Résumé de l’épisode précédent : Pauline voulait sa preuve, elle l’a eue : accompagnant le narrateur des Callaïdes jusqu’à la maison de la Voison, poussant même l’audace jusqu’à ouvrir une porte de derrière afin de mieux attendre des bruits suspects, elle a bien fini par admettre que Lauraine est persécutée et destinée à devenir catelle d’un vieux barbon dégoûtant. Outrée, rageuse, elle accepte d’aider son époux pour enlever la fillette…
Et de me prendre par la manche et m’entraîner non pas plus avant à l’intérieur de la maison mais au dehors, pour rentrer chez nous. Nous revînmes à la clôture de derrière et la longeâmes au pas de course jusqu’à atteindre un point praticable qui permettait d’atteindre un sentier, puis de revenir, sans échanger le moindre mot, à notre maison.
Là, une autre scène horrifique nous attendait : Clément, tranquillement attablé, était occupé à manipuler de ses grosses mains pleines de doigts Le Récit de Lancelin ! Je rugis et me précipitai pour le lui arracher afin vérifier tout de suite l’étendue des dégâts. C’est qu’il m’avait déjà malmené nombre de livres et rien ne faisait davantage saigner mon cœur qu’un livre outragé. Comme je ne pouvais me permettre d’acheter uniquement des livres neufs, il me fallait bien m’en procurer des déjà déflorés chez les bouquinistes. Mais pour eux également, j’en prenais soin et veillais à ce que le temps ne les endommage pas davantage. Songez donc à mon dépit lorsque je constatai que plusieurs pages de Lancelin avaient été tournées avec rudesse au point de légèrement les déchirer à certains endroits ! Mon cœur cogna et un voile rougeâtre s’abattit sur mes yeux. J’avoue, il m’est arrivé de crier sur Clément quand cela arrivait. Mais là, j’eus le réflexe de me contenir, de garder mes rugissements pour moi. Pour l’heure, il y avait bien plus grave que quelques pages déchirées. Dans quelques jours, ce serait la peau de vierge d’une innocente gamine qui le serait, et j’avais tout intérêt à faire provision de colère pour ce que j’entreprenais de faire.
Pauline prit aussitôt Clément dans ses bras (qui, surpris dans son forfait comme s’il avait mis ses mains morveuses dans un pot de confiture, commençait larmoyer de peur) moins pour le protéger de mon ire de bibliophile que pour avoir les coudées franches concernant l’élaboration de notre plan. Elle l’emmena chez une voisine pour lui demander de le garder quelques heures, prétextant je ne sais qu’elle tâche salissante qu’elle devait entreprendre chez elle, puis elle revint, et nous réfléchîmes audit plan.
En vérité il n’y avait pas grand-chose à établir. Il était très probable que la vieille porte de derrière fût encore ouverte le soir (du moins nous l’espérions). Je devais donc l’emprunter, détecter discrètement où se trouvait Lauraine, puis fuir en sa compagnie sans réveiller le dragon. Simple mais ô combien hasardeux ! Surtout dans une grande maison toute de bois où le moindre de mes pas ferait crier le parquet. Ce qui me rassurait était que l’occupant des lieux n’était qu’une femme. Je n’étais pas bien fort mais, en cas d’esclandre, je me sentais capable de la maîtriser. Se posait toutefois la question de camoufler mon visage. Mieux valait, si je me faisais repérer, qu’elle ne découvrît pas qui j’étais. Pauline s’occupa vite de coudre des restes de tissus sombres pour cacher ma face, ne laissant que deux trous pour me permettre de voir. Je crois que j’étais parfaitement ridicule ainsi mais, je l’avoue, j’étais assez content car le masque me rappelait certains épisodes des Aventures d’Arthos, le chevalier sans peur, récit qui avait égayé mon enfance et que l’on trouvait lors dans La Gazette de Nantain. Cela gonfla en tout cas mon cœur de courage, d’autant que je me souvenais que parmi tous les ennemis du brave Arthos se trouvait une dame, dame Angeline la mal nommée, dame félonne pratiquant la dague et qu’Arthos tua après d’innombrables péripéties en la faisant trébucher dans un âtre, la faisant brûler comme une vile sorcière des enfers. Il ne s’agissait pas non plus de faire de même avec la Voison mais contre les méchantes gens, hommes comme femmes, sache-le ami lecteur, j’étais au moins prêt à user de mes poings !
Un temps, une idée me traversa : mettre au courant le père Gringoire de notre plan. En cas de danger, ce rude manieur de couteau et persécuteur d’ours pouvait nous être utile. Mais je fus immédiatement piqué par un sot d’orgueil : un danger ! Une simple femme ! Et Arthos demandait-il de l’aide contre des ennemis ? Je haussai les épaules sans m’ouvrir de l’idée à Pauline. Je fis mal, j’eusse dû le faire, vous verrez pourquoi plus tard.
