Le rachat (7) : des avantages et des inconvénients à être l’époux d’une paysanne armide

Pauline Mercier

Résumé de l’épisode précédent : Moqué, malmené, humilié par une Pauline vivant mal ses débuts de levurage, le narrateur décide de couper du bois avec une grosse hache afin de jouer à l’homme fort et surtout se changer les idées. Las, il se voit une nouvelle fois rabroué par sa moitié qui n’a pas confiance en sa maladresse proverbiale. Il décide alors de faire une promenade avec Clément afin d’oublier sa rage et sa peine existentielle…

Pour Clément, la promenade en ma compagnie était alors toujours la même : il s’agissait juste de faire le tour du village. Peu de chose mais pour lui, c’était comme faire le tour des huit royaumes. C’était surtout l’assurance de voir des chiens, des chats, des poules, des porcs, des vaches et surtout de ces chevaux qui l’impressionnaient fort. Éventuellement, des massepains lui tombaient parfois dans la bouche grâce à la bienveillance de vieilles paysannes qui aimaient bien le « petit Clément ».

Mais s’il était ravi de son tour de village, je l’étais tout autant de le faire en sa compagnie. C’est que je ne me suis jamais considéré comme son parâtre mais bien comme son père, et c’est une de mes facettes qui a su plaire à Pauline. Nous ne savons même pas si un jour nous révélerons au petit que son vrai père était parti à la guerre alors que sa mère était grosse de ses œuvres. Peut-être est-ce cruel pour Pierre mais après tout, à quoi bon compliquer les choses ? Et tant qu’il reste présent dans les pensées de sa femme, c’est le principal. Clément, lui, ne l’a pas connu et peut donc difficilement l’aimer. Et moi, je n’ai pas le ressentiment de certains parâtres véritables enfants de putains qui s’acharnent sur un enfant parce qu’il cristallise sous les yeux le fait qu’un autre qu’eux avait autrefois visité l’entregambe de leur femme. Moi, peu m’importe. J’ai connu Pierre et si je ne peux aller jusqu’à dire qu’il était un ami, c’était quelqu’un que j’estimais. Quitte à ce que Pauline ait été déflorée et engrossée par quelqu’un d’autre que moi, j’aime mieux que cela fût par son fait que par celui d’un autre. Après, cher Pierre, désolé mais le cœur et l’esprit de Pauline sont miens, tout comme la main de Clément que je tiens, et je n’ai guère envie de partager. Mais ce n’est pas grave : moi et Pauline te gardons en souvenance et, pour cette dernière, je veux croire qu’il reste en son cœur un petit local pour que tu puisses l’habiter et l’accompagner jusqu’à la fin de sa vie. Et crois-moi, je me garderai bien de t’en chasser.

Concernant les villageois, à eux aussi nous nous gardâmes de tout leur dire. Quand nous sommes arrivés avec Clément âgé de six mois, Pauline dans la fraîcheur de ses vingt-six ans et moi avec ma gueule de bouffe-livres de quarante-cinq, on crut que j’étais une sorte d’oncle qui accompagnait sa nièce et son enfant. Nenni braves gens, j’étais bien le mari de la jeune paysanne et le père du bambin. On se regarda, trouvant bien étrange ce couple mal assorti, puis on chuchota : comment cette fraîche petite beauté pouvait accepter de dormir dans le même lit que cet homme pas très beau ? Ça sentait soit l’homme tyrannique, soit le mari habile pour ce qui était de chevaucher les bas lieux. Pour la première hypothèse, on comprit très vite que cela ne pouvait être puisqu’en fait de violence, c’était plutôt moi qui était malmené, comme vous avez pu vous en rendre compte. Pour la deuxième… bon, je ne peux pas dire que je sois fort vaillant, il est vrai. Mon esprit l’est toujours davantage que mon corps. Quand il faut agir, j’ai l’esprit turgescent mais le vit a du mal à suivre et peut vite faillir. Un peu comme je me trouve face à une merveille de livre. Devant tant de beautés, je préfère arrêter ma lecture plutôt que de devenir fou, presque malade. Avec Pauline, c’est pareil : croyez-moi, être l’époux d’une armide de paysanne peut paradoxalement vous retourner les sens à votre désavantage.

En tout cas je ne cherche guère à éclairer la lanterne des hommes quand ils y vont de leurs commentaires grivois sur les différentes femmes du village. Ils évitèrent en un premier temps de parler de la mienne, et puis, après plusieurs mois durant lesquels nous fûmes peu à peu considérés comme faisant vraiment partie du village, Pauline eut aussi ses oreilles qui se mirent à tinter quand on commença à me servir des « la belle Pauline », des « sacrée morceau de femmette » et autres « Sainte Pauline, patronne des belles tétonnières » (sainte ! les sots, s’ils savaient !). Je laisse dire cependant, finalement assez flatté. J’évite en revanche de suivre leur habitude (parfois déroutante) d’expliquer comment ils s’entrebesognent avec leur moitié car je serais bien incapable de mentir pour me faire passer pour un maistre carillonneur. Les belles réputations sont souvent bien servies par l’éloquence trompeuse d’un silence, ça me va très bien ainsi. Mais revenons à ma promenade avec Clément, j’aurai l’occasion plus tard de revenir sur nos liens avec les braves gens de Taillefontaine. Clément s’excitait, il me montrait du doigt la ferme du père Gringoire, et je savais bien ce qu’il voulait.

À suivre…

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