La Plume viciée (8) : Amère euphorie

Résumé de l’épisode précédent : Diane le sent bien, ce petit carnet volé dans l’appartement de l’aïeule de Capucine. Rempli de prometteuses recettes de beauté , il a su séduire la vaniteuse gazetière qui a très envie de vérifier par elle-même si ce qu’il propose va lui permettre de passer d’armide à déesse de la beauté…

À la gazette, elle fut radieuse, charmante, drôle, aimable, bienveillante et plein d’autres qualités encore. Elle eut un mot gentil pour tout le monde, même pour Élodie sur qui elle tomba en arrivant. Et quand elle se rendit dans le bureau de Monsieur Orbaque, l’acomptable, pour lui demander un nouvel encrier, elle prit son temps, papotant une demi heurette avec lui qui n’en demandait pas tant, aimant beaucoup la jeunesse de la brune qui, contrairement aux autres, s’intéressait à son travail. Et charmante avec ça, pas comme cette morgueuse d’Élodie Lacour. Ah ! s’il avait vingt ans de moins !

Il ouvrit un des tiroirs de son bureau et en sortit un flaconnet d’encre tout neuf qu’il posa devant lui ainsi qu’un formulaire pour lequel il demanda à Diane une signature. Toujours d’excellente humeur, la jeune femme se pencha pour saisir la plume, permettant au regard de l’acomptable d’apercevoir des territoires plus polissons et arrondis que ses vieux livres de comptes. Machinalement, sa dextre se porta vers son boulier pour en tripoter des boules, les faisant glisser sur leur tige de manière saccadée. Puis Diane le remercia en le gratifiant de son sourire n°14 et se retourna. En la voyant de dos, Orbaque eut cette pensée :

Diable ! Si mes doigts avaient autre chose à toucher que les boules de mon boulier, j’aurais aimé qu’ils fassent glisser les courbes de cette donzelle sur une tout autre tige. Pour un autre style d’arithmétique bien sûr ! Ah ! Si j’avais vingt ans de moins !

On le voit, Monsieur Orbaque pouvait être drôle, mais cela, peu de gens le savaient.

Oui, Diane était sur un nuage, et sa plume n’était pas en reste. Elle avait à écrire un article sur le dernier roman de Guillaume Vilet (1), un des auteurs préférés de ces dames. Il ne fallait surtout pas l’écorner, d’autant que, écrivant lui-même pour un petit fascicule publié par le libraire Gollard, il avait récemment évoqué « La belle plume d’une rédactrice de La Gazette du Royaume qui a l’art et la manière d’insuffler une élégance naturelle à chaque mot, captivant ses lectrices par des portraits de mode exquis, des conseils de beauté raffinés et des critiques littéraires empreintes de poésie et de subtilité. Ses articles, véritables œuvres d’art, façonnent les goûts de la haute société et offrent une vision enchantée du monde qui séduit et inspire à la fois. »

Si nous étions aussi triviaux que Monsieur Orbaque, nous dirions qu’à la lecture du compliment, Diane en avait mouillé sa culotte. Elle n’avait pu s’empêcher d’y faire allusion dans un article pour inciter les lectrices à lire elle-même le gentil mot. Quant à sa critique du roman de Vilet, voici ce qu’elle écrivit :

Nous pensons toujours que seules les écrivelles parviennent à saisir les belles contradictions, les puissants élans de l’âme féminine. Cependant, il conviendrait de nuancer, quelques auteurs semblent y parvenir avec la même réussite. Témoin Guillaume Vilet dont le dernier récit, Les Larmes de l’étoile, nous donnerait parfois l’impression que l’auteur use d’un nom de plume, qu’il est en réalité une dame avec beaucoup d’expérience tant ses personnages de femmes esseulées sont pétris de véracité.

Mais non, nous le savons bien, Guillaume Vilet est bien un homme (et, pour l’avoir encontré mes amies, des plus charmants). Sa prose est juste une symphonie de mots, et chaque phrase une mélodie envoûtante qui capture l’essence même de notre âme. Ses héroïnes, loin des caricatures triviales, sont des entités complexes, oscillant entre la fragilité et la force, la passion et la retenue. À travers des métaphores délicates et des descriptions empreintes de poésie, Vilet dépeint leurs dilemmes avec la même précision qu’un maistre médecin devant manier le scalpel.

