La Plume viciée (16) : Ultimes métamorphoses avant le bal littéraire

Résumé de l’épisode précédent : Que Diane joue avec les sentiments d’une femme comme dame Isolde est déjà cruel. Mais que dire de son attitude avec la jouvencelle Capucine, dix-sept ans, dans la chambre d’un hôtel de déduit ? Ah ! Que certaines armides peuvent avoir le coeur bien ténébreux…

Les jours suivants, Diane s’appliqua de nouveaux baumes. D’abord, elle acheva de faire étinceler son corps en y appliquant dans les moindres recoins le baume de Lune céleste.

Dans l’ombre de la nuit, Diane, déesse brune,
Son corps d’albâtre pur, sans la moindre lacune,
Glisse dans l’eau pure, tel un rêve éthéré,
Le bain reçoit l’éclat de sa beauté sacrée. 

Ces vers, nous les devons à une certaine Héloïse de Guerméné qui, le soir même dans les bains du Château, vit apparaître Diane dans la gloire de son corps d’albâtre. Elle fut tellement sidérée que la première chose qu’elle fit en rentrant chez elle fut de coucher avec application ces vers sur un beau feuillet en papier vélin.

Le lendemain, Diane réunit les ingrédients pour concocter l’Élixir de la Crinière Enchantée. Douze écus en tout. Ici, Berthe Récamier carotta Diane quelque peu puisqu’elle lui factura deux écus les quelques cheveux de vierge alors qu’elle s’était contentée de les prélever sur Annie, sa fille de douze ans.

Sous les cieux de satin, Diane fait flamboyer,
Ses cheveux noirs comme l’ébène, éclatant d’or,
Imaginez-la, nue, sur mon lit, telle une reine,
Sa chevelure éparse, un rêve au blanc drap d’or.

 Je me damnerais pour caresser cette soie,
Voir ses mèches brillantes étendues en feston,
Ô Diane, si belle, ton éclat me séduit,
Je brûle de t’avoir, d’embrasser ce don.

Ces huit vers aux rimes incertaines furent fiévreusement rédigés par Abélard Gaston, jeune garde qui avait vu passer Diane une heure auparavant avec sa chevelure qui ridiculisait celles des Callaïdes (les Callaïdes du moins entourant Catelyne au moment de cette histoire, pour celles à venir, c’eût été plus difficile). Il le lut ensuite à un camarade de chambrée qui crut utile de finement observer :

Je brûle d’embrasser ce don. D’embrasser ce con, tu veux dire ! Ou ce fion ! Hu ! hu !

Abélard prit très mal la plaisanterie, peu s’en fallut qu’il dégaine sa dague pour égorger le malappris. Manifestement, Diane avait un nouvel idolâtre parmi ses admirateurs.

Mais tout cela n’était rien car Diane n’avait pas encore appliqué l’Élixir mystique pour Lèvres de Velours (quinze écus la concoction).

Sous le charme des âges, Diane dévoile sa grâce,
Ses lèvres, pourpre mystique, captivent le regard,
D’une douceur ineffable, leur éclat me surpasse,
Ô que je rêverais de les effleurer de mes égards !
Les ans ont creusé mon visage, mes jours sont comptés,
Mais en son regard brûle un désir bien conservé.
Ces lèvres enchantées, dans leur beau mystère profond,
Éveillent en moi des rêves d’un autre temps, si bon.

Ces vers furent rédigés par Gédéon de Lirmont, vieillard de soixante-sept ans, après avoir aperçu Diane dans l’une des quatre salles de jeu du Château. Il n’eut malheureusement pas le temps de tomber longtemps dans la douce nostalgie du temps où il baisait de jolies lèvres puisqu’il succomba à un arrêt de son vieux cœur le soir même. Ses descendants trouvèrent le poème le lendemain, et il se chuchota qu’il était mort pour avoir trop admiré la beauté d’une certaine Diane.

On pourrait imagine que Diane allait s’arrêter. Que nenni ! Plus elle embellissait, plus elle considérait que ce n’était pas assez. Aussi bien réunit-elle les ingrédients afin de préparer le Nectar Envoûtant pour Seins de Délice. Elle hésita cependant car elle était fort contente de sa gorge. Et puis, elle avait eu vent d’expériences avec des mixtures frauduleuses qui avait eu de fâcheuses conséquences chez certaines femmes qui s’était retrouvées avec une poitrine fort crevassée ou à demi éclatée. Mais elle avait essayé trois recettes qui, toutes, avaient eu de miraculeux résultats. Pourquoi en irait-il autrement avec celle-ci ? Allez… encore une… ce serait la dernière. C’était d’autant plus tentant que les effets des précédents baumes étaient fort résistants au temps. Trois jours après avoir appliqué le Baume de Lune Céleste, le corps de Diane était toujours aussi blanc, pur, magnifique. Bref, le divin nectar connut le bonheur d’entrer en contact avec ses seins.

