Résumé de l’épisode précédent : esprit éclairé, dotée d’un merveilleux visage, Diane a su conquérir Isolde, qui décide de l’engager comme rédactrice pour La Gazette du Royaume, mais aussi de lui prêter un nom pour lui permettre d’accéder au Château et parfaire ainsi ses connaissances de la noblesse. Désormais, elle se nomme Diane de Monjouy…
À vrai dire, Diane était un petit caméléon qui s’adaptait à toutes les situations, à tous les interlocuteurs. Nous avons évoqué tantôt sa morgue, mais quand elle parvenait à la camoufler, elle apparaissait comme brillante et agréable, profondément sympathique. Elle questionnait et écoutait en hochant la tête, l’air amical et intéressé, et lesdits interlocuteurs se disaient : « Quelle adorable crème que cette personne ! » Inutile de préciser qu’elle ne mit pas longtemps à se fondre dans le vaste décor du Château.
D’emblée, elle joua une carte maîtresse aux bains des femmes. Nous avons évoqué plus haut la beauté de son visage, il faudrait ici se pencher sur celle de son corps. Je sais, cela fait encore de la description à lire et peut-être, ami lecteur, que c’est un type d’écriture qui tu as tendance à esquiver. Si c’est le cas, je t’invite à passer ce paragraphe. Mais si tu daignes rester, apprends alors que Diane pénétra dans l’enceinte des bains du Château avec la grâce d’une sylphide. Sa peau, d’une blancheur opaline, semblait capturer et renvoyer chaque éclat de lumière, créant une aura enchanteresse autour d’elle. Les courbes délicates de ses hanches dessinaient des lignes sensuelles, tandis que ses jambes longues et galbées semblaient sculptées par quelque artiste divin. Et attends ! Ce n’est pas fini ! Son ventre plat, d’une douceur satinée, se tendait légèrement à chaque respiration, révélant des muscles fins mais bien dessinés sous la peau. Quant à ses seins… ah ! dois-je vraiment en parler ? Allez, mais juste un peu alors ! Ses seins donc, parfaitement proportionnés, se dressaient fièrement, leur rondeur et leur fermeté évoquant la plénitude de la jeunesse. Les aréoles, d’un rose tendret, ajoutaient une touche de délicatesse à cette vision de perfection. Ses épaules, délicatement ciselées, soutenaient un cou gracile et élégant, tandis que ses bras, fins et élancés, se terminaient par des mains aux doigts longs et délicats, presque aristocratiques dans leur élégance naturelle. Son dos, légèrement cambré, descendait en une courbe gracieuse vers des reins délicats, avant de s’épanouir en des fesses fermes et pleines, d’une symétrie exquise. Là aussi, en le voyant on ne pouvait que s’exclamer : « Décidément, on dira ce que l’on voudra, mais c’est bien beau, la jeunesse ! » Chaque mouvement de Diane était une symphonie de grâce et de beauté, une danse silencieuse qui captivait l’attention et inspirait l’admiration. Dans cet écrin de marbre et de vapeur, elle était une déesse incarnée, une vision d’une telle perfection que les mots semblaient insuffisants pour capturer toute la splendeur de sa présence. Peut-être te dis-tu que j’en fais un peu trop. Mais je ne fais que reproduire l’impression que laisserait Diane dans l’esprit d’une personne que je vais évoquer un peu plus loin…
Tout cela eût pu susciter la jalousie ou les commentaires mesquins, mais il n’en fut rien. L’inconnue entra dans une posture de modestie et un visage souriant qui incitèrent les autres à faire sa connaissance. Diane leur expliqua ses origines en racontant une version suggérée par Isolde avant de couvrir les autres de questions, autant pour commencer à glaner des informations que pour paraître aimable. Enfin, elle ne fut pas avare en compliments sur la beauté de ses interlocutrices et sur des conseils pour l’accroître. En voici un fascinant échantillon :
Madame, vous vous plaignez de vos cernes, mais je trouve qu’ils sont à ravir. Vous pouvez cependant essayer d’appliquer délicatement sur vos paupières fermées des compresses imbibées d’une infusion de camomille et de bleuet. Ces plantes apaisantes les réduiront, tout en illuminant votre regard.
