Suite de la première partie.
D’abord un temps stupéfait, le père fut submergé par la joie. Le millième diamant, par sa taille, allait faire de lui un roi ! Il se pencha pour saisir l’objet, essuyer le sang qui le tachait et s’empresser d’aller le vendre à la ville, mais il fut arrêté net par un mouvement que la chose esquissa avant qu’un vigoureux cri de nouveau-né ne retentisse dans la maisonnée. Ce n’était pas un diamant qui avait la forme d’un enfantelet, non, c’était bien un enfantelet qui était vivant et qui avait donc cette curieuse apparence ! Qu’allait-il faire de lui ?
Le vendre ? Mais à qui ? De quelle manière ? Sans compter qu’avouer que cette chose venait de sa semence, c’était courir le risque d’être accusé de fréquenter le Malin et de se voir brûlé à petit feu sur la place publique.
Lui casser la tête alors, puis le couper en petits morceaux afin de les vendre ? Mais les gens alentours savaient bien que sa femme était grosse, et ils avaient dû entendre les puissants vagissements de l’enfantelet. Le tuer était prendre le risque d’être accusé de meurtrerie d’enfant, et donc de se voir branché à un arbre par le col.
Il sortit de chez lui, se prenant la tête, indécis et encoléré à l’idée de vivre en présence de cette chose à la fois si précieuse et si inutile.
Pendant ce temps, la mère prit son fruit et le posa contre son sein. D’abord épouvantée par son apparence, elle eut tôt fait de laisser son instinct de mère balayer ses doutes. Il lui semblait qu’au contact de sa peau, le petit corps brillait moins, se colorait légèrement d’une couleur de chair et était moins froid, moins dur. Était-il donc si différent des autres enfants ? Le contact de sa petite bouche lui suçotant un tétin eut raison de ses dernières réticences. Bah ! un pétiot qui tète sa mère est bien comme les autres enfants ! Il faudrait juste faire attention. À quoi ? À ce que les habitants du village ou autres hères toujours à grappiller ou à voler ne le voient pas.
Ainsi, lors de la première année, la mère sortait de chez elle soit fort tôt, soit fort tard, avec son petit emmailloté contre elle de manière à ce que nul ne distinguât son apparence.
Et lors de l’année suivante, elle sortait toujours aux mêmes heures, en lui tenant la main, l’enfant là aussi entièrement recouvert de vêtements, à l’exception des yeux.
Si la mère et le fils partageaient une tendre affection, le père, lui, rageait. Voulant compenser l’impossibilité de s’enrichir grâce à cet enfant de diamant, il se mit à brutaliser de nouveau sa fille pour acquérir de nouvelles pierreries. En vain. Les larmes s’étaient taries. Avec la venue de l’enfant, la tristesse, le désespoir n’avaient plus lieu d’être. Une seule chose comptait désormais : son fils. Et ce n’étaient plus les coups et les insultes qui allaient y changer quoi que ce soit. Au contraire, le père sentait chez sa fille une résistance aussi dure que la surface de ses diamants, résistance derrière laquelle on sentait une haine farouche prête à éclater.
À tel point que le père n’eut plus le moindre plaisir à rester auprès d’elle. « À quoi bon vivre ici si je ne puis plus faire pleurer cette carogne ? se demandait-il. Peut-être est-il temps pour moi de m’en aller afin de disposer comme je l’entends de mes diamants. »
On le voit, il ne se posa guère de questions quant à l’origine des diamants et sur la nécessité d’au moins les partager avec sa fille.
Une nuit, alors que cette dernière dormait en serrant tendrement son enfant, il les abandonna pour s’en aller vivre richement dans une ville, loin, très loin.
Richement, mais pas stupidement. Conscient qu’il n’aurait désormais plus à portée de coups de poing une pleureuse de diamants, il s’associa avec un financier pour faire fructifier les deux tiers de sa richesse tandis qu’avec le reste il s’acheta une très grande maison et beaucoup d’amis avec lesquels il s’adonna à d’insensées et dégoûtantes passions en compagnie de femmes de rien. Désireux de tâter de nouveau de la femme de son âge, il abâtardit énormément les environs en faisant venir chez lui des femmes dans le besoin ainsi que de doucereuses coquines attirées par ses richesses.
Mais au bout de trois ans, un peu fatigué et rassasié, il accepta de prendre femme, suivant les conseils de son financier qui lui fit entrevoir l’intérêt à épouser une belle femme qui approchait de ses trente ans et que son père cherchait à marier à quelqu’un de belle fortune.
Évidemment, la réputation du scélérat n’était plus à faire, mais il sut habilement envoyer des émissaires un peu partout pour faire courir le bruit qu’en somme, il n’était qu’un homme qui avait été joué par d’infâmes femelles désireuses de s’accaparer ses richesses. Qu’au fond, ce qu’il désirait n’était qu’une épouse simple et aimante qu’il pourrait aimer et honorer jusqu’à la fin de ses jours. Il alla jusqu’à se rendre chez le père de la femme à marier en jouant l’homme bon, amoureux et mélancolique. Bien entendu, la ruse porta et, deux mois plus tard, il se remaria.
Il se tint à peu près correctement durant la première année.
Quand une nuit son épouse fut besognée de manière à être bien levurée, elle se dit bien que tout cela était un peu brutal et douloureux. Mais étant vierge, elle ne connaissait rien à ce genre de chose. Tout de même, n’avait-il pas grincé, au plus fort de son déduit (du sien uniquement car quant à elle, elle n’en n’avait éprouvé aucun), quelque chose comme « pleure, petite carogne, pleure » ? Elle avait dû mal entendre… En tout cas, en voyant le lendemain ses tétins couverts de bleus, elle commença à se poser des questions sur la nature de la mélancolie de son mari.
Neuf mois plus tard, elle mit au monde une adorable petite fille. La voir grandir ne fut pas sans rappeler au père certains souvenirs enfouis. Petit à petit, le vernis craqua et la bassesse de son âme éclata.
De nouveau, il se mit à brutaliser sa femme.
Et de nouveau, alors que sa fille allait sur ses quatorze ans et qu’elle commençait à devenir véritablement belle, il alla se promener avec elle, un soir, dans le domaine de sa maison. Heureusement, si on la vit revenir en courant, une main sur la bouche pour contenir des pleurs, l’autre main tenait un mouchoir, mais un mouchoir vierge cette fois-ci de sang.
N’importe, l’infâme père, qui n’avait pu achever la promenade dans le bosquet, se promettait bien d’y remédier. Il lui tardait tant de proférer enfin des « pleure, petite carogne, pleure ! »
La fin au prochain épisode…