Son nouveau roman est une fresque intime où chaque chapitre dévoile une nouvelle nuance de ses personnages, comme autant de facettes d’un diamant. Vilet semble comprendre instinctivement les nuances de l’émotion, le poids des regards, les silences chargés de sens. Ses dialogues sont des duels verbaux, des échanges subtils où chaque mot est pesé, chaque réplique un écho d’une vérité plus profonde.

L’on ne peut s’empêcher de s’émerveiller devant la maîtrise narrative de l’auteur. Sa capacité à tisser des intrigues où les âmes se croisent, se heurtent et se révèlent est tout simplement magistrale. La lecture de ce roman est une expérience immersive, un voyage intérieur où l’on se perd avec délice.

En refermant Les Larmes de l’étoile, une certitude demeure : Guillaume Vilet possède une plume qui transcende les genres, une voix qui résonne avec une authenticité rare. Il s’impose comme l’un des rares hommes à pouvoir véritablement prétendre à la compréhension des mystères féminins, et son œuvre est une invitation à redécouvrir les richesses inexplorées de l’âme humaine.

Diane de Monjouy

Les Larmes de l’étoile est disponible uniquement à la librairie Gollart.

Si avec ça cet imbécile n’est pas satisfait ! se dit Diane après avoir posé le point final.

Précisons que Diane conchiait positivement les écrits de Guillaume Vilet – et elle n’était d’ailleurs par la seule (2).

Puis elle s’attela au portrait d’une amie du Château. C’était une idée d’article qu’elle avait eue : afin de donner aux petites bourgeoises se piquant d’élégance une image précise du goût qu’avaient les dames nobles au Château, elle décrivait la parure d’une connaissance avec la permission de cette dernière. Il s’agissait bien sûr de la magnifier en un style poético-boursouflé qui faisait rougir de plaisir l’intéressée. Réclamer à Diane un article de ce type afin de se voir évoquée dans les colonnes de La Gazette était d’ailleurs devenu un jeu à la mode. La plupart du temps, ça se passait ainsi :

— Diane, vous ne m’avez toujours pas croquée ! C’est mon tour maintenant.

— Je le veux bien Hermine. Donnez-moi juste l’occasion de vous voir parée de vos plus beaux atours.

— Écoutez, ma famille reçoit en fin de semaine. Une vingtaine d’invités sont attendus, dont le Comte de Ternay qui, comme vous le savez, appartient à la Haute Noblesse. Rejoignez-nous donc.

Et voici ce qu’elle écrivit sur Hermine de Castelet, petite rousse insignifiante aux yeux louchons :

À la cour, rares sont celles qui peuvent rivaliser avec la splendeur et la grâce d’Hermine de Castelet. Lors de la soirée d’hier à laquelle j’ai eu la chance d’être conviée, Mademoiselle de Castelet a su une fois de plus éblouir tous les regards avec une parure d’une finesse et d’une élégance inégalées, véritable reflet de sa distinction naturelle et de son goût irréprochable.

Le satin de sa robe, d’un bleu nuit profond, semblait capturer la lumière pour la renvoyer en une myriade de reflets étoilés. Ce tissu, délicatement rehaussé de broderies argentées, épousait parfaitement sa silhouette, soulignant avec grâce la finesse de sa taille et le galbe de ses hanches. À chaque mouvement, le satin bruissait doucement, ajoutant une touche musicale à son allure majestueuse.

Autour de son cou gracile, un collier d’opales iridescentes scintillait de mille feux. Ces pierres, choisies avec soin, semblaient capturer l’éclat de l’aube et le mystère du crépuscule, ajoutant une aura presque éthérée à son port de tête. Les boucles d’oreilles assorties, de délicats pendants d’argent incrustés de minuscules perles, encadraient son visage avec une élégance discrète mais néanmoins remarquable.

Ses cheveux, coiffés en un chignon sophistiqué mais faussement négligé, étaient ornés d’un diadème finement ciselé, serti de petites émeraudes et de perles blanches. Cette coiffure, tout en simplicité apparente, était le résultat d’un art consommé, et mettait en valeur la pureté de son teint et la douceur de ses traits.

Les gants de soie, d’une blancheur immaculée, ajoutaient une touche de raffinement supplémentaire, tandis que ses mains semblaient taillées pour la délicatesse et la grâce. Chaque doigt était orné d’anneaux subtils, rehaussant encore la beauté de ses mains élégantes.

