Résumé de l’épisode précédent : Le narrateur des Callaïdes a raconté ses mésaventures de la veille à Pauline qui comprend son embarras, mais n’excuse pas tout. Il va devoir trouver un moyen pour se racheter. En attendant, Pauline dit mystérieusement qu’elle va s’occuper de lui. Nous renonçons à résumer toutes les images lascives qui s’agglutinent dans l’esprit du narrateur dès cette annonce…
Ce fut moins enfiévré que je ne l’espérais. Elle se leva pour prendre une bassine d’eau froide dans laquelle fut mélangée un peu d’eau de la marmite qui cuisait dans la cheminée. Puis elle se saisit du seau d’eau froide que l’on avait toujours dans un coin. Elle entreprit lors de me laver les pieds.
Oui, je sais, c’est un peu décevant, mais seulement en apparence car on sous-estime trop le pouvoir du bain de pieds au sein d’un couple. Surtout dans un couple avec vingt ans de différence d’âge. Et même doublement. Non, n’imaginez pas ici que j’étais en âge d’avoir des dents déchaussées et de me conchier quand j’ai fait la connaissance de Pauline. Ce que je veux dire, c’est que si j’étais le plus âgé (j’allais sur mes quarante-six et Pauline sur ses vingt-cinq), elle était la plus mature : vingt-cinq ans de maturité taillée dans le roc tandis que moi, j’avais bien souvent la mûrté d’un chiard de cinq. D’où la nécessité de laver les pieds elle-même et de nettoyer proprement la constellation de plaies qui me démangeaient furieusement aux gambes. Me laisser m’en occuper, c’était l’assurance d’avoir une grave infection se développer. Et deux semaines après, vous pouvez être sûr qu’on eût à faire venir un médecin pour m’amputer les pieds. Avec Pauline, j’étais sûr non seulement de conserver ma faculté de marcher mais aussi d’assister à un spectacle… oui, apportant finalement un peu de fièvre, un peu de couleurs à notre pièce seulement éclairée d’une chandelle et d’une bûche dans l’âtre, au rougeoiement agonisant.
Elle commença par me libérer de mes chausses. L’opération fut délicate, douloureuse, à cause des vilaines cloques et des courbatures félonnes. Je serrai les dents et me mis à renasquer, autant de douleur que pour me faire plaindre. Mais cela n’advint pas, Pauline restait concentrée sur l’opération en essayant de me faire le moins de mal possible. Car oui, si elle était bien dure avec moi, elle pouvait faire preuve aussi de douceur, ça lui arrivait — cependant davantage envers Clément qu’envers moi.
Eh bien ! furent ses seuls mots quand elle vit dans quel carnage se trouvaient mes pieds. De la crasse d’abord (je sue beaucoup des pieds, tu n’as peut-être pas envie de le savoir mais je préfère le préciser), mais aussi des cloques qui avaient toutes éclaté, certaines présentant un mélange d’eau et de sang, enfin les mollets zébrés de griffures du plus vilain aspect.
« Ha la la ! » murmura-t-elle sur le même ton qui accompagne ses douces réprimandes quand Clément faisait une bêtise. J’étais aux anges. Qu’y a-t-il de plus plaisant, à quarante-cinq ans, que d’être entre les mains attentionnées d’une jeune armide paysanne telle que Pauline ? À cet instant, une idée fugitive me traversa : la bûche morte de l’âtre ressuscitait à un autre endroit de la pièce, je vous laisse imaginer lequel.
Elle commença par tremper ses mains dans l’eau chaude avant de saisir un pied et, doucement, en frotta l’épiderme. Enfin, le caressa plutôt. Le but était de le rendre humide sans le brusquer, le pauvret, il avait tant souffert ! De même pour le mollet car je compris qu’il s’agissait de sentir de minuscules échardes demeurées plantées dans ma peau. Elle en repéra et, telle une bonne fée d’un gentil conte, les retira délicatement avec un air de bonté que je lui avais rarement vu. À tel point que je me mis à trembler d’émotion. Était-elle en train de montrer son vrai visage à mon égard ? Celui qu’elle tenait caché à cause de je ne savais quel orgueil mal placé ? Je ne savais, je l’espérais et surtout je savourais ce léger sourire et ces paupières lourdes, à demi baissées, qui lui donnaient un air d’angélique voluptuosité.
Puis elle prit le savon qu’elle avait posé à côté de la bassine. Et les opérations reprirent, et avec elles commença une divine torture. C’était comme si mon pied avait été pris d’assaut par cinq petits orvets chauds et agiles. Ses doigts glissaient entre les orteils, couraient sur la plante du pied, les titillant légèrement avant de frétiller sur le talon puis de remonter vers le tendon afin de glisser le long du mollet et d’entreprendre une série de va-et-vient circulaires pour détendre les muscles. Mes tremblements s’accentuèrent (je crois même me rappeler que je claquais des dents de plaisir) et, pour la première fois, j’entrevis ce qui pouvait se passer. Après tout, il n’était arrivé pas autre chose à l’ami Jan dans une certaine chambre d’auberge au Shimabei, dans le quartier d’Iképongi.
Mais nous n’en étions pas encore là. Oui, la chaleur de l’âtre avait bien migré à un autre endroit. La nouvelle bûche s’encalcifiait de plaisir du fait des mystérieux symboles que traçaient les orvets sur ma chair. De fait, la chandelle sur la table et les miroitements ténus qu’elle projetait sur Pauline donnait à l’opération des allures de passe magique.
