De la bonne prononciation de certains noms

Je vous l’ai déjà dit mille fois bougres d’ânes : on prononce “karisse”, pas “charisse” !

Je me suis souvent gaussé de ces parents qui croient bon d’affubler leur progéniture à la naissance de prénoms dont on sait qu’ils seront systématiquement écorchés. Ainsi ces prénoms d’origine anglo-saxonne. Quelle est la probabilité pour qu’un Heather soit convenablement prononcé ? 10% ? 20% ? Quel que soit le chiffre on peut être sûr que la jeune fille n’aura pas fini de reprendre des prononciations fautives – surtout dans un pays où les habitants ne sont pas particulièrement réputés pour leur maîtrise des langues –,  à moins que, de guerre lasse, elle finisse par tout accepter, y compris quelque chose comme “héatteur”.

Je me gausse donc, mais je m’aperçois aussi que je suis dans la même position. Je reviens à cette lectrice rencontrée cet été et qui m’avait fait part de ses impressions concernant la lecture des quatre tomes. Au détour d’une remarque, j’apprends que pour elle, Charis se prononce “charisse”, avec une belle chuintante initiale ! Je faillis m’étrangler avec mon morceau de melon vert. “Charisse” ! Quelle drôle d’idée ! Pourquoi pas charrue tant qu’on y est ? Au début, quand il avait fallu mettre au point les patronymes des Callaïdes, j’avais songé à Clarisse. Et puis, en poussant plus loin les recherches, j’étais tombé sur le mot en grec ancien Χάρις, mot signifiant “la grâce” et désignant aussi, d’après Homère, la femme d’Héphaïstos faisant partie des trois charites, Grâces personnifiant la vie, la beauté et la créativité. Pouvais-je trouver meilleur prénom pour une Callaïde ? J’avais des sonorités qui se rapprochaient du “Clarisse” originel et j’avais un cachet mythologique parfaitement raccord avec ce qu’allait incarner l’héroïne. Et la prononciation à la française, légèrement différente de celle en grec ancien (avec un “a” prolongé et un “r” roulé) restait à mes oreilles parfaitement agréable. Pour moi, en écrivant pour la première fois son prénom sur le papier, il était évident qu’il se prononçait “karisse”. Mais il semblerait que cela ne soit pas évident pour tout le monde, et comment le reprocher ?

Autre exemple : le personnage de Jan d’Alverny. Comment prononcer Jan ? Comme Jean ? Comme Yann ? Ma correctrice avait personnellement tranché : comme Yann. Pas de chance, c’est ni Jean, ni Yann. Ceux qui ont vu le film Belladonna (je l’évoque ici) sauront comment on doit le prononcer. 

Enfin Aalis. Remarque de ma lectrice alors que je lui indiquais comment Charis devait se prononcer : « Oui, mais c’est comme Aalis : on doit prononcer comme Alice ou bien dire Aaalice ? » Pour cela je n’ai pas tranché. Quand j’écris son nom, parfois je pense à Alice, parfois à une version de ce prénom qui laisse légèrement traîner le -a initial. Au début j’avais songé justement de lui donner le prénom d’Alice mais, toujours dans l’optique de jouer sur certaines orthographes pour plonger le lecteur dans un univers situé entre un terroir français et un monde de fantaisie, je l’avais travaillé pour aboutir à sa forme médiévale moins connue, Aalis.

Et d’autres cas sont apparus au fil de la lecture des épreuves renvoyées par ma correctrice. Amete, la nymphe incarnée par Alya, se prononce dans mon esprit “Amété”, nul besoin des accents. Mais évidemment, il faut le savoir et du coup je les ai ajoutés.

Finalement, au-delà de savoir de quelle manière on doit prononcer tel ou tel nom, je vois une autre question : faut-il la préciser dans le récit ou bien laisser le lecteur faire comme bon lui semble ? Mais après, comment le préciser sans que cela se fasse avec la même lourdeur que le maître de philosophie apprenant à Monsieur Jourdain l’art de prononcer les lettres ? C’est ici que mon alter ego, Gaspard Mercier, le narrateur des Callaïdes, intervient grâce à de petites remarques qui peuvent passer inaperçues mais qui ont au moins le mérite de préciser discrètement les choses et de contenter le papa créateur de son monde. Et avec 205 noms de personnages (pour l’instant), il a lieu d’être tourmenté même si, à la réflexion, je serais tenté de dire au lecteur comme François (Françoua ? Françoué ?) : fay ce que voudras.

Gaspard Auclair

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