Au début, il y avait juste l’idée d’écrire un court roman sur une histoire d’amour entre une dame et un chevalier, dans un ton alternant le comique au tragique, louchant autant du côté d’une veine satirique propre au XVIIIe siècle qu’à une veine feuilletonnesque correspondant aux romans du XIXe.
Et puis, dès le deuxième chapitre, est apparue Charis.
Et dès le troisième, l’ensemble des Callaïdes.
Et un peu plus loin, les Déïmos.
Avec ce noyau de personnages, le roman de trois cents pages allait très vite se mettre à ambitionner un cycle de cinq romans.
Coïncidence ou pas, durant le premier mois d’écriture, je relisais le Vicomte de Bragelonne, histoire d’être porté par le souffle dumasien. Je crois que c’était la quatrième ou la cinquième lecture. Je n’en suis pas encore arrivé aux dix effectuées par Stevenson mais je souscris assez à sa préférence parmi les autres titres de la trilogie des Mousquetaires. Les quatre héros sont encore plus savoureux, d’Artagnan en particulier, et j’ai toujours apprécié, contrairement à beaucoup de lecteurs, le personnage de Raoul, synthèse fragile de ses quatre pères parfois surprenante dans ses réactions.
Et puis, il y a les dames de compagnie d’Henriette d’Angleterre : Louise de La Vallière, Aure de Montalais, Athénaïs de Tonnay-Charente et d’autres dont j’ai oublié le nom. C’est une sorte de cénacle constituant un écho à celui des mousquetaires. Lui aussi vit ses propres aventures, connaît ses propres émotions et influe sans le savoir sur la grande Histoire.
Il faut bien le reconnaître, tout n’est pas toujours passionnant, notamment lorsque l’intrigue entre La Vallière et Louis XIV entre dans d’interminables tunnels. Et pourtant, lorsqu’on lit le Vicomte en acceptant ces longueurs, il y a toujours le plaisir après de retrouver d’Artagnan et les autres, permettant ainsi d’éviter toute lassitude. Je ne suis pas sûr en effet que rester constamment sur les pas des quatre mousquetaires eût été intéressant, et puis leur irruption au sein de la narration permet aussi de créer des effets de comparaison avec la jeune génération, les Raoul de Bragelonne, de Wardes, Buckingham et de Guiche.
Attirance donc pour les suivantes d’Henriette, sans qu’il y ait non plus fascination. En revanche un goût certain pour Aure de Montalais, suivante la plus délurée, la plus provocante, la plus garce, tout en restant fidèle à son amitié envers La Vallière. Elle est peut-être au cœur de la personnalité, en des proportions plus ou moins grandes, des cinq Callaïdes.
Cette belle gravure de Félix Philippoteaux (illustrateur ayant abondamment illustré Dumas) résume tout le personnage : l’apparence séduisante, fragile, avec ces épaules tombantes ne donnant pas l’impression que la belle est habituée à manier la rapière, mais aussi ces yeux méfiants surmontés de deux sourcils froncés. Dans un instant elle lâchera le pan de sa robe qu’elle tient pour ne pas la salir du vil contact de grossiers pavés pour gravir une nom moins grossière échelle bien peu en rapport avec son rang de suivante de la belle-sœur du roi.
Ainsi sont les Callaïdes. Elles aussi joueront des sourcils et auront à grimper par des échelles narratives encore plus fragiles et vertigineuses. Elles se casseront bien parfois leur joli minois mais toujours elles se relèveront – braves petites ! – pour bravement retenter l’ascension. De toute façon, elles n’ont pas le choix, l’univers où elles évoluent ne leur permet guère de se contenter de poser leurs doux fessiers sur des coussins parfumés afin de cailleter avec la reine.
Gaspard Auclair