Rien n’égale un masque à base de miel et de lait pour donner à votre peau une luminosité éclatante. Mélangez une cuillère de miel avec quelques gouttes de lait, appliquez sur le visage et laissez agir une vingtaine de minutes. Votre teint en sera radieux, doux comme de la soie.
Pour conserver un ventre plat et ferme, je recommande cette astuce que m’a confiée une ancienne danseuse : massez votre ventre chaque soir avec de l’huile d’amande douce, en effectuant des mouvements circulaires. Cette technique améliore la circulation et aide à maintenir la fermeté de la peau.
Votre poitrine est déjà bien magnifique, mais si vous la voulez plus ferme et galbée, faites des bains de froid sur vos seins. Alternez des compresses chaudes et froides chaque matin, puis appliquez une huile raffermissante à base de fenouil et de houblon. Ce traitement fortifie la peau et améliore le moelleux des tissus.
On le voit, elle avait toujours des mots qui faisaient plaisir. Les dames furent conquises. Diane n’avait pas passé une heure aux bains qu’elle avait déjà glané six rendez-vous pour aller prendre le thé en bonne compagnie. Au bout de deux jours, toutes les femmes du Château savaient qu’une délicieuse jeune dame s’occupant à faire la gazetière s’y trouvait. À ce mot de gazetière, certaines se récrièrent d’abord. « Comment cela, une gazetière ? Une noble se nommant de Monjouy, exercer pareille activité ? Qu’est-ce donc que cette histoire ? » Mais on rassura tout le monde en répétant ce qu’avait expliqué Diane devant un parterre d’une dizaine de dames, alors qu’elle était aux bains :
« Je comprends que mon occupation puisse sembler peu conventionnelle pour une dame de ma condition. Cependant, permettez-moi de vous exposer ma vision. Je considère cette gazette comme un moyen de servir notre société, d’éduquer les esprits, de leur octroyer certaines lumières. En rédigeant des articles sur la beauté, les arts, et la vie de cour, je m’efforce de préserver et de transmettre notre patrimoine. Par ailleurs La Gazette permet aux nobles de rester informés et inspirés, et je suis honorée de pouvoir contribuer à ce noble objectif. De plus, en partageant mes connaissances et mes expériences, j’espère encourager d’autres femmes à s’épanouir et à embrasser leurs talents, tout en respectant les valeurs de notre lignée. Pour moi, cette activité n’est pas un simple métier, mais un engagement envers notre communauté. Je suis convaincue que l’écriture et le savoir, le goût, sont des aspects essentiels de notre identité, et c’est avec fierté que je les défends, tout en honorant le nom de Monjouy, mais aussi celui de dame Isolde qui m’a fait l’amitié de me proposer ce travail. »
Dame Isolde ! C’était donc vrai ce que l’on racontait à son propos ? Qu’elle était derrière cette histoire de gazette ! Bah ! Après tout, pourquoi pas ?
Dès lors, tout fut dit : on comprit les motivations de Diane, on les accepta et on fit même plus que de les accepter : beaucoup de femmes écrivirent à la gazette pour s’abonner afin de se délecter de la prose éclairée, jamais méchante, de Diane de Monjouy.
Isolde, de son côté, voyait la popularité grandissante de sa protégée d’un très bon œil. Comme j’ai bien fait de la choisir ! se disait-elle. Mais au milieu de cet engouement, elle sentait une émotion trouble qui la dévorait. Et cela s’aggrava lorsqu’un soir, alors qu’elle se trouvait elle-même aux bains, elle vit la jeune femme arriver dans la nueté de ses vingt ans (tu peux ici relire la description un peu plus haut – si jamais tu l’avais oubliée – car elle ne fait que reproduire les impressions d’Isolde).
Elle l’invita trois fois à venir prendre le thé chez elle.
La première fois, dans le feu de la discussion autour de la théière, Isolde posa amicalement la main sur celle de Diane.
La deuxième fois, elle la baisa sur les lèvres au moment de son départ.
La troisième, elle s’oublia franchement sur la causeuse où elles discutaient avec des yeux languides. Sans entrer dans les détails, disons juste qu’Isolde avait donné à sa servante la consigne de n’entrer dans son salon sous aucun prétexte.
Dès cette journée, Diane et Isolde, malgré leurs vingt années d’écart, devinrent amantes.
