III
Les Callaïdes
Le terme de Callaïde étant déjà apparu un certain nombre de fois dans l’histoire, il serait maintenant bon d’expliquer au lecteur ce qu’il désignait.
Il s’agissait tout simplement d’un cercle de cinq femmes – la plupart du temps d’extraction noble mais nous verrons qu’il y avait parfois des exceptions – femmes supposées représenter l’acmé physique et culturel du royaume. Les reines de tout horizon ont souvent eu de ces dames que l’on appelle communément dames de compagnie, dames souvent choisies pour leur beauté et leur esprit délié permettant une conversation agréable avec une reine – quand bien même cette dernière aurait un esprit carré incapable d’en saisir la rutilance. Les Callaïdes étaient cela et en même temps bien plus, du moins dans la théorie. Car dans la pratique, l’histoire nous a montré des crus affligeants du fait de diverses pressions pour imposer telle protégée certes avenante mais – honteuse ignorance ! – ne sachant même pas différencier une amphibologie d’une anacrouse. Pour y remédier, une reine décida que seules les dames s’occupant de parfaire la formation des Callaïdes avaient le droit de choisir les heureuses élues, en lien avec la dame à la tête de l’école des apprenties, sans qu’aucune demande extérieure ne soit prise en compte. Et dans l’ensemble, les Callaïdes, du nom d’une pierre précieuse très prisée, avaient depuis assez bien porté leur titre.
Les cinq créatures composant ce prestigieux aréopage parfumé se devaient de correspondre chacune à un type de physique bien défini, cela pour représenter des déités, des nymphes de la mythologie des textes anciens du royaume. Il s’agissait des Callaïdes Phœbe, Zephixo, Danallis, Amete et Lilaïa, chacune incarnant un art en particulier (respectivement le chant, la poésie, la tragédie, la comédie et la danse) et chacune ayant un type de beauté différent des autres. Il y avait dans le choix de ce système une coquetterie profane qui ne pouvait que plaire au bas peuple, moins porté sur la religion officielle du royaume, celle que les nobles pratiquaient même s’ils regardaient d’un œil amusé ces vieux cultes truffés de dieux et de déesses aux noms agréables à entendre. Quand on avait institué l’ordre des Callaïdes deux siècles auparavant, on trouva l’idée immédiatement séduisante, d’autant que le règne d’alors avait dû faire face à une déliquescence de l’éducation des jeunes nobles. Avec cet ordre, on avait mis en place une nouvelle norme qui devait constituer un idéal stimulant et sur lequel chaque fille bien née devait essayer de se modeler. Une jeune fille pouvait très bien ne jamais entrer dans l’institution de dame Adèle, les places y étant de toute façon très chères. Mais elle se devait d’avoir une éducation qui ferait d’elle autre chose qu’un simple corps pour contenter l’homme d’épée. L’esprit et la culture revenaient au premier plan. On n’allait pas encore jusqu’à considérer les femmes comme de possibles décisionnaires dans l’art de gouverner mais pour ce qui était des arts, on les considérait comme les égales des hommes – du moins les esprits les plus ouverts les considéraient-ils ainsi.
Le chapitre fait douze pages, il fallait bien ça pour expliquer les devoirs des Callaïdes ainsi que présenter sommairement les cinq jeunes dames choisies. On y apprend par ailleurs le sens d’une notion, l’aimanide, ainsi que celui d’un curieux verbe, ballaïdiser. Quant à l’excipit, comme il est un peu plus visqueux que l’incipit, j’ai préféré ne pas le sélectionner pour l’extrait du jour.
Gaspard Auclair