Les poèmes retrouvés de Charis de Verley #5 : Blason et contre-blason du vit

On le sait, l’art du blason poétique fut à la mode sous la reine Catelyne, et Charis de Verley le pratiqua tout naturellement… du moins avec discrétion.

Témoins ces deux blasons figurant dans le fameux recueil publié anonymement chez les libraires Péquin & Boudur, recueil intitulé Blasons (dés)amoureux et dans lequel la poétesse a consacré son art à exalter certaines parties du corps (féminin comme masculin) ou bien à en ridiculiser d’autres.

Les collectionneurs le savent, il existe deux versions du recueil. La plus courante présente les deux poèmes constitués de leurs trois quatrains. Dans la plus rare, est ajoutée une pointe de deux vers évoquant une certaine pratique amoureuse. Pour le cas où le lecteur de cette page aurait un cabinet de curiosités, nous lui conseillons bien sûr de se procurer cette version.

               Blason du beau vit

Ô vit triomphant, sculpté par les dieux,
Porteur de plaisir, sublime et radieux.
Figé dans la grâce, doux sceptre pur,
Fais frémir mon cœur, joyau sans parure.

Pilier de marbre, à la courbe parfaite,
Symbole de vigueur, d’amour en fête.
Sous ta douce peau, un frisson se glisse,
Promesse d’extase, douce malice.

Par tes élans, tu sèmes le désir,
Embrasant les nuits, de ton fier empire.
Ô charmant vit, en toi je me confie,
Source de délice, et de folle envie.

Dans ma bouche avide, coule la vie !
Goût de miel et de soie, doux et inouï !

 

Contre-blason du vit laid

 

Ô vit chétif, piteux et dévoyé,
Spectre sans honneur, pâle et desséché.
Honteux, rabougri, sans force ni vie,
Tu n’es que l’ombre d’un désir enfui.

Laid, flasque et terne, sans aucune allure,
Honteux débris d’une passion impure,
Sous ta peau flétrie, nulle ardeur ne danse,
Faisant du déduit une morne errance.

Ta triste tournure inspire la peine,
Nul frisson de plaisir, juste une gêne.
Ô laid vit, en toi point de réconfort,
Affligeant spectacle d’un désir mort.

Dans ma bouche, ton déduit n’est que gouttes,
Amertume sans fin et de déroute.

 

Comme toujours, les mémoires d’Aalis de Castalia sont un outil précieux pour dénicher des éléments sur l’origine de certains poèmes. Voici un extrait que l’on trouve dans la première partie. On y retrouve la petite habitude qu’avait la Callaïde de la comédie, c’est-à-dire de transcrire les dialogues sous forme théâtrale.

 

Je me souviens que Charis, alors qu’elle se désespérait d’obtenir un mot doux de Jan — alors simple garde dans le salon de  Catelyne — avait passé ses nerfs en rédigeant quelques blasons bien salés (et même fort poivrés). Connaissant notre goût pour ce genre d’oeuvrette (moi et Sybil surtout), elle ne se fit pas trop prier pour nous les lire. C’était bien facile, il nous suffisait comme d’habitude, c’est-à-dire de flatter sa petite vanité et de jurer nos grands dieux que nous ne nous moquerions pas.
— Est-ce bien vrai, cette truffe ? nous demanda-t-elle, méfiante.
— Voyons Charis, tu nous connais, protestai-je.
— Oui, justement.
— Nos réactions viennent juste du grand plaisir que ton style inventif nous procure. Mais si cela te chagrine, je te jure que nous nous contenterons d’applaudir à tes nouvelles oeuvres. Mais peut-être qu’elles sont moins bonnes que d’habitude et que tu crains de nous les réciter…
À ces mots une lueur mauvaise se fit dans ses iris. Elle se mit debout, sortit de son sein un feuillet en maugréant quelque chose comme « tu vas voir si mes poèmes sont moins bons. » J’échangeai des regards avec les autres. Nous étions prêtes pour une gentille curée.
Bien qu’habituées à une facette licencieuse de son imagination, nous fûmes stupéfaites quand elle récita son blason du beau vit et son contre-bason du vit laid. Leurs pointes, en particulier, étaient assez inattendues dans la bouche d’une vierge sortant de l’école de dame Adèle.
Tout cela était bien troussé, mais il fallait maintenant trousser l’amour-propre de la belle brune. C’est Sybil qui sonna la charge.

