Otium post furorem

Qu’il a été fébrile le dernier coup de rein pour enfin terminer le Livre III !

Le récit d’une partie de cartes de près de cent pages, avec un jeu totalement inventé et des enjeux gravissimes, a probablement été le défi le plus complexe que je me suis imposé jusqu’à présent. Et je n’ai pour l’instant absolument pas le recul nécessaire pour savoir s’il a été heureusement ou malheureusement relevé. Pour cela, je vais mettre sagement de côté, un ou deux mois, cette section avant de m’y replonger. Je compte aussi sur ma correctrice pour en faire le “crash test” (car après tout, une correctrice, ça sert aussi à essuyer ce genre de plâtre).

Finalement, malgré des incertitudes, il y a eu une nouvelle fois le plaisir d’avoir surmonté les obstacles, plaisir d’autant plus grand qu’il a été suivi d’un autre, celui de mettre le point final, une dizaine de pages après cet arc ludique, au troisième Livre. 1400 pages en tout soit mille à relire attentivement, le tome 1 de ce Livre, qui n’est plus à retoucher, en faisant 350.

De nouveau du travail, donc, mais de nature différente et avant lequel je puis bien faire comme l’homme sur le tableau qui ouvre cet article : m’asseoir au coin du feu, sortir ma vieille pipe, prendre un verre liquoreux tout en faisant une réussite, pour rester dans une certaine atmosphère ludique après ce qui a été écrit – une réussite ou une partie de snooker en compagnie de mon fils, c’est pas mal non plus.

Petit moment de calme, de détente après la frénésie donc, otium post furorem, avant que ne revienne un long jeu de patience, d’affinement, d’homogénéisation du texte, processus qui me fait me demander : comment aurais-je fait si j’avais tout écrit à la main, si je n’avais pas utilisé l’ordinateur ?

Car il ne s’agit pas ici d’écrire un court roman. Arrivé à la fin du Livre III, le cycle fait environ 3300 pages. Le nombre de personnages se compte par centaines, de même que le nombre de mots crées ou repris au moyen français pour constituer la langue de cet univers, les lieux se multiplient tout comme les noms d’auteurs ou les titres d’œuvres, l’univers des Callaïdes faisant grande provision de références pour donner corps à la culture qui lui est propre. Au début, j’avais utilisé le logiciel Scrivener pour tout référencer, aussi bien les chapitres écrits que les personnages et différents thèmes dans lesquels je piochais mes mots. Et puis, je l’ai laissé tomber pour écrire uniquement sur Word et utiliser Excel pour tous mes référencements. Et malgré cela, tout n’est pas simple. Si je n’ai pas le réflexe, dans le feu de l’écriture sur Word, de basculer sur Excel pour noter une référence, je suis sûr que, plus tard, le texte aura des blancs ou des passages stabilotés de jaune qui vont me demander de revenir en arrière pour explorer une masse de plusieurs centaines de pages afin de retrouver une référence précise. Rien de fastidieux non plus, avec la fonction “recherche” de Word, on y arrive assez bien… en général. Car la recherche peut aussi parfois être retorse, et pas toujours stimulante. Le but est avant tout d’aller de l’avant or, après 3300 pages, il devient de plus en plus nécessaire de revenir en arrière pour que cet avant maintienne sa cohérence.

Et encore une fois, malgré l’aide de l’informatique, toute cette cohésion n’est pas facile à atteindre. Cela peut aussi s’expliquer par le fait qu’avec le désir de se façonner un univers dans ses moindres détails, il y a ce plaisir à cumuler des données de manière exponentielle. Pourquoi avoir un frein ? C’est si simple d’ajouter des données dans un fichier d’Excel. Reste que le rythme de l’écriture ne souffre pas de se voir interrompu pour aller vérifier un mot ailleurs. Dès lors esquive-t-on la petite besogne en mettant en attendant un synonyme à la place, ou un blanc comme évoqué plus haut, et c’est après qu’on s’aperçoit que le texte peut être (très) éprouvant à la relecture, avec une pléthore de recherches sur Excel ou “en arrière”, dans le foisonnement du texte.

On le voit, ce sont deux activités au côtoiement loin d’être simple et qui me rend songeur sur ce qui pouvait se passer dans le cerveau d’un grand auteur faiseur de cycles écrivant à la main et se contentant d’un référencement dans des carnets. Autre époque, autres raccourcis cognitifs, probablement.

Gaspard Auclair

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