Le rachat (22) : dans lequel le narrateur retrouve une récente connaissance

Résumé de l’épisode précédent : impuissant, le narrateur des Callaïdes doit subir les hurlements de Lauraine, fouettée d’importance par la Voison. Il a tout juste le temps d’essuyer des larmes de rage qu’il entend deux hommes entrer dans la maison, des connaissances de l’horrible houlière. L’un d’eux, prénommé Bastien, s’étend sur le lit sous lequel le narrateur se cache comme un cafard…

Manifestement, la chère Astasie connaissait Thibault,  à en juger les exclamations de joie de la Voison, bientôt suivis d’un gros bruit de succion qui devait être la conséquence d’un baiser ainsi que la cause de gras ricanements.

Et moi, moi… je n’arrivais pas à me départir d’un sentiment de déjà-vu, ou plutôt de déjà-entendu. Et ce sentiment n’était pas sans ajouter à mon angoisse, déjà à un point fort avancé avec ma posture sous le lit. Pis, ce que j’entrevoyais sur la cause de mon malaise me faisait comprendre que si j’étais découvert, mes chances de revoir un jour Pauline et Clément étaient inexistantes. Ma seule chance de m’en sortir était de respirer comme une souris, d’attendre que la maisonnée s’endorme pour quitter la pièce en glissant sur le plancher comme une couleuvre. Quant à Lauraine… je dois dire qu’à cet instant, alors que ma poitrine, serrée entre le plancher et les lattes du sommier, me semblait prête à rompre à tout moment, je ne songeais guère à elle.

Des bruits de pas dans l’escalier : Astasie et Thibault revenaient. Puis la porte s’ouvrit et j’entendis un rire tenant du hurlement poussé par la Voison.

— Touche pas à la marchandise, compère. T’y auras droit que si tu affûtes les meules avec ce que j’aboule.

— Autant dire que tu vas y aller de ton beurre.

— Reprends des forces par contre, parce que la dernière fois c’était bien chaponné ton affaire.

— Trois fois ! je t’ai repassée trois fois !

— Vantard !

— Vrai !

— Paix ! cria Bastien. C’est pas le moment, aboule ce que tu apportes Astasie.

— Mais tu vas enfin bouffeter sur ce qui est arrivé ?

— Trois fois rien qui s’est changé en traquenard pour nos zigues. Ça s’est passé au fumeton de Nantain. Y’avait une petite nouvelle, une petite catiche qui vendait des fruits et des légumes. On s’est approchés d’elle comme ça, juste pour la faire cracher ou avaler.

— Ha ha ! nous connoissons cela. Dans quelle rue ?

— Justement, on a fauté. On l’a entourée au bas de l’escalier du parvis, là où elle vendait sa marchandise.

— Hein ? Mais vous êtes complètement colas !

— Ta gueule ! Je t’ai dit qu’on a fauté, pas la peine d’y foutre une louche. Bref, le suiveux de la puterelle a raboulé avec sa bande et l’on s’est escogné et suriné gaiement. On a écrasé deux trois crânes, dont celui de la demoiselle, ce qui a mis la foule en rougeur. Tout le monde y est passé, sauf moi et Thibault. Depuis hier on se planquouse pour échapper aux sergents. On a pu quitter Nantain que depuis une heure.

— Et qu’allez-vous faire maintenant ?

— À ton avis ? On se carre ailleurs, le temps que ça se tasse. Je changerai d’allure, me laisserai pousser le crottin, et je reviendrai.

— Mais pourquoi donc ?

— Pour régler mes comptes. Les clampins du suiveux n’ont pas tous clamsé. Et j’ai en mémoire les visages de quelques pétrousquins qui ont participé au massacre. J’ai aussi le souvenir très net d’un gus qui s’est posté juste à côté de la gamine pour la protéger. Çui-là, si je le trouve, je le charcle.

Un pet sonore retentit dans la pièce. Fort heureusement, il n’était pas de mon fait, même si la discussion faisait tout son possible pour me remuer les intestins ainsi que le tuyau à pisse. Il était le fait de Bastien, situé juste au-dessus de moi et, comme le matelas était rudimentaire, une infâme odeur ne tarda pas à le traverser et à me donner des nausées. Et pourtant, ce n’était rien encore que cela en comparaison de ce que j’entendis par la suite. La conversation roula sur d’autres sujets : sur d’immondes projets passés, d’autres tout aussi infects à venir, enfin des exploits de rigolboche – du moins je le supposais tant leurs expressions me paraissaient obscures. Ce qui était certain, c’était que les mots choisis, les tournures de phrases et le ton employé salissaient tout ce qu’ils évoquaient. Je crus comprendre à un moment que la discussion était revenue sur Laurette, ce fut comme si son cadavre avait été couvert d’un linceul de pourriture.

Je compris par contre que la Voison avait apporté des bouteilles, probablement trois : elles furent toutes éclusées et d’épais rots accompagnant de grossiers bruits de mastications et d’épais rires ne tardèrent pas à faire une infernale sarabande. Elle serait bientôt suivie d’autres bruits d’un type particulier.

À suivre…

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