement avachi dans un fauteuil appartenant au salon chez mes parents, je zappais à la télévision sans trop réfléchir lorsque je tombai sur un documentaire, probablement diffusé sur Arte. Un documentaire qui faisait son âge, probablement réalisé dans les années 60. Si je n’eus pas alors la curiosité de vérifier de quoi il s’agissait dans le programme TV que mes parents achetaient alors chaque semaine, j’eus celle de m’attarder un peu sur les images. Je me trouvais propulsé en Inde, plus précisément dans une école de danse traditionnelle, et voici ce que je vis :
L’émerveillement a vraiment commencé à 2’36, avec les deux jeunes stars de cette école de bharatanatyam, danse que je ne connaissais pas. Peut-être pas non plus un choc esthétique mais quand même, il y avait un peu de ça, alors que mes yeux restaient scotchés à cette grâce faite d’enchaînements virtuoses, de sautillements, de sollicitation constante de toutes les parties du corps, d’expressions radieuses contrastant avec les marques de sueur témoignant assez de l’exigeant effort demandé par cette danse.
Oui, le narrateur n’a pas tort quand il affirme que les deux danseuses sont en train de communiquer avec leur dieu tant il y a quelque chose de véritablement divins dans leurs pas. À l’époque, je suivais des cours de yoga dispensé à la fac par un excellent professeur (un excellent maistre, pour reprendre le terme usité dans les Callaïdes) et j’écoutais volontiers des disques de Ravi Shankar ou du Pakistanais Nusrat Fateh Ali Khan. Je fus assez ravi de cette découverte fleurant bon l’Inde puis j’éteignis la TV et n’y pensai plus.
Bien des années plus tard, je me souvins de cette scène et me maudis de n’avoir pas cherché à noter le titre du documentaire. Et c’est l’année dernière, alors que j’étais plongé dans l’écriture du Livre I, que je m’en rappelai de nouveau. Là, impossible de laisser passer la référence, il me fallait revoir cette scène. Et à coup d’habiles mots-clés sur google, je tombai enfin sur la vidéo postée dans cet article. J’étais heureux, et Mari aussi. Car Mari, meilleure danseuse des Callaïdes, danseuse des danseuses pour reprendre son surnom, pratique, à côté de la danse officielle du royaume (qui a sa part dans le livre II), la kalani, danse d’exception pratiquée au Shimabei. Et alors que je commençais à donner vie à cette danse lors du chapitre XVII, il m’apparut très vite que j’avais en tête cette danse découverte une fois par hasard sur Arte.
Le résultat m’est apparu assez probant, restituant assez bien mes souvenirs, mais il m’en fallait plus, je devais revoir ce documentaire. C’est chose faite depuis, j’ai découvert qu’il s’agissait d’un extrait de L’Inde Fantôme (titre convenant fort bien à ce film qui m’échappait), de Louis Malle, série documentaire de plus de six heures ayant la réputation d’être la meilleure œuvre de ce genre consacrée à l’Inde.
Et je me suis donc repu encore et encore des deux follets dansants, préparant du même coup une scène qui interviendrait dans le dernier tiers du livre. Car si la kalani se danse seule, il en existe une autre qui se pratique à deux. Huit pages lui seraient consacrées, avec à la clé un enjeu de taille.
Vous l’aurez compris, on danse beaucoup dans Les Callaïdes. Les hommes ont les épées ou les kissagos (terme qui sera expliqué plus tard), les femmes ont les pas de danse (entre autres). Dans les deux cas, il s’agira bien souvent de dueller.
Gaspard Auclair.