Pourtant, Isolde, mariée, disposant déjà d’un amant, n’avait jamais été portée sur les femmes. Avec Diane, elle changea du tout au tout. Elle congédia son amant, ne voulant plus qu’à avoir les lèvres de sa brune pleine d’esprit à baiser. Elles se voyaient deux à trois fois par semaines, soit chez Isolde, quand son vieux barbon de mari n’était pas là, soit dans le modeste mais coquet appartement de Diane, dans le quartier des roseraies.
Quand elle songeait à son goût pour sa protégée, Isolde hésitait. L’écart d’âge faisait qu’elle se sentait comme une mère avec sa fille, elle qui n’avait jamais été fécondée. Mais à travers elle, Isolde voyait aussi sa jeunesse envolée. Ce n’était pas non plus qu’elle avait lors l’apparence d’une vieille en mal de caresses et d’attentions. Isolde était toujours une belle femme, très belle même. Mais il y avait dans l’apparence de la jeune femme quelque chose qui l’émouvait. L’aimer était comme retrouver une part de sa jeunesse perdue. Enfin, il y avait ce qu’incarnait Diane, à savoir un esprit féminin qui faisait fi de l’oppression du sexe dominant. Dans ses articles, elle savait redonner confiance aux femmes, et cela plaisait fort à Isolde.
Aussi, plus que de l’aimer, Isolde la vénérait-elle. Et, après ce long détour afin de présenter le personnage de notre histoire, pour revenir au moment inaugural où Isolde, la langue dans la bouche de Diane et un doigt lui effleurant tendrement la corolle des soupirs, nous pouvons dire que la noble dame était lors à l’acmé de sa vénération. Dans leurs étreintes, Isolde dominait pourtant, Diane devenant entre ses mains une poupée de plaisirs qui la rendait ivre de désirs et de tendresse. Mais c’était bien Isolde qui était soumise. La perle qu’elle avait trouvée, c’était son élixir de jouvence. Elle se sentait renaître et débordait d’amour envers cette brune qui était autant une amante parfaite qu’un double jeune et fantasmé d’elle-même.
Diane avait fort bien compris tout cela et se soumettait de bonne grâce aux caresses. Elle la laissait baiser ses lèvres, mordiller ses tétons et gamahucher tout son soûl, autant par plaisir que pour une raison que nous découvrirons plus tard.
— Au fait, quelle heure est-il ? demanda Diane en détachant sa langue de celle d’Isolde.
— Je ne sais, ma petite mie, l’heure du déjeuner doit être passée j’imagine. Il est vrai que le mets que je viens de déguster ne me donne pas envie de me remettre à table.
— Oh ! Mais cela ne va pas, j’ai un rendez-vous important au Château !
Elle pivota pour se redresser, ôtant du même coup le doigt de la corolle.
— Est-ce si important ma chérie ? Ne peux-tu rester encore un peu ?
— Important, important… c’est selon. Une amie m’a juste appris hier qu’une aïeule à elle venait de disparaître.
— Et donc ?
Diane sourit, ajustant une mèche de cheveux derrière son oreille.
— Il se trouve que l’aïeule en question avait une vaste collection de parfums, d’élixirs et de remèdes de beauté anciens, certains remontant à plusieurs générations. Sans doute pas de quoi s’extasier, je sens que je vais tomber sur une collection de brimborions ineptes à fournir la matière à de nouveaux articles mais enfin, dans le doute, je vais aller voir.
— Et comment se nomme cette aïeule ?
— Une certaine Astasie de Mirambeau.
Isolde chercha vaguement dans ses souvenirs, troublée surtout par les mouvements de Diane pour enfiler une culotte et sa robe.
— Ce nom ne me dit rien du tout.
— Tu ne peux connaître non plus tous les noms des deux-cents-vingt-six familles qui habitent au Château.
— Deux-cent-vingt-six ! Tu sais même ce nombre. Je l’ignorais.
— Dame ! Tu vois si j’ai à cœur de bien investiguer depuis que j’ai le nom que tu m’as donné.
— Ce n’est pas la seule chose que je t’ai donnée.
— Ah oui ? Et quoi d’autre ?
Isolde se redressa et saisissant Diane par les épaules, elle lui susurra à l’oreille :
— Mes lèvres, ma langue et mon cœur.
