Évoquée de temps en temps, la princesse Ayamé, tumultueuse fille du roi du Shimabei – le roi Senki –, mérite amplement que l’on évoque d’autres traits saillants de sa légende. Pour ce faire, il n’est que de se pencher sur des écrits de son époque, ainsi les mémoires de Shinichi Funakoshi, un des plus grands combattants de dankan – un des principaux arts martiaux du Shimabei –, à l’époque de l’anecdote encore un jeune guerrier inexpérimenté et secrètement amoureux de la princesse (il était loin d’être le seul), alors âgée de dix-sept ans…
Jamais je n’oublierai le jour où la princesse Ayamé affronta cet adversaire imposant, un géant parmi les hommes, dont la carrure eût pu faire trembler les plus courageux. Il s’agissait de Renzo Ôbaturo, vieil ami du roi qui, ayant appris depuis son absence longue de cinq ans que la princesse s’était entretemps prise de passion pour le dankan, lui proposa assez insolemment, lors d’un dîner, de l’affronter. Bien sûr, je ne m’y trouvais pas mais j’appris par un serviteur que le ton était tès vite monté entre les deux, la princesse pouvant être fort cassante, et le vieux guerrier pas vraiment connu pour disposer de beaucoup de patience. Entre ces deux-là, le roi Senki s’amusa beaucoup de leur querelle, proposant à la fin en guise de conciliation un duel qui aurait lieu le lendemain.
La princesse accepta, de même que son adversaire qui ne put s’empêcher de se fendre d’une dernière remarque désobligeante :
— M’est avis que la gouvernante de cette donzelle malpolie ne lui a jamais donné la fessée quand elle était petite. Je me charge de réparer cela demain. Il paraît qu’elle porte une tunique rouge, je ferai en sorte que son petit cul soit assorti.
La princesse monta dans ses appartements en hurlant d’abominables injures (elle faisait souvent cela avec son père) qui firent redoubler l’hilarité du roi qui adorait la rude jovialité de son vieil ami et qui lui passait tout, y compris le manque de respect envers sa fille.
Le lendemain matin, tout le monde avait appris l’esclandre et l’on se demanda si le roi n’était pas allé trop loin en permettant ce duel. Passe encore de laisser sa fille participer à nos entraînements. De toute première force, elle valait amplement les plus aguerris parmi nous. Mais se mesurer à cette montagne de muscles qui brisait les os de ses adversaires avec la même facilité qu’il se fût agi de brindilles, voilà qui ne laissait pas d’inquiéter. Nous espérions que le roi avait au moins secrètement donné à son ami la consigne de n’utiliser qu’une petite portion de sa force afin de ne pas abîmer le tableau vivant et gracieux qu’était le visage de la princesse.
Cependant, quand nous les vîmes face à face au milieu de notre salle d’entraînement, se toisant avec arrogance, nous en doutions. La princesse, toujours magnifique dans sa tunique rouge et ses longs cheveux attachés en une queue de cheval dont la mèche lui descendait jusqu’au bas du dos, le fixait, les mains sur les hanches, pas du tout intimidée. Il y avait pourtant de quoi. Haut d’une toise et demie, lourd de quatre quintaux, l’ogre s’était penché, les mains sur les cuisses, de manière à mettre son visage tout près de celui de la princesse. Terrifiant contraste. On eût dit une fleur face à un ours s’apprêtant à rageusement la piétiner.
Ils attendaient ainsi l’ordre du roi pour commencer. Mais celui-ci devait trouver le tableau charmant car il attendait, se repaissant de la tension qui émanait des deux combattants. Ce fut léger de sa part car à la longue, l’infâme Ôbaturo ne put s’empêcher de desserrer les mâchoires afin de proférer une nouvelle provocation:
— Alors petite princesse, prête à recevoir la fessée ? Et sinon pas apeurée à l’idée de recevoir un de mes coups dans les nichons ?
C’était insupportable. Comment tolérer ces insultes ? Assis sur les bord de l’aire de combat dans la posture traditionnelle, nous crispions nos poings sur nos cuisses, à deux doigts de bondir pour châtier l’impudent. Qu’il fût ami ou non du roi ne changeait rien. Pour nous, la princesse Ayamé était une manière de déesse. Nous aurions pu tuer pour elle, voire vendre volontiers nos parents, et même nos propres sœurs. Lui appliquer le mot nichon nous apparaissait comme un terrible sacrilège. Bon, esseulés dans le terrible entraînement de notre vie militaire, nous pensions souvent, la nuit surtout, au corps de la princesse se baignant dans les bains royaux, et imaginer des clapotis frôler doucement sa gorge nous était bien consolatif. Mais jamais ô grand jamais le hideux mot ne nous aurait traversé l’esprit, à nous pour qui la princesse était un être irréel presque d’essence poétique. La princesse ne pouvait avoir de nichons, mais des monts divins, des joyaux d’albâtre, des perles de grâce, des collines sacrées ou, à la rigueur, des pommes de désir (uniquement quand nous avions bu un peu).
Exaspérés, furieux, nous fûmes quatre à nous lever pour intimer au malotru de présenter des excuses. Nous savions que cela ne plairait pas au roi et que nous nous exposions à une rude punition, mais peu importait — et puis, secrètement, c’était aussi le moyen d’attirer le regard de la princesse sur nos insignifiantes personnes et, peut-être, se suciter un tendre intérêt.
Mais nous n’en eûmes pas le temps car les lèvres de la princesse se dessérèrent pour, à leur tour, déverser des paroles bien inattendues.
À suivre…