La Plume viciée (12) : Diane est satisfaite (une fois de plus)

Résumé de l’épisode précédent : après avoir pris son courage à deux mains (au moins), Diane se décide à appliquer sur son visage le baume de Lune Céleste. La sensation est douce, cependant bien moins que le rêve qu’elle fait, rêve ayant sans doute pour cause l’ingrédient du lys étoilé. Dans ce songe, elle s’y voit, nue, sublime, en compagnie d’un faune qui a une manière bien à lui d’honorer la beauté d’une déesse. Arrive le matin…

Le résultat était stupéfiant.

Assise devant le miroir de sa coiffeuse, Diane restait sans voix.

Son teint, habituellement éclatant mais relativement commun à toute femme qui prenait soin de sa beauté, avait acquis une lueur délicatement irisée, comme si une lumière intérieure animait son épiderme. La peau, lisse et tendue, semblait avoir été polie à la perfection, chaque pore effacé, chaque imperfection gommée. Le doux halo émanant de son visage lui donnait un air presque irréel, comme une créature de légende sortie d’un rêve. Ses joues paraissaient sculptées dans le marbre le plus pur, sans la moindre tache, sans la moindre rougeur. C’était d’une beauté, d’une blancheur, d’une pureté qui n’avaient absolument pas besoin d’être rehaussées par du fard.

Diane passa lentement ses doigts sur la joue, fascinée par sa douceur soyeuse, un toucher aussi léger qu’une plume, aussi lisse que la soie la plus fine.

Ses yeux, brillants d’émerveillement, captèrent un éclat dans son regard qu’elle ne s’était jamais vu auparavant, une étincelle qui la rendait irrésistiblement attirante, une beauté divine et hypnotique qui laissait transparaître l’effet extraordinaire de ce mystérieux baume.

Elle regarda ce qui lui restait dans le mortier : pas grand-chose. Mais elle disposait encore de feuilles de menthe et d’une bonne partie des autres ingrédients pour préparer de nouveau du baume. Au début elle s’était dit qu’en appliquer seulement sur le visage et sur le haut de la gorge serait suffisant. Mais à la réflexion, non, bien sûr que non ! Elle comptait bien se rendre aux bains du Château. Et elle avait rendez-vous en fin de matinée chez Isolde, à une heure où son vieux mari n’y était pas. Oh ! Qu’il allait être facile de la mettre à ses pieds avec ce corps divin ! C’était déjà le cas, mais là, c’était la plus soumise des esclaves qu’elle allait devenir. Une esclave fort riche, qui plus est, ce qui ne gâchait rien.

Elle allait commencer à s’appliquer le reste de baume sur les mains et les bras quand une idée l’arrêta. C’était cette envie de dormir qui l’avait saisie alors qu’elle s’était onguenté le visage. Ce devait être le lys étoilé, sûrment. Bon, elle attendrait d’appliquer le reste quand elle reviendrait. Et ça lui permettrait de voir si les effets mirifiques du baume tenaient dans la journée. Et puis, bon, elle se souvenait de ce qu’il s’était produit avec le faune lors de sa deuxième tombée dans les bras de Nyxée, ça allait bien comme ça, les visions lascives ! Tout de même, c’était dommage de ne pas avoir d’un coup un corps rivalisant, non, dépassant celui de Félicya, déesse de la beauté.

À quoi occupa-t-elle sa matinée ? À se promener au Château pardi ! Elle se rendit aux différents jardins, prit un thé au Salon des Muses, situé dans l’aile à l’est. Partout on se retourna à son passage.

— Mâtin ! Quelle armide ! disaient les uns.

— Est-ce bien Diane de Monjouy ? Qu’elle est en beauté ce matin ! faisaient les autres.

Ses amies, la suspectant d’utiliser un baume secret, la questionnèrent à ce sujet.

— Non, mes bonnes amies, je n’applique rien d’autre que le baume de Voile d’albâtre que j’ai évoqué il y a trois septaines dans La Gazette. Mais je dois dire que dernièrement je dors davantage. Et je me contente de lait et de légumes. Ce doit être lié.

