Autres Voix : “Sous la table feutrée”, de Nicolas Piron

On peut le dire sans hésitation, Nicolas Piron a été le maître de la voluptée. Non, nulle faute dans l’orthographe du mot puisque voluptée désignait un genre de poème bien particulier. Rappelons ici la définition du DRA (Dictionnaire Royal Académique) :

Voluptée : nom féminin désignant un type de poème galant autrefois à la mode dans certains salons. Le -ée à la fin du mot est un clin d’oeil à épopée puisque ces pièces s’amusent à narrer une petite aventure amoureuse, parfois grivoise.  Ces poèmes sont donc des récits poétiques qui immortalisent des instants de séduction, de désir et de jeu entre les amants, souvent enrobés de métaphores et de sous-entendus. Ils sont évidemment déconseillés aux jeunes filles. Les puceaux y trouveront en revanche de hardis conseils.

Cinquante-deux voluptées sont attribuées à Piron. Parmi eux, ce Sous la table feutrée contant les dessous d’une partie de cartes. Piron ayant la réputation d’avoir été aussi bien un bon joueur qu’un séducteur invétéré, il n’est d’ailleurs pas impossible que cette voluptée raconte une expérience vécue…

 

Sous la table feutrée

Sous la table feutrée où nos cartes se mêlent,
Ton pied voyageur, doucement me harcèle.
Frôlement léger, furtif, fuyant les détours,
Il glisse, se faufile, serpent de velours.

Il effleure d’abord le bas de ma chaussure,
Puis remonte en secret, poursuivant l’aventure.
Il s’attarde un instant, à mon bas mollet,
Puis monte plus haut, cherchant un nid plus douillet.

Ma cuisse frissonne sous ce jeu éhonté,
Et mon souffle s’émeut, le tour devient risqué.
La partie s’anime, mais ton pied m’étreint,
Lentement il avance, narguant le destin.

Quand il touche ma cuisse, ma vue se dédouble,
Ma main hésite, la carte tombe et se trouble.
Enfin, ton pied mignard, ultime caresse,
À l’ombre des plis, mon furieux désir il presse.

Ah ! Hélas ! dérobé aux regards indiscrets,
Mon jeu se défait, emporté par tes doux traits.
Sous la caresse ardente, je perds la parole,
Un frisson me saisit, je m’oublie, tout s’affole.

Sous la table, un beau secret, humide et pressant,
Témoigne du plaisir, en un dernier instant.
Le roi tombe à terre, exténué par ta ruse.
Gasp ! je défaille, vaincu, à ta douce excuse…

Ô Perfide ! Félonne ! Ô traîtresse sans foi,
Indigne friponne, tu t’es jouée de moi !
Mais je veux ma revanche, armé de mes atouts !
Ce soir, c’est dit, je vaincrai ton précieux bijou !

Leave a Reply