Les poèmes retrouvés de Charis de Verley #6 : Hymne au Maître du Jeu de Paume

Kovac Jodinov

Quand on se nomme Charis de Verley, on est nécessairement amenée à rencontrer des célébrités de son temps. Et donc à écrire des poèmes pour fixer un souvenir ou exprimer ses sentiments.

Ainsi Kovac Jodinov, sans contestation possible le plus grand joueur de jeu de paume de tous les temps. Fuyant la guerre survenue en Drakovie, cette petite contrée à l’est du Kirkland emplie de gens fiers, Jodinov avait perturbé les habitudes des connaisseurs qui ne juraient que par deux autres champions dont la renommée s’est hélas affaiblie au point que l’on ne se souvient plus guère de leur nom : l’un était retourné vivre dans sa Zamorie natale pour s’occuper d’une ferme tandis que l’autre avait préféré devenir chaussurier pour fabriquer et vendre d’onéreux souliers. Bref.

Kovac Jodinov a fait plusieurs démonstrations de son génie paumesque dans la Capitale. Les annales évoquent une journée durant laquelle un terrain de jeu de paume avait été installé dans la cour du Château afin de permettre à un public choisi d’admirer la force du Drakovien. Ainsi la Reine, mais aussi ses Callaïdes. Et il semblerait, à la lecture du poème de dame Charis, que la poétesse ne faisait pas vraiment partie du petit clan mesquin de ceux qui continuaient de nier l’excellence de Jodinov. Après sa démonstration, elle le rencontra dans le salon des ambassades. Nous ajoutons de nouveau à la suite du poème un extrait des mémoires d’Aalis de Castalia relatant la rencontre et qui permettra de mieux comprendre le caractère pour le moins équivoque des vers 21 à 26 (après, il s’agit de la poésie de Charis de Verley, donc rien d’anormal non plus).

Quant au vers 25, il fait allusion à un geste que Kovac Jodinov pratiquait parfois pour célébrer une rude victoire, c’est-à-dire déchirer sa propre tunique pour livrer son torse à la vue de tous. Il est vrai que le jeu de paume est bien connu pour le terrible sentiment de frustration qui peut tenailler l’esprit des joueurs. Frustration que Jodinov sut bien dompter puisqu’il fut le seul joueur à remporter 24 fois les tournois majeurs des huit royaumes.

 

eeeeeeeeeee Hymne au Maître du Jeu de Paume

Sous les cieux azurés, où la foule acclame,
Un champion se dresse, illustre par son âme.
Sa silhouette agile, tel un félin en chasse,
Sur le court de paume, majestueux, il passe.

Ses cheveux courts, éclatants sous le soleil ardent,
Scintillent comme l’acier, dans l’effort constant.
Le soleil darde ses rayons sur son front haut,
Héroïque et noble, tel un roi sans défaut.

De sa raquette jaillit la grâce souveraine,
Chaque coup pourfend comme un trait dans l’arène.
Son regard vif, acéré, perçant l’horizon,
Dévoile son génie, sa divine vision.

Par ses mouvements, divin ballet en cadence,
Il défie les lois, brisant toute résistance !
Torse fier et puissant, tel un dieu des anciens,
Il règne sans rival, dans ce temple païen.

Sa force réside en son esprit tenace,
Jamais il ne plie, même sous l’audace.
Des batailles ardues, il sort toujours vainqueur,
Sa ténacité forge son éclat, sa valeur.

Au rythme de ses coups, mon cœur bat en écho,
Unisson parfait, en chaque puissant assaut.
Quand la tension s’accroît, il rugit tel un lion,
Cri puissant qui fend l’air, terrifiant de passion.

Et quand il vainc, ses mains lacèrent le tissu,
Torse sculpté, muscles saillants sous la vue.
Eblouissant spectacle qui ravit les dames
Et encolère les nains envieux sans âme.

Dans l’écho des acclamations, son nom résonne,
Étoile des courts, sa légende se donne.
Que l’histoire retienne, en pages d’or et d’azur,
Ce maître du jeu, champion pur et sûr.

Ô joueur de paume, éclat de notre temps,
Ton art nous enivre, tel un vin puissant.
Charis te célèbre, par ces vers délicats,
Toi qui fais briller l’espoir et la foi.

Extrait des mémoires d’Aalis de Castalia :

Je l’avoue, le jeu de paume m’ennuie. Pour moi, rien ne vaut un beau duel à l’épée, à condition qu’on se limite à un peu de sang versé car je n’aime pas à voir un beau jeune homme mourir prématurément. Cependant, je garde un bon souvenir de la partie entre un de nos meilleurs champions (j’ai oublié son nom) et Kovac Jodinov. Il avait de la prestance, c’était sûr, et le voir peler le cul de son adversaire avec autorité était fort réjouissant.

Par contre, que dire de Charis qui se trouvait à côté de moi ? Son épiderme avait considérablement rougi et ramolli. Je l’entendais constamment murmuer des « Il est merveilleux ! », la voix tremblante, presque haletante et la main sur le cœur.

— Bon sang Charis ! m’exclamai-je, tu n’es pas en train de lire un de tes ouvrages de second rayon, reprends-toi, nous ne sommes pas seules !

— Mais qu’y puis-je ? Tu vois bien comment il est. Ah !

Ce Ah ! venait du fait que Jodinov avait vaincu après un échange fort long et tumultueux et, pour célébrer sa victoire, avait hurlé tout en arrachant sa tunique, laissant apparaître un torse puissant et velu qui acheva de mettre Charis en pâmoison.

Aussitôt la partie terminée, on la vit se lever pour filer dans ses appartements. Dans quel but ? N’imagine rien de licencieux, c’était juste pour écrire un poème pardi ! Elle revint une heure après au salon des ambassades où Jodinov, après s’être rendu aux bains, se trouvait. Il fut d’ailleurs apprécié, l’homme était fin, assez enjoué et parlait parfaitement notre langue. Charis lui remit alors son poème tout à sa gloire. C’était un joli geste que cela, mais qui fut gâché par une attitude semblable à celle de ces oiselles en chaleur qui vouent à un artiste une admiration aussi poisseuse que déraisonnable. C’était d’autant plus ridicule que Jodinov était accompagné d’une belle Drakovienne, son épouse.

Elle lui remit donc son poème les joues en feu et, une fois fait, elle sortit de son sein un autre feuillet : c’était une copie du poème qu’elle souhaitait garder. Elle lui demanda de lui écrire au bas du poème un mot gentil.

« La… la pa… partie était si… si merveilleuse ! » bredoubafouilla-t-elle.

Le spectacle était pénible, mais Jodinov, en souriant, s’approcha pour satisfaire le désir de la sinistre péronnelle. Inutile de préciser que les jours suivants, je fis maintes imitations de son attitude pour l’arager.

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