Justine

Justine est l’un des rares personnages à avoir vu son prénom changer en cours d’écriture. La faute à un autre personnage, apparaissant plusieurs centaines de pages après et doté du même prénom. Du coup je me suis penché sur son cas et, après réflexion, je me suis dit que ce personnage de servante de Callaïde ne pouvait qu’être prénommée comme une certaine héroïne du Divin Marquis.

Âme pure, Justine n’entre pas moins brutalement dans le cycle en se prenant deux coups de couteau, un au ventre, l’autre sous le sein droit, dans de sombres circonstances. À voir comment le personnage va évoluer, mais il n’est pas impossible que cette entrée en matière préfigure une tortueuse destinée. D’ailleurs, cet aspect apparaît dès l’enfance. Sortant d’un orphelinat à l’âge de dix ans (dans les orphelinats des Callaïdes, on ne plaisante pas, on garde les enfants jusqu’à cet âge et après, bonsoir ! à eux de tracer leur chemin dans la vie), elle se voit placée comme servante dans une sinistre famille, les Grastellot :

La famille, composée d’un homme, d’une femme, de deux garçons et d’un gros chien baveux rongé de puces, avait pour nom Grastellot. Nous n’entrerons pas trop dans les détails de l’ignominie où la petite Justine, dix ans donc, de nature douce, éveillée, proprette et honnête, était tombée. Disons simplement qu’en dehors de nettoyer un bouge d’une crasse indicible, elle devait préparer des repas avec le peu d’argent qu’on lui remettait pour aller chercher de la nourriture, se faisait sempiternellement gronder et battre pour le peu de résultats qu’elle obtenait – ce qui n’était pas forcément vrai car Justine avait profité des leçons de cuisine dispensées à l’orphelinat mais ces coups étaient le moyen d’essuyer un peu de la mauvaise humeur rance et aigrie que les occupants de la maison avaient développée depuis toujours.

Puis les années passent et, avec elles, les premiers changements physiques se font :

[…] alors qu’elle se rapprochait de sa quinzième année, son corps s’était mis à accentuer de ces transformations physiques susceptibles de faire perdre l’esprit à des jeunes garçons comme ceux qu’elle devait servir, garçons prénommés Gallien et Isidore, petite vermine qui, au fil du temps, eut tendance à user de gifles et même de coups de pied au cul à l’égard de Justine. Mais s’apercevant un jour que ce cul prenait une forme fort harmonieuse, les deux mauvais drôles commencèrent à se dire qu’il pouvait être intéressant d’y infliger autre chose que des coups de pied.

Fort heureusement, la vertu de Justine sera préservée et la jeune fille quittera les Grastellot pour s’en aller servir rien moins qu’une Callaïde. Mais attention ! ce n’est pas parce que l’on a la chance de servir au Château que l’on doit se sentir préservée de certains dangers :

Et l’inquiétude fit place à une angoisse sourde lorsque, comme [Jeannon et Justine] s’approchaient de nouveau d’un escalier qui montait mais qui laissait apparaître en son milieu, à une dizaine de pas, une bouche sombre qui s’ouvrait sur la droite, elles entendirent des sons que leur nature féminine identifia aussitôt comme des bruits détestables et dangereux. D’abord de distincts petits cris poussés par une femme, probablement jeune d’après le timbre. Des cris desquels perçait une douleur autant physique que morale ainsi que l’abdication face à une épreuve invincible. Et ce n’était pas tout car, à côté de ces cris entremêlés de pleurs, on entendait une autre voix, masculine celle-ci. Elle n’émettait pas de sons articulés mais des sortes de grognements rauques dont il était difficile de dire s’ils étaient le fait d’un homme ou d’une bête. Justine songea à un sanglier en pleine copulance tandis que Jeanne, maintenant terrorisée, penchait plutôt pour un ogre de conte de fées en train de dévorer les entrailles d’une victime de son âge.

Puis Justine disparaît jusqu’à la fin du Livre III. Elle fera probablement un retour dans le quatrième, jouer avec les personnages de servantes étant un petit délassement agréable entre deux arcs sérieux. Sans compter qu’évoquer une servante permet d’enrichir la représentation de l’intérieur du quotidien de la maîtresse. Il faudrait d’ailleurs que j’évoque, pour un prochain article, cet aspect tiré d’une lecture d’un livre cher.

Gaspard Auclair

Romina Power, dans le rôle de Justine (adaptation de Jess Franco en 1969)

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