Résumé de l’épisode précédent : Diane, surexcitée aussi bien par les incroyables effets des recettes de beauté volées que par la perspective de voir son roman publié pour le grand bal littéraire annuel, a commencé à manoeuvrer pour y apparaître dans sa plus grande gloire…
Elle exultait tellement que ce fut presque le cœur léger qu’elle arriva chez Isolde. N’importe quel homme, même jeune, se serait damné pour couvrir de baiser ce beau corps de femme pourtant arrivée à la fin de son printemps. Pas Diane, qui n’en pouvait plus de le parcourir de sa langue, tout comme il lui était devenu insupportable de sentir sur le sien celle de sa protectrice.
Protectrice qui, lorsqu’elle vit Diane entrer dans son salon, eut la même réaction que Capucine. Si son cœur fondit, il se serra aussi devant la beauté de son amante. Celle-ci était une perle, elle le savait. Mais là, c’était on ne savait quel joyau de telle contrée perdue. Comment allait-elle faire pour empêcher d’autres personnes, plus belles, plus jeunes, plus puissantes qu’elle, de s’emparer de ce diamant ? Elle avait envie de se confondre en cris d’admiration mais parvint à se retenir, consciente que cela reviendrait à dangereusement s’abaisser.
Après, si se dissimuler en s’abstenant de parler était une chose, le faire en distribuant ses caresses en était une autre. Diane perçut maints tremblements inhabituels dans les attouchements. Et quand arriva le moment de se rejoindre les jambes écartées comme deux paires de ciseaux bien ouvertes, un bras campé derrière pour permettre de rester à demi-assises et bien se regarder, l’autre bras pour prodiguer des caresses, Isolde perdit tous ses moyens, se répandant en éloges entrecoupés de soupirs larmoyants :
« Ah ! Diane… Ô divine ! Que… que suis-je en train de vivre ? Mon cœur… il tremble ! Si… si belle… si radieuse ! Oh ! Chaque courbe… chaque éclat… c’est… un enchantement ! Mon âme… se perd… en toi ! Seigneur… quelle vision ! Tes mains… ah… tes mains… sur moi… sur ma gorge… une caresse… des cieux ! Le doux frottement… de nos natures… c’est… un déduit… inégalé ! Je suis… éblouie, envoûtée… comment… comment puis-je… ne pas… t’adorer ? Je suis… tienne ! Oui… entièrement tienne ! Ô Diane… ma reine… laisse-moi… te servir… te chérir… pour toujours ! Je me sens… consumée… par ton amour… je suis… ton esclave, à… à jamais ! Ah ! Oh… oh… c’est… trop… trop intense ! Je… je ne peux plus… mes sens… tout est… déchaîné ! Aaaah ! Diane ! Je… je cède… à ce déduit… je suis… brisée… par le plaisir ! Oh… oh… je… je… je m’évanouis… dans l’extase ! Oui… je suis… à toi… complètement… je t’aime… je t’adore… je suis… en feu ! Aaaah… Diane… ma déesse… je… je ne peux… plus… oh… Oh !… Ah !
Ici, nous devons avouer que nous ressentons quelques scrupules à restituer l’intégralité du plaisir intime oralisé d’Isolde qui, on le voit, n’était pas du genre à rester muette dans de fiévreux enlacements. Diane, elle, fut plus laconique. Au milieu d’halètements plus ou moins sincères, elle eut cette pensée : Mais qu’elle me casse la tête ! Vas-tu déduiter pour de bon, qu’on en finisse !
Justement, le déduit atteint, Isolde se précipita entre ses bras, la tête lovée contre son ventre, un peu comme une petite fille demandant protection et réconfort à sa mère.