Sous le voile de l’ombre, Diane révèle sa grâce,
Ses seins, sculptés d’amour, dansent sous la caresse.
Ô volupté divine, douceur que l’on enlace,
Chaque courbe est un feu qui enflamme ma liesse.

Comme une étoile douce, tes formes illuminent,
Mon cœur bat d’adoration, ta beauté m’emmène.
Ô Diane, je t’aime, dans tes bras je me blottis,
Ton charme m’envoûte, pour toi mon âme s’épanouit.

Ce touchant poème fut écrit par une Capucine toute tremblotante et les larmes aux yeux. Quant à celui-ci…

Oh ! Diane, en décolade, tes seins sont deux mets,
Chaque courbe en avant, un festin pour les yeux !
Sous cette robe légère, ton charme est un secret,
Un délice exquis, qui réveille mes feux.
Le nectar t’a sculptée, comme une œuvre d’art,
Et quand je te vois, mon désir n’a plus de part.
Laisse-moi goûter à ce fruit si savoureux,
Ô Diane, tes attraits sont un régal délicieux !

… Diane eut l’occasion de le lire elle-même puisqu’il lui fut transmis par un valet appartenant à un certain Stéphane de Fanget (1), saisi d’avoir croisé dans un corridor Diane vêtue de sa robe à décollade la plus osée. Dans la lettre, il lui proposait rien moins qu’un rendez-vous.

C’était la première lettre de ce genre qu’elle recevait. Elle réfléchit, mais ne donna pas suite. Rien ne pressait, elle trouverait bien de meilleures propositions. Et elle avait sans doute raison car si on additionnait tous les vers qui en quelques jours avaient été écrits secrètement à sa gloire, on obtenait le beau chiffre de cinq-cents-quatre-vingt-six !

Une des maistresses de l’école de dame Adèle l’avait d’ailleurs aperçue au Château et avait évoqué sa grande beauté à une collègue venue discrètement jaboter dans sa classe, en présence des ses élèves jouvencelles, parmi lesquelles une certaine S*** de S*** qui laissa ce commentaire dans l’oreille de sa voisine :

— j’ai entendu dire qu’elle est gazetière. C’est bien la peine de porter le même prénom que la célèbre nymphe du conte pour au bout du compte ne rien faire d’autre que de gratter maladroitement du papier !

Ce à quoi la voisine, une jolie brune au regard éthéré nommée C*** de V***  (déjà évoquée dans cette histoire), répondit :

— Je la connais, j’ai lu ses articles dans La Gazette du Royaume. Elle sait écrire, je ne vais pas dire le contraire, mais je n’aime pas son style. Il me fait penser aux bonimenteurs de foires qui se contentent de jongler avec les mêmes expressions convenues.

Mots qui furent entendus par sa voisine de droite, A*** de C***, rousse pétillante au regard vif, qui rétorqua :

— Tiens ! C*** qui dit du mal d’une autre, c’est nouveau. Moi, ce qui m’étonne, c’est qu’une gazetière se nomme de Monjouy. Diane de Monjouy, vraiment ? M’est avis qu’elle a dû jouir de quelques faveurs pour se hisser si haut.

— Ou jouir le dos bien à plat sur un lit, si tu vois ce que je veux dire, répondit S***.

— Ha ! ha ! Ouiche ! Gazetière le jour, aventurière la nuit ! J’aimerais bien la voir, cette Diane de Monjouy. Une fieffée gueuse, si tu m’en crois.

— Mesdemoiselles, j’entends ! cria la maistresse. Vous me conjuguerez toutes trois trente fois, à tous les temps de l’optatif, du condensif et du narratif, « Je ne dois pas médire d’une armide parce que je ne suis qu’une gamine encore mal décrottée. »

C*** de V***, qui avait été la plus mesurée, laissa passer un Oh ! dans lequel le sentiment d’injustice était aussi mignard qu’hyperbolique.