SYBIL — Eh bien Charis ! Quelle précision dans la description !  Tu dois vraiment avoir étudié de près ton sujet pour rendre tes vers si vivants.
AALIS — J’allais le dire. On est limite dans l’hypotypose, là. J’avais l’impression de voir s’agiter les vits que tu décrivais. Je t’avoue que je suis surprise. Heurtée, même. Fi !
MARI — Il y a un vers que je n’ai pas compris, c’est lorsque…
AALIS — Tutut ! Voyons Mari, tu es la plus jeune, tes chastes oreilles n’en ont que trop entendu à cause de notre poétesse experte en vits.

Tandis qu’Alya levait les yeux au ciel, se doutant de l’issue de la joute, Charis nous observait alternativement, furieuse et le menton légèrement tremblant. Cela eût dû nous inciter à cesser nos piques, mais autant demander à trois chattes affamées de ne pas chasser une souris affolée.

SYBIL — Mais justement, cette expertise en vits, vient-elle de la théorie… ou de la pratique ?
AALIS — Il faudrait le demander au jeune garde du salon.
SYBIL — D’après toi, beau vit ou vit laid le concernant ?
AALIS — Voyons Sybil, Charis est une poétesse qui n’aime que le beau.
CHARIS (rougissant jusqu’aux oreilles) — Arrêtez, vous deux ! Ce ne sont que des poèmes. Rien de plus. J’avais juste besoin de… de… d’exprimer ma frustration.
SYBIL (haussant les sourcils) — Ah, tes frustrations ! Je les avais oubliées, celles-là ! Il paraît qu’il n’y a rien de tel qu’un bon… vit pour les faire passer.
AALIS (hochant la tête en riant) — Surtout un vit triomphant, sculpté par les dieux, comme notre amie l’a si bien dit.
CHARIS — Vous exagérez, toutes les deux ! Ce n’était qu’un sexercice… un exercice littéraire. Rien de plus.
AALIS (euphorique devant la bévue, et les autres, même Alya, le sont aussi) — Oui, oui, un sexe en exercice, rien de plus.
MARI — Et au goût du miel !
AALIS — Dame ! Les descriptions de notre Charis sont parfois culinaires, tu le sais bien.
SYBIL — Plus cul qu’ordinaire d’ailleurs.
AALIS — Oui-da. Tiens, si Charis en venait à créer des blasons sur des légumes, entre la carotte et le radis, que choisirait-elle ?
SYBIL — Oh, voyons, belle amie, sans hésitation, elle choisirait la carotte, bien sculptée et vigoureuse. Le radis, trop petit et piquant, ne mérite pas sa plume !
AALIS — Plume qu’elle semble bien tailler d’ailleurs.
MARI (depuis quelques secondes, elle tente visiblement de s’immiscer entre les deux furies pour placer un bon mot) — Ben moi, je suis un peu déçue par la qualité des poèmes.
CHARIS (la foudroyant) — Hein ?
MARI — Oui, ça me semble un peu trop écrit à la va vit.

Stupeur de Charis, même Mari participait à l’hallali en plaçant un cruel coup de pieu à la bête effarouchée ! Les larmes montèrent aux yeux de la belle et les tremblements de menton furent remplacés par une jolie bouche en train de se tordre. Les grandes eaux s’apprêtaient à jaillir. J’eusse dû me retenir, mais j’ai une qualité (un défaut, diront certains), je suis incapable de retenir un bon mot. Aussi…

— Que veux-tu Mari, Charis vit en vers, mais souvent verse en vit.

Éclat de rire général. Même Alya s’essuyait les yeux et en avait mal aux côtes.

Et bien sûr, Charis, au bout d’un moment :

— Oh ! Vous êtes si viles ! Pourquoi suis-je avec vous ? Je vous mépri…

Elle ne termina pas car une boule de chagrin lui serra la gorge juste avant de lui faire déverser un mélange de pleurs et de gémissements. Elle fit comme d’habitude, c’est-à-dire sortir en courant des appartements de Sybil pour se réfugier dans les siens. Bien évidemment, je la rejoignis deux minutes plus tard pour la consoler. Ce n’était pas bien dur, je savais comment m’y prendre.  La chatte me laissa tout de même deux griffures et une morsure, et nous parla peu durant trois jours.

Quant à la présence du jeune garde dans le salon de Catelyne, elle eut depuis ce jour-là une autre saveur. Pas de miel et de soie, mais saveur quand même.

 

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