Pour parfaire cette tenue d’exception, Hermine de Castelet portait des souliers de satin brodés de fil d’argent, assortis à sa robe, et si fins qu’ils semblaient flotter sur le sol à chaque pas. Le parfum qu’elle exhalait, un subtil mélange de jasmin et de bergamote, laissait dans son sillage une trace olfactive enchanteresse, complétant ainsi ce tableau de perfection.

Hermine de Castelet est sans conteste une des incarnations de l’élégance et de la grâce à la cour. Son sens aigu de la mode et son goût raffiné en font un modèle à suivre pour toutes celles qui aspirent à l’excellence dans l’art de se parer.

Diane de Monjouy

Et voilà ! s’exclama-t-elle intérieurement une fois le point final posé à son visqueux panégyrique. Si seulement mon style lui permettait de redresser sa vue. La pauvre !

On le voit, chez Diane, la gentillesse était toujours couplée à une certaine férocité. François de Charron, le grand moraliste, avait bien raison quand, dans l’une de ses fameuses maximes, il avait eu cette pensée : « Nous aurions souvent honte de nos plus belles actions si le monde voyait tous les motifs qui les produisent ». Diane, elle, ne ressentait nulle honte. Au contraire, elle jubilait. Il est vrai qu’elle ne s’était jamais plongée dans l’œuvre de François de Charron. Les maximes, c’était surtout une littérature d’ennuyeux barbons, ça allait bien deux minutes, hein !

Elle avait presque fini d’écrire son dernier article de la journée quand la porte s’ouvrit.

Élodie.

Toujours aussi belle. Peut-être même plus qu’à l’accoutumée. Elle semblait même heureuse, épanouie. De quoi ? Mystère. Hé ! Il serait cocasse de se rabibocher pour le savoir ! Elle avançait d’ailleurs vers elle, l’air radieux. Tiens ? Mademoiselle mijaurée avait bien changé. Méfiance tout de même, cela cachait peut-être quelque chose.

Arrivée à deux pas de la table de Diane, toujours souriante, la belle blonde entrouvrit alors les lèvres.

— Nous nous rejoignons donc dans une heure à La Pomme d’or pour dîner ?

Hein ? Que disait-elle ?

Élodie ne s’arrêta pas à sa table. Elle fit quelques pas supplémentaires pour rejoindre une autre derrière elle.

Celle où se trouvait Bastien. Bastien, le gentil Bastien, le gazetier spécialisé dans les mystères qui avait dernièrement abandonné son poste, démoralisé qu’il était par des articles un peu trop ténébreux sur le bourreau de la ville (3). Elle dînait donc avec ce freluquet sans coffre ? C’était bien drôle !

Après, si c’était drôle, ce fut aussi plus fort qu’elle, Diane se retourna et vit, comme tous les autres rédacteurs d’ailleurs, l’impensable : Élodie s’approcher au plus près de la table puis se pencher en tendant ses lèvres pour cueillir un baiser !

Or çà !

C’était là le moyen que les deux amoureux, vivant une idylle consolatrice après une rude épreuve (3), avaient imaginé pour montrer une fois bonne fois pour toutes aux autres leur tendre relation. D’abord gênés, ils les avaient accompagnés quelques fois dans leurs petites beuveries après le travail et s’étaient contentés de discrets frôlements de mains sous la table, pudiques et timides comme d’innocents puceaux, redoutant de trop se livrer, d’avoir à donner des explications ou de subir d’agaçantes remarques. Là, la révélation cueillit tout le monde, un peu comme lors d’un repas de famille dans lequel un vieil oncle connu pour son ivrognerie se met subitement à boire de l’eau plate. On ouvrit de grands yeux, on ne sut quoi dire, André Camier le dessinateur excepté qui, Élodie partie, lança un regard complice et admiratif au jeune gazetier. En revenant à sa table de dessin, il observa au passage Diane.

Elle était toujours souriante.

Mais quelque peu cireuse.

À suivre…

(1) Concernant cet auteur, voir Cycle des Callaïdes, Livre II (Des Errances de Mari), Tome I (La Geste Paladine), chapitres VI et VII.

(2) Id.

(3) Voir la précédente nouvelle, Les Confessions de la Hache.

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