— Voyons, il n’y a pas que cela, Diane. Nous sommes entre nous, vous pouvez nous le dire, petite cachottière… Vous devez avoir pris amant. Seuls l’amour et les caresses d’un gent ami peuvent ainsi embellir une femme !

Diane rit.

— Hé ! Qui sait, mon amie ? Peut-être bien…

Et elle les avait laissées, ivre de joie contenue à l’idée que les recettes du carnet n’étaient pas les âneries un temps redoutées.

Elle se rendit aux appartements d’Astasie de Mirambeau où l’attendait Capucine afin de choisir un nouvel objet et convenir de leur premier rendez-vous d’amour. Pour l’occasion, la jouvencelle s’était surpassée en choisissant une robe mettant en valeur ses rondeurs et en tartinant sa face de fard. Tout le contraire de Diane qui, grâce au baume, n’avait pas eu besoin d’user d’autres expédients.

Quand Capucine la vit ainsi, son cœur connut un double mouvement. D’abord, il se serra en constatant la distance qui la séparait de l’armide à l’acmé de sa beauté. Et puis, il fondit, confondu d’amour et de dévotion envers cette femme incomparable qui bientôt la tiendrait dans ses bras, nue à nue, peau contre peau, lèvres contre lèvres.

Diane lui adressa son plus gracieux sourire.

— Bonjour, Capucine. Me voici, comme convenu.

— As… as-tu bien réfléchi à notre accord ? Tu n’as pas changé d’avis ?

C’est qu’une fois rentrée chez elle, la jouvencelle n’avait pu croire à sa bonne fortune, pensant que Diane avait accepté son marché par charité, pour se débarrasser d’elle alors qu’en fait, il était hors de question qu’une armide comme elle accepte de s’abaisser à mamouriser un laideron.

— Mais non, pourquoi donc ? Je ne sais si je puis te promettre de t’aimer, encore une fois cela a des chances de ne pas advenir. Mais je peux t’offrir mon affection. Il faudra cependant être discrètes, nous ne vivons pas en Cymbadie, tu sais que ce genre d’amour ne plaît guère au Royaume. Mais d’un autre côté, c’est une petite aventure qu’il nous sera doux de partager. Et puis, à ton âge il est naturel de connaître certaines émotions. Je suis d’avis que pour l’initiation d’une jeune fille en ce domaine, il vaut mieux passer par le savoir d’une amie du même sexe et ayant déjà un peu d’expérience en ce domaine. Les hommes sont si brutaux…

À ces mots, Capucine tremblait et rougissait. Ainsi, elle n’avait pas rêvé la réponse de Diane à sa proposition de la veille. Certes, il n’était pas question d’amour, mais qui savait si, à la longue…

— Allons, entrons maintenant que je choisisse le petit présent. Faisons vite, cela n’a guère d’importance mais donne un peu de piquant à notre marché.

De fait, Diane prit nonchalamment le premier objet venu.

— Tiens ? C’est joli, ça. Allez, il fera l’affaire !

Il s’agissait d’un adorable étui dans lequel on pouvait mettre des broches pour attacher les cheveux. Un étui comme un autre ? En fait, Diane l’avait scruté lors de sa précédente venue et avait reconnu des motifs typiques du savoir-faire d’un grand escrinier. L’insignifiante petite boîte devait bien faire ses cent écus.

— Tu es sûre Diane ? Cela semble bien peu.

Qu’elle était sotte !

Diane lui pinça tendrement le bout du nez.

— Comme je t’ai dit, c’est une petite mise en scène qui donne du piquant à notre jeu d’amour. Peu importe l’objet en fait. Mais j’y tiens, à mon brimborion, c’est comme si tu m’offrais une fleur pour me séduire.

Une fleur à cent écus, c’était bien là un petit présent à la mesure de l’orgueil de Diane…

À suivre…

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