Quant à Pauline, quelle place allait-elle tenir dans ce plan ? J’eus toutes les peines du monde à lui faire admettre que sa place était de m’attendre à la maison, auprès de Clément. Rendue vibrante et fiévreuse par ce qu’elle avait entendu, elle voulait m’accompagner, m’attendre dans un fourré non loin pour observer et donner l’alerte en cas de souci.
« Donner l’alerte en cas de souci ! Mais quel souci ? Une fois que je serai à l’intérieur, comment pourras-tu deviner ce qu’il s’y trame ? »
Elle ne répondit rien mais je la connaissais : je la sentais capable de me rejoindre là-bas quelques minutes après mon départ.
« Tu as Clément, et peut-être un deuxième à venir. »
Le coup porta, Pauline baissa la tête mais n’en continua pas moins ses tremblements nerveux. Et moi aussi je tremblais, autant d’excitation que d’émotion à l’idée de sauter dans l’inconnu d’un interdit (entrer chez quelqu’un pour lui prendre un enfant !) potentiellement dangereux. Peut-être que le soir même, ce serait fini. Pas pour Lauraine mais pour nous : deux sergents viendraient me prendre pour me mettre les menottes et me mener dans un cachot. Ou bien la Voison, telle une dame Angeline, sortirait de sa chevelure une dague pour me le planter en plein cœur. Nous nous regardâmes, émus, sans doute traversés de la même idée.
Et du même désir.
Le lecteur le sait, il est d’usage dans le Royaume d’offrir à un condamné à mort soit une dernière pipe de bon tabac, soit un verre de liqueur avant l’application de la sentence.
Pauline m’offrit autre chose.
Elle se leva, défit les boutons de sa robe, fit tomber cette dernière à ses pieds.
Elle resta un temps à m’observer, belle et potelée dans son corps d’armide tétonnière, puis elle avança jusqu’à mon niveau. Toujours assis sur ma chaise, je la vis se baisser pour défaire ma braguette, offrant à ma vue deux lourds tétons pendant comme deux belles cloches d’église, attirés à la terre mais que mes mains ne purent s’empêcher de retenir. Ce n’était certes pas là un geste qu’eût fait Arthos avec dame Angeline, à la rigueur avec dame Constance, sa dame de cœur mais avec laquelle le pauvre chevalier ne put connaître le déduit des déduits qu’au bout de 5284 pages d’aventures épiques… encore que ce déduit ait été recouvert de plusieurs couches de métaphores obscures pour le rendre décent à la lecture, l’auteur, Isidore Flament, n’étant pas particulièrement connu pour faire preuve de gaillardise dans la peinture de certaines scènes.
Avec Pauline, il n’y eut pas la place pour les métaphores. J’avais les mains toutes chaudes de ses tétons tandis qu’elle me libérait avec lesteté de ma braguette pour faire apparaître un vit qui, sans doute conscient que l’heure était grave, avait décidé de ne pas m’empoisonner l’existence en arborant une mollesse de mauvais aloi. En vérité, j’étais d’un coup revenu à mes vingt-cinq ans !
Il n’y eut guère de préambules amoureux. Les tétines de ma mie étaient déjà bien dures et ses joues bien vermeilles. Elle s’approcha et s’assit pour prendre poste. Je me dis que si le soir j’allais pénétrer par forcement chez quelqu’un, c’était un peu moi qui me faisait forcer mais, le nez dans les appâts du devant et les mains palpant derrière un cul potelé, je dois confesser que je me trouvais plutôt bien de l’effraction. D’autant qu’elle me glissa ces mots entre deux soupirs :
« Songe que ce n’est pas la chosette du condamné que je te donne. C’est ma manière de te marquer de mon corps et de te faire comprendre que tu ne t’appartiens pas. Tu as donc tout intérêt à me revenir. »
Chose étrange ! Elle faisait exactement l’inverse des dames dans les récits de chevalerie qu’elle affectionnait et où la chosette constituait la récompense après un exploit. Mais là aussi, l’idée ne me chagrina guère. C’était une sorte d’avance sur la récompense qui donnait un goût certain de reviens-y tout aussi motivant. Et certes, je n’avais assurément pas envie de tout perdre, et je ferais particulièrement attention. Je quittai les tétons pour la bouche et pour le reste, ma foi, vous me permettrez de faire comme Isidore Flament et de jeter le voile sur ce qui se produisit. Sachez juste que, jusqu’au bout, j’eus vraiment vingt-cinq ans.
À suivre…