Pour en revenir à Diane, il n’échappa à personne au sein de la gazette que sa notoriété avait décuplé d’un coup, à en juger du moins le nombre de lettres qui lui étaient adressées et que la vieille Sylvie recevait dans sa loge. Ça commençait à l’embrenner un peu, d’ailleurs. Elle avait toujours été en excellents termes avec l’armide, la trouvant plus respectable qu’Élodie, mais là, elle commençait à douter franchement. « Madame est bien belle, en ce moment, bougonna-t-elle en ouvrant une énième lettre qui lui était destinée, la posant sur une imposante pile, et ça me donne du travail en plus. Je ne serais pas étonnée d’apprendre que derrière toutes ces beautés il s’y trouve des choses pas très propres. En vérité elle me déçoit. »

Élodie, elle, craqua. Devenue plus sage grâce à l’amour que sa liaison avec le raisonnable Bastien permettait de découvrir, elle fut saisie de constater les hauteurs de beauté et d’élégance que Diane était en train d’atteindre. Ce fut le début de sa propre quête afin de trouver elle aussi d’efficaces recettes de beauté. Ce fut moins payé de succès. Et Bastien découvrit que sa gente amie pouvait être fort cassante.

Un en revanche qui ne changeait pas dans sa perception de la gazetière, c’était Henri. Il continuait ses horripilants Diââne de Monnjouï, plus amusé qu’impressionné par sa transformation, comprenant surtout que ça la faisait arager. De fait, intérieurement, Diane cuisait à gros bouillons.

Petit puceau de merde ! Fiente mal élevée ! Restant de pissat ! Insignifiant bagouli ! Dans quelques années, tu comprendras ta terrible erreur, va ! Tu n’as pas encore compris qui était Diââne… Diane de Monjouy !

Et pendant ce temps, sa renommée grandissait, ses articles plaisaient de plus en plus, et le bal littéraire approchait.

Gollard avait tenu parole. Il avait confié le manuscrit à son imprimeur, cent exemplaires étaient sortis des presses. Mais quand lui et son collaborateur virent l’allure de la gazetière, ils changèrent d’avis.

— J’avais bien remarqué que c’était une belle jeune femme, mais pas à ce point-là, fit le gros Gollard.

— Sais-tu à quoi je pense ?

— Oui, à doubler les exemplaires.

— Non, les tripler. Et à augmenter leur prix de vente.

— Tu es sûr ?

— Tu peux être sûr qu’elle va accaparer l’attention ! Apparemment, dans La Gazette, c’est la grande amie de toutes les mijaurées de la ville. Et concernant les hommes, je n’en vois pas un seul capable de rester indifférent à sa petite gueule et à ses beaux nichons.

— Songe qu’au bal, il y aura sûrement de la concurrence. Agnès de Valrose, Mélisande Clairmont, Isabeau Desrosiers et Élise de Lys en seront.

— Ah ! C’est vrai. Tiens, il faudrait organiser un ou deux événements pour faire monter la sauce.

— Comme quoi ?

— Je ne sais pas… une rencontre avec Guillaume Vilet, on les ferait bavasser sur leur art.

— Encore Vilet ? Pitié ! Il n’y a que lui qui attache de l’importance à ce qu’il raconte.

— Alors tout simplement une discussion avec notre armide, devant un public. Juste assise sur une chaise, sans table devant, pour que tout le monde admire son corps et ait ensuite envie d’acheter son livre.

— De fait, à défaut de celles de son style, mettons en avant les beautés de sa petite personne.

— Oui, et ménageons-la, la poularde va nous pondre plein de beaux écus, j’en suis sûr !

Évidemment, Gollard ne parla pas ainsi quand il vit venir Diane dans son bureau. Il lui montra un exemplaire des Secrets de l’éventail. Il n’y vait rien à dire, c’était parfait, d’autant que, là aussi, une gravure montrant l’écrivelle dans une séduisante posture en frontispice :

Diane fut très enthousiaste, trouvant la composition de fort bon goût et la présence du cerf assez exquise. On eût pu faire des réserves sur la décollade bien excessive, mais Diane, toute à l’ivresse de sa nouvelle beauté, avait soif d’en faire profiter le commun. Non, vraiment, se voir ainsi dans cette tenue de villageoise, c’était charmant.

Elle eût cependant trouvé l’oeuvrette moins charmante si elle avait assisté aux déplaisants commentaires de Gollard et du collaborateur quand ils la découvrirent :

— Mais que fait donc ce cerf ici ? C’est idiot ! s’exclama ce dernier.

— Diable, rien d’extraordinaire. Il regarde sa jolie biche et dans un instant il va vérifier l’expression.

Gollard faisait finement allusion à « feuger comme un cerf en pleine forêt. »

Les deux hommes s’esclaffèrent fort.

À suivre…

 

(1) Voir Les Callaïdes, Livre I (Charis de la nuit), Tome II (Songes de sang), chapitre LIII, page 322.

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