Après m’avoir bien lubrifié de savon, elle prit un linge qu’elle plongea dans le seau d’eau et entreprit de caresser mon épiderme et d’en ôter le moindre résidu de mousse. Après le chaud, le froid, d’ordinaire une transition peu agréable mais entre ses mains, ce fut une autre musique. Je gémis d’aise et les larmes me vinrent aux yeux. Qu’étais-je donc pour mériter tant de bonheur?
Elle passa à l’autre pied et ce fut en le prenant pour le poser dans la bassine que le miracle arriva. Sa robe de nuit, que Pauline avait pour habitude de ne jamais boutonner jusqu’au col pour mieux respirer la nuit (à cause de sa poitrine de tétonnière qui devait être bien lourde), glissa de quelques pouces de son épaule droite et le vêtement, rendu plus lâche sur le devant, me fit voir, grâce à la posture penchée de Pauline, les mouvements de deux masses lourdes et pointues en leur sommet, mouvements qui s’accentuaient au fur et à mesure que Pauline exécutait ses passes magiques. J’eusse dû être blasé tant je les connaissais par cœur ces deux-là, mais devant ce genre d’offrande que le hasard peut nous offrir, j’essaye toujours de me persuader que cette femme que j’ai en face de moi, cette Pauline qui me permet une fois par semaine de carillonner, deux si je n’ai pas été trop mesquin, trois si j’ai été sage et vraiment digne d’éloge, bref, j’essaye de me persuader qu’il s’agit de la Pauline des premiers jours quand elle me servait dans ma chaumière et que je la désirais secrètement. Je sais ce que vous pensez, que je fais l’épieux lascif, le voyeur avec ma propre femme et que je suis probablement atteint d’une tare pour tomber si bas. Je ne vois pas les choses comme cela. À quarante-cinq ans, à l’automne de ma vie, ce sont juste des petites bouffées printanières que je m’octroie en retrouvant ce type d’émoi lié aux premières visions. Je ne suis pas sûr que ces sensations violentes me permettent de vivre bien vieux, mais elles me sont nécessaires pour vivre bien.
En tout cas, une chose qui était sûre, c’était ce qui se passait dans ma braguette. Alors qu’elle l’avait juste en face d’elle, il était peu probable que Pauline ne remarquât pas la boursouflure qui s’y formait. Mais c’était possible, elle avait toujours les paupières à demi baissées, lointaine, amoureuse, et cette expression, elle aussi caressée par la chandelle, n’était pas sans accroître ma raideur. Le beau a aussi de ses effets, me disais-je. C’est comme…
C’est comme rien du tout car le début de divagation fut interrompu par l’étape finale de l’enchantement, à savoir le séchage des pieds. Pauline revint sur le premier et, sans façon, le saisit pour le caler entre ses tétons afin de lui permettre d’essuyer le mollet d’un linge sec.
Et le volcan explosa enfin pour la deuxième fois de la journée.
La première avait eu pour cause Charis et son livre, la deuxième venait de Pauline et de ses deux tomes. L’éruption fut d’ailleurs bien plus violente que la première, je serrai les mâchoires et seul un grognement étouffé de bête troubla le silence, accompagnant les soubresauts du volcan qui éruptait sa lave à gros bouillons.
Pauline ne cilla pas, une telle maîtrise de soi tenait du prodige. Mais moi, je ne me contins plus et je me penchai, la main en avant pour agripper un de ses tétons. J’avais éclaté mais j’en demandais encore, après tout c’était la journée du marché à la fin de laquelle j’avais toujours droit à ma récompense !
Mais j’eus à peine le temps de baratter la masse que Pauline écarta vigoureusement mon bras.
« Ah non ! Je suis très fatiguée de t’avoir attendu, et toi tu es très fatigué aussi d’avoir tant marché. Je termine le pied et bonsoir ! »
Un cornard d’ange passa.
« Mais… mais tu sais bien que je suis toujours vaillant quand il s’agit de te témoigner mon amour, ma mie bien-aimée, allitérai-je désespérement.
— Non-da, je viens de donner ta pitance pour ce soir, ça ira bien comme ça, moi, je vais dormir. Bonne nuit ! Tiens, voici le linge, tu n’as qu’à te sécher l’autre pied toi-même, il faut que j’aille coucher Clément. »
Et elle me planta là pour prendre ce dernier dans ses bras et le border dans son lit.
Je fus fâché car je comprenais une chose : les paupières lourdes que je crus énamourées, la danse des tétons que je crus précurseuse à une autre danse au lit, les caresses à mes pieds que je pris comme l’indice d’une tendre déification de l’époux par l’épousée, tout cela était balayé par une cause bien plus pragmatique : mettre du désordre dans ma braguette pour ne pas avoir à subir mon récital de carillons. Oui, ne pas les subir, comme s’il s’agissait de la dernière des corvées. J’espérais au moins que la cause de tout cela était une fatigue réelle car sinon, c’était tout de même bien vexatoire.
En attendant de trouver une réponse à cette incertitude, il était une chose qu’il fallait que je fasse avant de la rejoindre : me nettoyer la braguette car, après les deux décharges, celle du massage de pieds et celle de l’achat du livre, je pressentais un sérieux carnage malodorant à l’intérieur. N’aie crainte lecteur, je ne t’infligerai pas la description, je sais m’imposer parfois quelques limites. L’opération prit un certain temps et fut exécutée non sans honte, non sans me dire que Charis et les autres avaient là un chantre bien vulgaire.
Enfin, je pus m’allonger à côté de Pauline qui déjà dormait, comme l’indiquait un mignard ronflement.
Elle avait bien de la chance car je compris que, pour moi, la nuit allait être longue et tortueuse.
À suivre…
Las ! Mais il faut dire que notre narrateur n’est pas des plus reluisants dans tout ce malheureux épisode…