Autres Voix : Combat de la princesse Ayamé contre Renzo Ôbaturo (2)

Suite de cet article.

La princesse Ayamé s’est gravement disputée avec Renzo Ôbaturo, colosse expert en dankan (un art martial ancestral du Shimabei) et vieil ami du roi Senki. Ils n’ont d’autre choix que de s’affronter dans la salle d’entraînement du palais royal pour laver leur honneur. Et c’est tout de même bien embêtant car Ôbatoru pèse quatre quintaux et mesure une toise et demie. Surtout, il est horriblement vulgaire, n’hésitant pas cracher au visage de la princesse : « Alors petite princesse, prête à recevoir la fessée ? Et sinon pas apeurée à l’idée de recevoir un de mes coups dans les nichons ? » Comment va se comporter Ayamé face à une telle insulte ? Et comment le cœur du lecteur va-t-il tenir devant pareille tension ? N’hésite pas à boire un verre d’alcool fort pour t’aider à te détendre (de l’awaké, de préférence)…

Mais nous n’en eûmes pas le temps car les lèvres de la princesse se dessérèrent pour, à leur tour, déverser des paroles bien inattendues :

— Un coup dans mes nichons ? Malheureusement pour toi, tes couillons heurteront le sol bien avant, abruti !

Nous n’en crûmes pas nos oreilles ! Était-ce bien la princesse Ayamé, cet être si délié, si exquis, si raffiné, qui s’était exprimée ainsi ? Que se passait-il ? Un démon perfide avait-il pris possession de l’aire de combat ? Et pourtant, passé un premier mouvement de désapprobation, nous devînmes conquis par son air crâne, ses sourcils ombrageux, sa moue vénimeuse qui pissait tellement du dédain que le colosse se trouva subitement tout interdit. En vérité, les mains sur les hanches, les nich… les collines sacrées bien sanglées dans sa tunique rouge, elle était merveilleuse ! Oh qu’elle avait eu raison de lui parler ainsi !

D’ailleurs, ce fut plus fort que nous, nous nous mîmes à paumer des mains, chose interdite lors d’un duel, mais il nous semblait que l’affront envers notre vénérée princesse méritait lui aussi un juste affront. En tout cas, le roi ne nous ordonna pas de nous taire, au contraire, il nous sembla que tout cela l’amusait.

Mais le combat allait commencer et le colosse, tel un sanglier de mauvaise humeur, fit quelques pas en arrière, la trogne exprimant une horrible envie de méfaire. Je pense que nous autres étions tous en train d’appeler l’aide des dieux pour secourir la princesse. C’était tout juste si ne nous compissions pas d’effroi !

Les deux adversaires se saluèrent – assez médiocrement, il faut bien le dire – et le combat commença.

Aussitôt le sanglier partit en avant pour porter avec ses poings deux coups qui nous stupéfièrent par leur rapidité. L’homme était pourtant incroyablement massif mais cela ne l’empêchait pas d’être vif comme un tigre affamé sautant sur un makuni sucré (1) – et le makuni en question était des plus appétissants, croyez-le bien. Cependant la princesse esquiva avec adresse les deux coups.  Bien, bien ! Elle était partie pour se battre avec la pugnacité qu’on lui connaissait. D’ailleurs, elle semblait danser plutôt que se battre. Sa silhouette semblait flotter autour de l’adversaire, insaisissable, tandis que lui, malgré sa force brute, peinait à suivre son rythme. Il était bien plus vieux et, surtout, sa corpulence ne lui permettait sans doute pas d’entreprendre une joute devant durer trop longtemps. Aussi bien s’empressait-il d’en finir en envoyant des coups si puissants, fendant l’air si brutalement, que nous sentions leur souffle sur notre visage. 

Et la princesse continuait de se mouvoir avec une grâce telle que le sol semblait à peine effleurer ses pieds. Ses mouvements étaient légers, presque éthérés, et chaque attaque de l’ogre, brute et massive, se heurtait à un vide insaisissable, car Ayamé, fluide comme l’eau, s’éclipsait avant même que le coup ne s’abatte. Ses longs cheveux noirs suivaient chacun de ses pas, virevoltant autour d’elle dans un ballet hypnotique. À chaque esquive, sa silhouette dessinait dans l’air des courbes parfaites, un contraste saisissant entre la brutalité des assauts et la délicatesse de ses mouvements. Elle était une brise légère au milieu d’une tempête, insaisissable et superbe, et nous, ses humbles spectateurs, étions fascinés par ce spectacle de maîtrise et de beauté que seule une déesse pouvait accomplir.

