Autres voix #4 : “Chaudain rai d’or matinal”, de Takuan Benyu

Chaudain rai d’or matinal

Plaisante ardure qui assoulage

Et cuit la mauvaiseté !

Interpréter les kangas de Takuan Benyu n’est certes pas chose aisée.

Témoin Charis de Verley qui, à la lecture de ce poème dans un des recueils à sa disposition, a ainsi compris les vers (nous reproduisons un passage de son journal intime) :

Il s’agit certainement d’un éloge du soleil durant l’été quand, à peine éveillé de l’aurore, il étire paresseusement ses beaux rais pour cuire doucement et faire plaisir. Le troisième vers est cependant moins aisé. Peut-être une allusion à l’action de son ardure sur les mauvaises herbes ? je demanderai à Mari ce qu’elle en pense, même si je ne pense pas qu’elle ait grande connaissance de la poésie de son pays.

Interprétation bien candide de notre douce héroïne mais comment le lui reprocher ? Elle ignorait en effet que Benyu faisait allusion à l’un de ses exploits. Moine-poète mendiant qui n’hésitait pas à donner ses aumônes récoltées à d’autres pauvres hères, il s’en prit un jour à un monastère qui empêchait régulièrement les gueux d’y entrer pour réclamer un bol de riz. Comment fit-il ? En grimpant sur le toit du bâtiment principal et en pissant sur la gueule des moines éberlués. Du coup le “rai d’or matinal” a une tout autre explication et l’on comprend mieux le dernier vers.

D’ailleurs, petite précision sur ce vers que la traduction rend ambigu : il faut comprendre que dans le texte original, “cuit” a pour sujet non pas le rai d’or mais la mauvaiseté. En effet, dans un kanga, le deuxième vers ne peut développer une idée qui enjambera le troisième. Ce dernier est donc sur le modèle d’une phrase comme “Et vogue la galère”. L’absence de ponctuation propre au kanga pouvait induire en erreur. Ajoutons à cela qu’en langue shimabie, le verbe “cuire” a aussi le sens d’ “avoir honte”.

Homme décidément plein de ressources que ce Takuan Benyu. Homme qui connaît à la fois les Lettres, le corps féminin, l’art du kanga mais aussi celui de compisser à la gueule des fâcheux. Je demanderai à Gaspard Mercier de m’envoyer d’autres traductions de ses kangas.

Gaspard Auclair

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