Le pied, délicat joyelet

Il est des expressions dont l’origine ne laisse pas de surprendre. Ainsi « il est bourdin comme ses pieds. » Il nous semble bien curieux d’associer cette partie de l’anatomie à la stupidité. Après, pour les hommes chez qui ces organes ne ressemblent à rien et dont l’esprit peut être bien lourdaud, je ne dis pas. Mais chez une femme, cela semble bien hors de propos. Ignorons donc cette expression pour nous attarder sur un fait. N’avez-vous jamais remarqué que parmi les hommes qui vous rencontrent pour la première fois, certains, plutôt que de vous regarder dans les yeux, préfèrent jeter un œil discret aux eschapins qui enserrent bellement vos pieds ? Et vous vous êtes peut-être demandé pourquoi une telle préférence. La raison en est toute simple : c’est que leur forme est comme la promesse que le reste des membres sera lui aussi d’une grâce et d’un galbé exquis.

Un pied doit-il être long ou petit ? Grande question. Devons-nous faire comme les contrées du nord du Shimabei où les femmes s’acharnent à compresser leurs pieds par des bandelettes, dès leur enfance, afin de préserver une petite taille ? Ou bien devons-nous suivre l’exemple des dames de Cymbadie qui se contentent de simples sandales, estimant que ces organes soutenant toutes les autres parties de leur beauté doivent respirer et croître tout à leur aise ? La réponse est sans doute à trouver entre les deux.

En dehors des eschapins qu’il nous est bien nécessaire de porter, une fois chez vous, laissez vos pieds tranquilles. Une pantoufle de fourrure pour les plus frileuses ou les plus coquettes suffira pour le confort et l’ornement tout en permettant que vos pieds se sentent libres. Ce qui ne doit pas empêcher certains soins. Mais ici, nul besoin de bandelettes : comme le pied a été enfermé durant toute la journée et qu’il a beaucoup sué, il convient de le baigner dans une bassine d’eau savonneuse afin d’éliminer l’accumulation de crasse. Utilisez de préférence une brosse douce et une pierre ponce pour bien ôter les petites peaux mortes. Vous pourrez alors les enduire d’un peu de vaseline avant de les masser doucement jusqu’à complète pénétration. La poudre de lycopode est aussi à conseiller pour le bain de pied, pour celles qui transpirent beaucoup et aurait tendance à répandre une odeur âcre. Ne négligez pas les ongles des orteils ! Coupez-les en carré, meilleur moyen de ne pas meurtrir les chairs.

Enfin, soyez impitoyables envers ces bobos que l’on nomme cor, durillon, oignon ou œil-de-perdrix. Là aussi, le bain chaud pour ramollir les chairs et la pierre ponce vous seront de précieux alliés.

Alors vous pourrez reposer vos pieds dans de gracieux fourreaux. Pantoufles ou mules, vous saurez trouver la matière et l’ornement qui conviendront le mieux aux proportions de vos organes. Ces accessoires sont un peu comme les gants pour les mains. Ils embellissent autant qu’ils enflamment l’imagination de l’amant qui n’aura qu’une envie : l’effeuiller de ses mains et de le baiser.

Diane de Monjouy

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Extrait du Voyage en Cymbadie, d’Alexandre Masud :

Le kharémi de la princesse Israa était grand pourvoyeur de formes féminines dénuées du moindre colifichet. De quoi ravir l’amateur de beauté gente, mais aussi de quoi l’étourdir. Par quoi commencer ses observations ? Le visage ? La gorge ? La croupe ? Les gambes ? Toutes ces parties, je m’en abreuvai avec ivresse, mais je dois dire que je fus avant tout sensible par la vue de parties réputées comme moins nobles, plus anodines : les pieds. Et je compris pourquoi certains hommes tombaient chez nous en frénésie lorsqu’ils apercevaient un joli soulier enserrant un pied de divines proportions. Je me rappelai aussi de cette histoire inventée par Nicolas-Edmond Mercier dans laquelle il mettait en scène un homme qui subtilisait le eschapins de ses maîtresses afin d’y effectuer une manipulation un peu dégoûtante. Je ne risquais certes pas de la reproduire car Israa et ses servantes n’avaient pas d’eschapins. Tout au plus de légères sandales ou quelques chaînettes d’or entrelacées de la cheville aux orteils. Il n’empêche : ces accessoires frappaient l’imagination, l’excitaient tout en intimant l’observateur de faire preuve de dévotion envers les organes ainsi décorés.

« Je vous baise les pieds, » dit-on chez nous pour signifier une politesse marquée, très respectueuse. Des esprits plus hardis pourrait y déceler un autre sens, sens que j’allais découvrir alors que j’accompagnais les servantes offertes par Israa pour me faire connaître une belle nuit – pas forcément réparatrice, mais belle, assurément. Dans la vaste pièce où nous nous allongeâmes au milieu de multiple coussins de soie, assez vite dévêtu par les demoiselles, je ne tardai pas à baiser non point des mains, non point des lèvres et encore moins des gorges. Non, irrésistiblement, je me saisis du premier pied offert par l’une de ces grâces pour le baiser… mais aussi le lécher. On sous-estime fort l’effet que peut produire un beau pied, bien proportionné et parfumé. Il apparaît lors comme le plus délicieux des préludes à d’autres caresses et la langue, s’immisçant dans les quatre trous au milieu des cinq orteils, frétille de joie et de reconnaissance. On se dit que tout cela est bien humiliant, que l’on est rabaissé à un état de chien, mais le chien est-il malheureux lorsqu’il se met à lécher la main de son maître ? Non pas. Pour ma part, pour l’unique fois de ma vie, j’acceptai avec ivresse l’état canin dans lequel je me trouvais et, à en croire la respiration enfiévrée de la première servante à laquelle je lapai les orteils avec ardeur, ce n’était pas une activité dépensée en pure perte, elle obtiendrait bientôt récompense. Je crois que si la servante m’avait lors gratté derrière l’oreille comme le dernier des corniauds, j’eusse aussitôt éclaté d’un beau déduit.

On raconte que certaines dames de Cymbadie se parfument les pieds avec une mixture dont l’un des ingrédients décuple les instincts sensuels. Je ne sais si j’eus le droit à un tel expédient, mais je sais que mes instincts se portèrent fort bien cette nuit-là. Tu le sais cher lecteur, j’aime à collectionner les bêtes. J’ai chez moi neuf chiens, huit chats mais aussi trois moutons, deux cochons et quatre chevaux que je laisse gambader dans mon vaste jardin. Eh bien jamais je ne me suis senti aussi proche de leur patiente docilité affectueuse que lors de cette nuit-là.

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