Résumé de l’épisode précédent : Diane est toujours sur un nuage. Elle vient de recevoir la liste préparée par Gollard de ses activités lors du bal littéraire, activités dont elle ne doute pas qu’elle en sortira grandie, reconnue comme une nouvelle et puissante écrivelle…
Pour s’atourner, elle n’eut pas à forcer son talent. Les baumes continuaient de l’auréoler d’une beauté qui allait faire passer les autres écrivelles pour des cocodines des Belles Lettres. Quant aux écrivains, elle se faisait fort de les attirer dans sa toile pour en faire des alliés qui sauraient vanter les puissantes qualités de son livre.
Elle choisit sans hésiter une robe de velours pourpre, choix pourtant un rien présomptueux lorsque l’on sait combien la couleur était associée depuis tout temps à la royauté. Le message était assez clair : je suis la nouvelle reine des lettres, les amis, et je vous prie de vous prosterner comme il se doit ! La coupe ajustée épousait parfaitement ses formes, mettant en valeur sa silhouette gracieuse sans être trop ostentatoire. La décollade en cœur, ornée de fines broderies dorées, révélait juste ce qu’il fallait pour capter l’attention sans paraître vulgaire. Les manches longues se terminaient par des bords délicatement festonnés, laissant deviner ses fins poignets.
Pour compléter l’ensemble, elle choisit des bottines en cuir noir finement ouvragées, à talons bas mais élégants, permettant une démarche assurée. Elle allait monter sur une scène, mieux valait éviter de faire un faux pas. Un châle en soie légère, brodé de motifs floraux rappelant les jardins luxuriants, serait posé négligemment sur ses épaules, prêt à être jeté en arrière d’un geste théâtral pour faire tomber d’un coup la lumière sur la décollade.
Ses doigts, toujours prêts à manier la plume – mais qui seraient au repos pour la journée, Faumiel assurant exceptionnellement la rédaction de la page où se trouvaient habituellement les articles de sa gazetière –, étaient ornés de bagues discrètes mais raffinées, chacune portant une pierre subtilement assortie à sa tenue. La touche finale : comme elle était vêtue de pourpre, rien de mieux qu’un léger parfum de violette, évoquant à la fois douceur et mystère, qui flottait dans l’air à chaque mouvement.
Autre détail – détail que le lecteur sera libre de trouver superflu mais que pour ma part, dans un souci de véractité descriptive, je préfère ne pas occulter –, sous la robe de velours pourpre, les fesses de Diane étaient impeccablement mises en valeur, le tissu s’ajustant parfaitement à ses courbes. Chaque mouvement révélait la rondeur harmonieuse de son postérieur, à la fois ferme et délicatement galbé. La robe, bien qu’élégante et digne, ne pouvait dissimuler la sensualité naturelle de cette partie de son corps, qui à n’en pas douter saurait attirer les regards et donner d’un coup une dimension insoupçonnée au métier d’écrivelle.
Tout cela, elle le contemplait devant son grand miroir. Dire qu’elle était satisfaite serait se situer bien en-deçà de la vérité. Elle crevait de joie rentrée. Cette tenue n’allait pas lui permettre de devenir la reine de la Monarchie des Lettres, non, en fait elle l’était déjà.
Cependant, ne voulant rien laisser au hasard, Diane s’écarta de son miroir pour faire quelques pas de profil tout en se mirant. Le velours, épousant chaque contour, semblait souligner l’équilibre parfait entre la volupté et la grâce. Lorsqu’elle marchait, le tissu suivait ses pas avec fluidité, accentuant à chaque pas la manière dont ses hanches se balançaient, une légère ondulation qui ajoutait à l’élégance de sa démarche. Ce détail, bien que discret, semblait contribuer à l’aura magnétique de Diane, renforçant l’idée que, malgré son apparence soignée et sa posture altière, elle restait une femme dont le pouvoir de séduction résidait dans chaque aspect de sa personne, y compris ces courbes parfaitement sculptées.