Et pourtant…

Pourtant, malgré toute notre admiration pour son art, il faut bien l’avouer, une autre chose captivait nos regards de jeunes disciples. À chaque esquive parfaite, la poitrine de la princesse semblait danser en écho à ses mouvements, dessinant des arcs gracieux qui, à notre grande confusion, nous hypnotisaient presque autant que sa technique. Bien que son talent martial fût indiscutable, une partie de notre attention, peu noble il est vrai, était ailleurs… notre chère déesse était finalement un peu plus humaine que nous n’aurions voulu l’admettre.

Et du coup, nous fûmes plongés dans un curieux dilemme. D’un côté, nous voulions que le combat penche rapidement en faveur de la princesse. De l’autre, qu’il durât un peu ne nous déplaisait pas. Comme dit le proverbe : Quand la lune est belle, personne ne se presse pour voir le soleil. À plus forte raison quand il y a deux lunes au lieu d’une. Certes, elles étaient cachées, mais enfin, à force de se mouvoir, les pans de la tunique finirent par se détendre et à laisser apparaître de merveilleux croissants…

Cependant, cet égoïsme d’esthète n’eut pas le temps de durer car, alors que nous croyions que le colosse, devenant de plus en plus pataud devant la grâce aérienne de la princesse, allait finir pas s’épuiser, il réussit à porter un coup ! La princesse, trop confiante dans son esquive, peut-être un peut trop arrogante aussi, son doux visage commençant à arborer des mines de petite fille insolente, fit un pas de trop. Le poing massif de son adversaire la cueillit à l’épaule, envoyant une onde de choc à travers son corps frêle mais robuste. Elle vacilla un instant, ses cheveux s’éparpillant autour de son visage, et nous retînmes notre souffle, redoutant qu’elle ne s’effondre. Mais malgré la douleur qui plissa brièvement son front, notre déesse resta debout, le regard plus déterminé que jamais. Elle pivota avec grâce, absorbant le choc sans jamais perdre sa dignité et l’étincelle qui brillait toujours avec ardeur en ses yeux.

Mon cœur battait plus fort que jamais, non seulement par admiration pour sa technique inégalée, mais aussi pour la beauté éclatante qui émanait d’elle à cet instant, beauté que la fatigue exaltait. Trempée de sueur, elle avait les joues qui se teintaient du même rouge qu’un lycoris, tandis que ses cheveux se collaient sur son beau front, évoquant certaines visions oniriques et intimes qui égayaient parfois les tristes nuits de nous autres, pauvres élèves voués à une vie chaste en attendant des jours meilleurs.

Pour cela aussi, nous avions envie que le duel se prolonge un peu. Ayamé, si je puis me permettre de l’appeler ainsi, était si belle ! Et si vive, comme elle le prouva une nouvelle fois pour esquiver un coup de poing que l’adversaire lança avec une brutalité inouïe. Mais il fallait croire que la fatigue commençait à entamer sérieuesment la célérité de la princesse qui, de nouveau, n’esquiva pas tout à fait à temps… pour notre plus grande stupéfaction et notre plus grand bonheur. Car le poing s’engouffra dans le pan de sa veste, dénouant le tissu avec une précision involontaire. Et en un instant, les perles de grâce de la princesse, jusque-là bien dissimulées, se dévoilèrent sous nos yeux écarquillés !

Et un cri tragique perça l’atmosphère déjà toute de tension insoutenable.
(2)
a
La princesse… ses pommes de désir, miracles de la nature, avaient-elles été meutries ? Nous n’eûmes pas le temps d’angoisser longtemps : un autre cri, perçant, terrible, jaillit de la gorge (celle du haut, bien sûr) d’Ayamé.
(3)
a
C’était le cri de la beauté et de la pudeur bafouées, cri qui appelait une réaction, et bien plus terrible que celle qui se produisit à l’intérieur des tuniques des vingt-sept élèves mâles présents à la vue des perles princières de grâce.
Suite et fin au prochain épisode…

(1) Petite brioche typique du Shimabei.

(2) Kyaaa ! (note du traducteur)

(3) Pervers ! (ndt)

Exemple d’apparition de demi-lune dans une salle de dankan.

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