Cette nouvelle est la première d’une série intitulée Les Chroniques de la Gazette du Royaume. Elle fait partie de l’univers des Callaïdes mais peut se lire indépendamment, sans connaissances particulières du cycle.
C’était depuis que dame Isolde avait choisi d’engager Antoine Faumiel afin de diriger une petite armée de nouveaux chroniqueurs que La Gazette du Royaume commença vraiment à prospérer. Jadis vendue à deux cents exemplaires, elle sut rapidement ajouter un zéro à son tirage, bonne fortune ayant nécessité une nouvelle organisation pour se permettre une publication quotidienne et régulière.
À dire vrai rien ne prédisposait dame Isolde à diriger une gazette. Esprit éclairé aimant fort les lettres mais assez peu capable d’en produire comme certaines de ses amies, trouvant qu’il était nécessaire à ce que le peuple – aussi bien le haut, que le bourgeois ou le petit – fût instruit, elle s’en était ouverte un soir à son époux, vieux barbon chevalier de quarante ans son aîné qui ne se préoccupait plus trop de savoir si sa femme avait un amant – sage décision.
— Hein ? Une gazette ! s’était-il exclamé. Et pourquoi donc ?
— Mais pour instruire les bonnes gens de la capitale.
— Et vous allez y écrire en affichant notre nom ?
Isolde avait lors senti une estrange échauffure de bile.
— Et quand cela serait ? Mais non, rassurez-vous, je m’en sens assez peu capable. En revanche je tiens à l’aventure. Mes amies sont capables de produire des lettres, moi je veux en faire produire à d’autres pour la bonne éducation du peuple. Eh oui ! Les temps ont changé, comme vous le savez.
Effectivement, avec l’instauration des duels d’état qui empêchaient les royaumes de s’entre-égorger, l’époque était à un certain assagissement des mœurs et l’on s’intéressait davantage aux petits caractères imprimés sur du beau papier merlin.
— Vous vous doutez bien que je ne vous prêterai pas le moindre…
— Pas le moindre écu, oui, je le sais. Là aussi, rassurez-vous, je ne vous demanderai rien, j’userai de ma propre fortune.
— Peuh ! Elle va joliment pisser dans le caniveau, votre fortune. Dans deux mois elle sera vide !
— Bah ! Ce sera toujours mieux que d’avoir comme vous des cailloux de pissat. Allez, bien le bonsoir mon mari.
Et elle était sortie du salon non sans claquer la porte derrière elle avant d’aller se calmer… dans les bras de son amant.
Elle avait fait paraître quelques annonces dans des boutiques et des salons de thé du beau quartier de la Traversaine, se disant qu’il était plus profitable d’essayer d’attirer des personnes déjà fortunées et éclairées. Ce fut une erreur car, si elle trouva effectivement des collaborateurs, les premiers numéros de La Gazette du Royaume furent sans grand intérêt. Trop sages, trop policés, en un mot ennuyeux. Les deux cents exemplaires quotidiens commencèrent à avoir du mal à trouver acheteur. Ce fut une de ses amies, dame Helena de Wybert, épouse du Déïmos Eldric d’Aynac, qui lui prodigua un conseil décisif :
— Si j’approuve ton aventure de gazeter, permets-moi de te dire que le résultat est encore un peu marmiteux.
— Je le sais fort bien. Mais que faire ?
— Ta gazette manque cruellement de fables, d’histoires, de potins.
— Mais…
— De belles images, de gravures…
— Cependant…
— Et de sueur, d’odeurs, d’impressions que l’on ne trouve guère dans ton quartier de la Traversaine. Écoute, ce soir je vais dîner avec Eldric dans une taverne de Tabarin. Accompagne-nous, prépare une pile d’annonces pour trouver de nouveaux rédacteurs et des illustrateurs. Les boutiques de ce quartier permettent volontiers d’en afficher dans leur entrée.
— Chercher des gens de petit peuple… tu crois vraiment que c’est la solution ?
— Je n’en sais rien, c’est juste une intuition. Si je devais résumer l’âme de ce quartier en un mot, ce serait foisonnement. Tabarin foisonne de sentiments, de caractères et d’histoires. Et de gens capables, intelligents et parfois fort lettrés. Non, plus j’y pense, plus je me dis que tes gazetiers actuels ne font pas l’affaire. Tu dois en changer promptement.
Ce qui advint une septaine plus tard. Enjoyée et émerveillée par la belle ambiance de la taverne où Helena l’avait menée et où elle avait assisté à la jolie représentation d’une comédie jouée par une troupe talentueuse (la troupe de maistre Jacques), elle avait affiché ses cartons un peu partout. Trois jours plus tard, elle avait visité les boutiques pour voir si des passants y avaient laissé réponse. Ce fut le cas, avec notamment un certain Antoine Faumiel qui avait pris soin de faire toutes les boutiques du quartier afin d’y écrire son nom dans l’espace des cartons prévus à cet effet. Il y avait même ajouté cette proposition :
Suis fort intéressé. Pouvez me retrouver à la taverne de maistre Bordier le soir, vers noctalies. J’ai l’habitude de me trouver à une petite table dans le coin près de la cheminée.
Antoine Faumiel