— Oh, Diane ! Mon trésor, ma lumière ! Tu es tout pour moi, tout ce que mon cœur a toujours désiré… Je suis tellement comblée par ta présence… par ta beauté… par ton amour… Ah ! C’est un rêve devenu réalité ! Je me sens si petite, si vulnérable… En toi, j’ai trouvé un refuge, une source de bonheur que je ne croyais pas possible ! Tu es ma déesse, mon étoile, je ne mérite pas une telle grâce, mais je te remercie… du fond de mon âme… pour tout… tout ce que tu es… pour moi ! Je suis prête à tout sacrifier pour toi. Mon amour, ma loyauté… ils sont à toi, pour l’éternité ! Oh, laisse-moi te montrer chaque jour combien je te suis dévouée, je ferai tout pour toi !
Non, ce n’était pas nécessairement là des paroles habiles. Au moins, la dame de quarante-sept ans eu le bonheur de ne pas voir le sourire de mépris qui apparut sur la face de son amante, amante qui répondit :
— Ma tendre amie, je te dois tout et, tu le sais, je t’aime.
C’était là une de ses marques : elle était bien plus économe dans le langage quand il s’agissait d’exprimer des sentiments que dans ses articles vantant la qualité d’artistes pourtant médiocres.
Allez, si tout se passe bien, dans deux mois je n’aurai plus à subir les caresses de la vieille.
Elle pensa ces mots au moment de quitter le salon, alors que sa langue caressait en un dernier baiser celle d’Isolde.
Et, le lendemain, elle en eu un bien particulier quand elle retrouva discrètement Capucine dans un petit hôtel, La Cachette étoilée. C’était un de ces établissements dans lesquels on pouvait aller en galante compagnie pour y effectuer en toute discrétion une certaine gymnastique. Cinq de ces hôtels étaient disséminés dans la ville, allant du plus crasseux (ainsi La Tambouille des déduits, situés dans l’horrible quartier de Claquart) au plus luxueux (Le Domaine des Célestes, dans le quartier shimabi du Bon-Puits). L’avantage était qu’ils se situaient tous dans des rues très peu fréquentées. Diane et Capucine s’étaient donné rendez-vous à l’une des extrémités de la rue, parées de vêtements très simples, avec une capuche leur couvrant le visage, et s’étaient rendues bras dessus bras dessous jusqu’à l’entrée de l’hôtel dans lequel elles s’étaient aussitôt engouffrées. Là, une vieille réceptionniste avec un poireau sur le nez, blasée, indifférente de voir que ses clients étaient en fait deux clientes dont l’une assez jeune, demanda :
— B’jour, c’est pour une heure ou toute l’après-midi ?
Devant la nouveauté de l’expérience qui avait des allures populaires un peu effrayantes, Capucine trembla. Diane, lui lançant un malicieux clin d’œil :
— Ma foi, je ne sais. Une heure doit pouvoir suffire, qu’en dis-tu ?
Capucine se transforma en lampion rougeoyant.
— Oui, juste une heure, reprit Diane. Tenez, Madame.
Et elle posa sur le comptoir une pièce d’un demi-écu.
— Ce sera la chambre 7, au deuxième étage.
L’ingénue et son mentor empruntèrent l’escalier. Les marches grinçaient sous leurs pas, mais ce n’étaient pas les seuls sons qu’elle percevaient.
Ah ! Oui, encore…
Les oreilles de Capucine ne l’avaient pas trompée. Elles avaient bien perçu ces mots filtrant d’on ne savait où à travers les frêles murs. Elle serra la main de Diane, horriblement gênée. Et ce n’était que le début car, au fur et à mesure qu’elles montaient, les cris et les soupirs perçaient davantage des différentes chambres dont la maigre porte ne permettait pas de conserver pleinement les instants d’humide intimité qui s’y jouaient. Rapidement, elles eurent l’impression de pénétrer dans une nuage d’exclamations frappant l’imagination :
Dans sa grande confusion, Capucine faillit demander ce que c’était que cette histoire de carillons, s’il convenait de jouer un air de musique avant de commencer les caresses. Elle fit sagement de n’en rien faire car de toute façon, Diane avait prévu de vite expédier l’affaire.
À suivre…