Et de lui fourrer justement la langue dans le creux de l’oreille tout en l’agrippant par les seins, espérant affaiblir le sens du devoir gazetier au profit des sens exaltant l’amour. Isolde en avait bien envie, son vieux mari goutteux rentrerait de voyage le lendemain.
Mais il fallait croire que rien n’entamait l’esprit de sérieux de Diane qui, fermement, saisit les mains d’Isole pour les défaire de sa gorge et se releva vivement.
— Non, je vais être en retard. Tu es impossible, nous avons jardiné une heure, que te faut-il de plus ?
Jardiner était le mot choisi par les deux femmes pour évoquer leur façon de s’occuper du corps de l’autre. Et effectivement, la saine activité prenait souvent une heure. Éperdue d’affection et de désirs pour sa protégée, Isolde eût cependant aimé que ces instants durent le double, voire le triple. Mais toujours, Diane partait au bout d’une heure, ce qui chagrinait fort Isolde.
— Une heure, toujours une heure, fit-elle en prenant une moue de petite fille boudeuse, avant d’ajouter : Parfois, j’ai l’impression que tu me fais une sorte d’aumône, comme si tu ne m’aimais pas vraiment.
Le reproche sembla piquer Diane qui, aussitôt, se retourna.
— Isolde, tu te méprends. Ce n’est pas une question de sentiments. Mon cœur t’appartient, je n’ai pas besoin de te le jurer, au fond de toi, tu le sais bien. C’est juste une question de science et de santé.
Isolde fronça les sourcils, intriguée.
— De science ?
Diane hocha la tête, adoptant un ton sérieux.
— Il y a un ancien savant, un érudit du nom de Lucius Aemilius, qui a consacré sa vie à l’étude des bienfaits et des dangers de l’acte d’amour. Selon ses recherches, prolonger l’union charnelle au-delà d’une heure peut avoir des effets néfastes sur le corps.
Pour le coup, c’en fut trop pour Isolde.
— Or çà ! Des effets néfastes ! Voilà autre chose ! Moi qui me sens plus belle et heureuse depuis que j’ai le bonheur de te tenir dans mes bras, j’aimerais bien savoir lesquels !
Mais Diane ne sembla pas troublée par le ton piquant de son amante et, d’une voix pleine d’assurance…
— Ce Lucius Aemilius a observé que des étreintes excessives pouvaient d’abord entraîner chez l’homme une dégradation de la qualité de la semence, tandis que pour la femme, on encourt le risque de voir les tissus délicats s’irriter et provoquer des douleurs, voire des infections. L’état mental est dégradé lui aussi. Une grande tristesse, parfois de l’anxiété peuvent s’abattre sur nous. Et de cela je ne veux pas. Si j’aime à m’adonner à certains plaisirs en ta compagnie, je veux aussi être maîtresse de mon corps et de mon esprit. Par ailleurs, Aemilius a aussi prouvé que se vautrer excessivement dans ces plaisirs entraînait un affaiblissement du cœur et réduisait la vigueur des membres. Il a même noté que les couples qui s’étreignaient trop longtemps tombaient plus souvent malades et voyaient leur espérance de vie diminuer. Pour lui, une heure était la durée idéale, permettant de savourer l’intimité sans risquer ces effets indésirables.
Isolde, qui avait vu ses parents emportés par une faiblesse au cœur – Diane connaissait cette histoire –, refreina son envie d’ironiser.
— Je n’avais jamais entendu parler de cela, fit-elle malgré tout, mais juste pour la forme, comme une petite fille espérant que sa mine charmante fera faiblir l’autorité et permettra l’obtention d’une friandise.
Diane sourit doucement et, caressant la joue d’Isolde :
— Peu de gens le savent, ma grande nigaude que j’aime, et je tenais à te protéger. Restons en bonne santé pour profiter de nombreux moments ensemble, même si chacun ne dure qu’une heure.
Isolde acquiesça, finalement touchée par ce qu’elle percevait comme une attention protectrice.
— Très bien, ma chérie. Je te fais confiance.
Et d’ajouter timidement :
— Mais quand nous revoyons-nous ?
Diane éclata d’un joli rire et, se penchant pour déposer un dernier baiser sur les lèvres d’Isolde :
— Comme d’habitude, très bientôt mon amour.
Et, satisfaite, elle se redressa et quitta la chambre.
Précisons qu’elle lui avait menti : elle avait inventé ce Lucius Aemilius.
À suivre…