Widadi

Définition du DRA (Dictionnaire Royal Académique) :

Widadi : nom commun issu de la langue cymbadienne. Le terme désigne un(e) favorit(e) ou, pour reprendre un terme usité dans le Royaume et renvoyant à un type de lien parfois tissé entre un puissant et ses favoris, un mignon ou une mignonne. D’ailleurs, étymologiquement parlant, la traduction de ce mot serait « ruisseau ambulant ». De fait, ces personnes, suivant sans repos les pas de leur altesse, ont bien souvent pour mission de faire couler certains liquides quand vient l’heure du repos. Nous n’entrerons pas dans les détails, le lecteur du Dictionnaire Royal Académique aura compris ce dont il s’agit. Nous l’enverrons plutôt lire quelques pages de l’excellent Voyage en Cymbadie d’Alexandre Masud.

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Extrait du Voyage en Cymbadie d’Alexandre Masud, Frères Grelots éditeurs, pages 47-50 :

Égayée par mes récits, la Princesse décida de me récompenser. Je songeai aussitôt à l’une de ces merveilleuses loukas, ces pipes à eau parfumée magnifiquement orfévrées. La Princesse avait dû voir le plaisir que j’avais eu à utiliser celle qu’elle avait fait placer à mes côtés. Mes amis le savent, si j’aime à conter dans mes écrits, je puis aussi dire sans fatuité que j’ai quelques talents à le faire de vive voix. Mais le faire en m’étourdissant de ces bouffées vaporeuses avait constitué une belle expérience. Entouré des widadis de mon hôte, fixé par les beaux et terribles yeux de la Princesse, j’avais senti combien ma langue m’échappait. Je n’avais point bégayé pourtant, toutes mes phrases avaient été parfaitement ciselées. Mais tout s’était passé comme si les bouffées de ma louka m’avaient nettoyé l’esprit tout en lui donnant une vigueur et une assurance jamais éprouvées auparavant. Alors qu’Adel lui traduisait mes paroles au fur et à mesure, je voyais bien le plaisir que la Princesse avait à les entendre, et plus je voyais ce plaisir, plus je sentais les regards de ses widadis (en particulier celui de l’admirable Najima), plus ma langue s’envolait, désireuse d’accroître le plaisir de ma princière auditrice. D’où l’inattendue récompense que j’obtins.

     Rare peinture d’une widadi entièrement habillée.

Car si la Princesse m’offrit bien une louka, ce ne fut pas ce soir-là. Non, m’invitant à me lever, elle m’adressa ces paroles qu’Adel me traduisit aussitôt :

« Monsieur Masud, je n’aurais jamais imaginé qu’un conteur étranger puisse ainsi rivaliser avec les nôtres. Votre langue agile m’a procuré du plaisir, il est juste que vous en receviez vous aussi de la part d’autres langues. Comme vous le voyez, Najima est autant de votre race que de la mienne. C’est une widadi incomparable pour laquelle les arcanes du Futuwada n’ont plus de secrets. Vous m’avez dit qu’une femme vous attend dans votre royaume. Qu’importe l’existence de cette créature, elle n’est rien. Suivez Najima et laissez-la diriger votre nuit. Najima est widadi de ma personne. Et comme je passe ma vie à détromper les complots ourdis par des déesses jalouses de ma beauté, c’est que je dois être moi-même d’essence divine. Vous passerez donc la nuit avec la servante d’une déesse, récompense que peu d’hommes ont dû connaître dans votre royaume. Vous le méritez, je le veux, et vous me devez obéissance. »

La Princesse avait à peine achevé que Najima se leva, s’approcha, me prit par la main et me mena hors du kharémi. Une nouvelle fois, alors qu’elle marchait légèrement devant moi et que je voyais se mouvoir une lune couleur d’albâtre, je m’aperçus que mon esprit était toujours aussi alerte. Rien ne lui échappait, il permettait à mes sens de saisir les moindres détails physiques et sonores de la scène. La blancheur des fesses, un grain de beauté sur la hanche, des ongles en amande qui m’agaçaient gentiment la paume, les boucles d’oreille en or pur qui pendaient à d’admirable coquillages rosâtres, enfin une odeur, ou plutôt des odeurs, des fragrances qui faisaient de la personne un jardin ambulant composé des fleurs les plus distinguées de Cymbadie. J’eus aussi conscience d’autre chose, alors que je suivais Najima dans un corridor qui allait me mener dans ses appartements : mon zebb, comme on dit là-bas, peu gêné par la tunique légère que l’on m’avait fait vêtir, montrait assez clairement une envie de rendre hommage à cette lune qui continuait d’ondoyer sous mes yeux. Ici, mes lectrices peuvent, si elles se sentent offusquées par cette précision, sauter les cinq pages qui vont suivre. Si j’ai toujours tenu pour de grossiers fats ces hommes qui jugent utile de détailler certains exploits, je m’aperçois qu’il m’est impossible de jeter le voile sur cette nuit. À l’image de ce zebb d’ailleurs qui, sans doute aidé par l’eau de la louka, prit des proportions que je ne lui avais jamais connues et qui semblait faire tout pour percer le voile de mon habit afin de faire admirer une raideur et un poli à la hauteur de celui de la lune et de son arrondi. J’en eus conscience et n’en éprouvai aucune gêne, et encore moins de fatuité. La Princesse venait de me dire qu’elle se considérait d’essence divine. J’eus moi aussi la sensation d’être non pas un dieu, mais un de ces héros de vieilles légendes ayant l’heur de pénétrer dans quelque lieu habité de déesses ennuyées par l’idiotie de leurs maris et désireuses de prendre amant chez de beaux mortels. D’ailleurs, j’eus moi-même la sensation de me sentir plus élancé, plus vigoureux, plus gent, comme favorisé par quelque charme que la Princesse m’avait octroyé sans m’en avertir.