Qu’ils admirent ce que le génie de la plume ne suffit pas à capturer, pensa Diane en s’admirant, et que leurs yeux soient autant prisonniers de ma silhouette que leurs esprits le seront de mes mots.
Évidemment, avec un tel orgueil, faire quelques pas ne suffit pas. Elle se planta devant le miroir, bien en face, et avança doucement en faisant des mines et des gestes coquets.
Qu’ils se perdent dans ces détails, qu’ils s’enivrent de chaque mouvement. Pendant qu’ils admireront l’apparence, ils seront déjà conquis par l’esprit.
Et, alors qu’elle n’était plus qu’à un demi-pas :
Même ce miroir finirait par tomber amoureux… s’il avait une paire de…
Elle n’acheva pas sa pensée, au fond surprise de sa vulgaire trivialité.
Voyons, tu es Diane de Monjouy, s’amusa-t-elle pour se rassurer, tu te dois de n’exprimer que les expressions les plus choisies.
N’empêche, ce n’était plus une simple lueur de satisfaction qui brillait dans les yeux, mais un bûcher quelque peu inquiétant, comme annonciateur d’une flamme dévorante prête à consumer tout ce qui restait de raison en elle. Et, comme pour confirmer cette descente inexorable vers un amour de soi touchant à la folie, quelque chose d’estrange se produisit.
Son reflet, d’abord en parfaite harmonie avec ses mouvements, commença à paraître légèrement en décalage. Un battement de paupière qui semblait arriver une fraction de seconde trop tard, un sourire qui se dessinait un instant avant qu’elle ne l’esquisse. Elle cligna des yeux, mais l’illusion persistait. Et à cette illusion s’ajoutait une sensation, celle que le reflet dans le miroir n’était pas vraiment elle, mais une autre femme. Une femme qui la fixait avec une intensité troublante, dominatrice, avec un rien de moquerie. Diane tenta de secouer cette impression, de se convaincre qu’il ne s’agissait que d’un jeu de lumière, d’un simple tour de son esprit fatigué. Mais la pensée persistait, se glissant dans son esprit comme un serpent, laissant Diane de plus en plus troublée.
Ce n’est que le matin, et je suis déjà fatiguée ! Non, il y a une autre explication, ma beauté me fait perdre l’esprit. Quoi de plus normal après tout ? On perdrait la raison à moins, ha ! ha !
Et, quittant les pensées pour la parole :
— Bonjour, toi !
Postée maintenant tout près du reflet, elle caressa du bout des doigts la surface du miroir.
— Ah, si Isolde pouvait te voir maintenant, reprit-elle, elle qui se tortille son vieux cul avec ses airs de grande dame, mais qui, face à moi, n’est que l’ombre d’une étoile éteinte. Et Pauvre Capucine, pauvre petite chose insignifiante avec ton regard d’agneau égaré, prête à tout pour un mot gentil, une caresse de ma part. A-t-elle bien conscience de la chance que je lui ai offerte ? Qu’elle en profite bien car elle ne va pas durer éternellement.
Elle s’approcha un peu plus, laissant ses yeux se perdre dans ceux de son propre reflet.
— Oh toi, toi tu comprends ! Tu sais ce que c’est que d’être désirée par tous, de les faire ramper à tes pieds. Tu sais ce que c’est que de briller si fort que les autres en sont aveuglés, dévorés de jalousie… Mais laissons cela… toi et moi, nous sommes au-dessus de tout ça, n’est-ce pas ? Personne ne peut nous atteindre, personne ne peut nous égaler…
Et, avançant ses lèvres pour se donner un baiser…
— Nous ne pouvons qu’être l’amante l’une de l’autre. Personne d’autre n’en est digne.
Et elle embrassa la surface froide du miroir.
Le baiser eût pu être fugitif, donné comme cela, juste par manière de plaisanterie. Mais Diane, se trouvant bien ainsi, les joues commençant à rosir, le poursuivit longuement, entrouvrant les yeux pour tomber dans la contemplation de son propre regard énamouré. Une nouvelle fois, elle eut l’impression que le reflet était en décalage avec ses propres mouvements. Une impression, cela ne pouvait qu’être, avec le museau ainsi collé contre le miroir. Puis les lèvres s’entrouvrirent et la langue commença à lécher le miroir, l’orgueil épaulé par un violent désir d’elle-même. Oh ! Si seulement ce reflet pouvait cesser de suivre mes mouvements, que je puisse parcourir son corps tout entier de ma langue…
Tout cela était bien fol, bien déraisonnable, Diane le sentait confusément. Une image lui vint : celle d’un certain faune, puissamment membru, agenouillé à côté d’elle. Oui, alors que sa langue léchait toujours le froid du miroir, elle se sentait devenir euphorique, ressentant le même début de déduit que lors de ses deux songes en compagnie de l’homme-bouc.
D’ailleurs… était-il toujours bien froid, le miroir ? N’était-ce pas subitement une langue chaude et visqueuse qui venait de s’avancer pour lui caresser la sienne ?
Sa poitrine était collée au miroir mais… n’avait-elle pas l’impression d’une main lui agrippant doucement le sein avant de le libérer en tirant sur la décollade ?
N’était-ce pas une autre main qui saisissait sa robe au niveau des épaules pour la faire tomber à ses pieds ?
Et cette même main n’était-elle pas en train de descendre le long de son ventre, effleurant sa peau, pour s’insinuer dans sa culotte et jouer avec ce secret intime, ce point de chaleur qui frémissait sous le contact, réveillant en elle un désir brûlant, aussi réel que le miroir était froid ?
Diane se posait toutes ces questions, mais elle n’en était plus au point de les trouver estranges. Son esprit et ses pupilles vacillèrent, un voile sombre tomba, voile qui la fit se cambrer dangereusement vers l’arrière, lui faisant perdre l’équilibre… avant que deux mains ne la retiennent par la taille. À travers le filtre de ses paupières aux trois quarts baissées, elle crut voir son reflet sortir du cadre, le visage les yeux grand ouverts, lui, brûlant d’un inquiétant désir.
Elle sentit qu’on l’allongeait avec précaution à même le sol.
La suite ? Des baisers brûlants, un souffle ardent titillant son oreille, des doigts aventureux, des ongles laissant des sillons sur les reins, des tétons aspirés par une bouche avide, une chaleur humide glissant le long de son entrejambe, une langue explorant aussi bien la surface que les moindres creux de son corps, enfin des murmures exaltant sa beauté et lui procurant surtout un déduit bien plus vif que celui des caresses.
Puis le voile noir devint plus épais, et Diane sombra pour de bon. Heureusement pour elle, elle ne dormit pas longtemps, sa journée de gloire au bal littéraire n’en souffrirait pas. Mais quand elle se réveilla, ce fut pour constater qu’elle était allongée, nue, sur le sol, sa robe en tas juste à côté d’elle.
Se mettant péniblement assise, elle inspecta son corps qui sentait le désir à plein nez, lui rappelant certaines nuits où Isolde contrôlait à grand-peine sa passion. Elle posa son nez contre un des bras : à côté du parfum de violette, elle crut déceler l’odeur âcre et déplaisante de la salive séchée. En revanche, portant la main contre sa nature, elle n’eut aucun doute : le rêve dans lequel elle avait sombré l’avait fait déduiter.
Elle se leva, là aussi péniblement, et s’observa une dernière fois devant le miroir avant de partir pour le bal. Elle était toujours aussi belle. Sa peau était peut-être même encore plus blanche, plus pure. Les veines apparaissaient de manière plus marquée. Diane avait vanté dans un article la beauté des épidermes qui laissaient saillir ainsi les veines. Là, elle était servie.
Elle se pencha pour saisir sa robe et s’en vêtir, plus que jamais satisfaite, même si, au fond d’elle-même, une pensée, qui prenait la forme d’une question inattendue, commençait à poindre.
Mais au fait, qui était vraiment cette Astasie de Mirambeau ?
À suivre…