Enfin, nous arrivâmes dans les appartements de Najima. En réalité un kharémi de plus petite taille que celui de la Princesse. Elle lâcha ma main pour aller s’étendre sur une sorte de méridienne de gros coussins dorés. Alors, se mettant sur le flanc, le bras gauche reposant sur le haut d’un coussin pour permettre à la main de tenir nonchalammant cette admirable tête de widadi servant une déesse, elle m’observa.

Moi, l’esprit toujours parfaitement éclairé, je vis tout. La décoration de son kharémi, ses trois servantes s’approchant de moi (des widadis de widadi en quelque sorte), la gorge ronde, tendue, de Najima, son visage rappelant celui des plus belles dames du Royaume mais aussi avec ce je ne sais quoi de nacré qui tenait aux origines de son père (concernant ce mélange, la Princesse m’avait expliqué que sa mère avait désiré recevoir la semence d’un ghûlami). Je distinguai aussi, au milieu de la blancheur de son aisselle qu’elle me découvrait sans aucune gêne, quatre ou cinq poils sombres et, l’odorat toujours aussi décuplé par les effets de la louka, j’eus lors la certitude que de cette aisselle émanait un parfum évoquant l’iris des sables, fleur réputée pour sa fragrance entêtante. Je ne sais pourquoi mais je crois que cette idée fit gagner un pouce à mon zebb. Zebb qui apparut d’ailleurs à Najima puisque ses widadis s’étaient approchées pour me libérer de ma tunique et me laisser là, bien campés sur mes gambes et un zebb vigoureux comme jamais, bien tendu en direction de celle à qui la Princesse avait ordonné de me servir. Si la lectrice timide n’a pas tenu compte de ma mise en garde et a décidé de continuer jusqu’à ces lignes, elle doit me trouver bien vulgaire. Mais, encore une fois, j’avais l’impression de baigner dans une charnalité propre à ces légendes mythologiques dans lesquelles la chosette n’est que l’expression la plus pure et la plus poétique des instincts primitifs et fondateurs de tout.

Un petit désagrément cependant : j’espérais chez l’admirable widadi de grands yeux émerveillés. À la place, je la vis tendre la dextre pour se saisir du bec de sa louka, la porter à ses lèvres pour en aspirer une bouffée tout en observant avec une indifférence presque hautaine un zebb à l’image de mes récits, c’est-à-dire consistant et de fort belle taille.

Deuxième désagrément : quand ses lèvres quittèrent le manche de la louka pour enfin s’exprimer, ce fut pour laisser choir ces paroles :

« Monsieur Masud, vous avez entendu ma maîtresse. Votre zebb aura donc l’honneur de baigner dans ma zûlay. Très bien pour vous. Il n’empêche, cet honneur doit se mériter. Vous avez entendu la Princesse, elle considère la grande majorité des hommes comme des verrats imbéciles. Adel, que vous avez vu, ainsi que Bakhtiar, sont des exceptions. Mais vous-même, Monsieur Masud, en êtes-vous une ? Ma maîtresse doit le croire puisqu’elle a ordonné à sa première widadi de vous récompenser de sa zûlay. Mais si elle s’était trompée ? Et si je lui disais que vous avez essayé de me violenter et que j’ai lors ordonné à ce que l’on vous tranche le zebb et qu’on le donne à mes chiens ? Évidemment, elle me croirait sur parole et ne pleurerait pas sur votre sort. Vous pensez être quelque chose dans son esprit ? Je suis désolée, je vais vous décevoir mais en réalité, vous n’êtes rien. Votre zebb est de belle taille, il est vrai. Mais qu’est-il en comparaison de la zûlay de la première widadi ? Peut-être vais-je le contenter, peut-être pas. En vérité je dois vous avouer que tous vos récits m’ont un peu ennuyée et que j’ai bien envie de vous châtier. Mais enfin, je veux bien vous mettre à l’épreuve pour voir si votre valeur est supérieure à ce que j’imagine, c’est-à-dire à celle d’un porc. Durant une heure, vous serez entre les mains de mes servantes. J’observerai en savourant le parfum de cette eau nommée « nafzawi » dont les effets atténueront, peut-être, mon envie de jeter votre zebb aux chiens, nous verrons. En tout cas, inutile de le pointer dans ma direction. Dites-vous bien que la zûlay d’une widadi n’est pas de ces cibles qu’un archer de votre genre peut espérer atteindre comme bon lui semble. »

Le tout dit dans le romanian le plus pur, sans le moindre accent.

Il y avait de quoi s’offusquer ou trembler. Et je crois bien que oui, plusieurs frissons me parcoururent. Mais était-ce de peur ? Alors que je baissais le chef, vaincu par la bouche morgueuse et les yeux insolents, je remarquai une chose : le zebb avait encore gagné en volume et à son bout perlait une goutte qui, pour la première fois de ma vie, me fit comprendre que certaines circonstances faisaient que l’on pouvait prendre plaisir à être terriblement dégradé par une aimable personne.

Maintenant, lectrice timide aux joues probablement enflammées, je t’adresse une dernière mise en garde, ne le néglige pas je te prie. Les pages qui vont suivre pourront te paraître fort inconvenantes. Mais si tu aimes certains récits mythologiques et que tu apprécies ma prose, tu trouveras probablement quelque contentement à les lire. J’espère en tout cas que ces pages ne t’ôteront pas l’envie de continuer à te procurer mes écrits.

En parlant d’écrits, je remarquai une chose : sur le ventre de Najima…

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